Cadre théorique : s’approprier des outils conceptuels
2. Les récits d’expériences
Afin de pénétrer la logique des étudiants de la PH IVP, nous avons opté pour une enquête de terrain donnant la parole à ces étudiants. Nous avons recueilli leurs témoignages. Nous allons voir que ce sont
finalement des «récits d’expériences» que nous avons obtenus. Ce
chapitre de notre travail se propose dans un premier temps de
défi-nir ce que nous entendons par «récit», puis de montrer de manière
théorique comment fonctionne le fait de se raconter. Certaines
consi-dérations méthodologiques sont inhérentes au traitement du récit:
contexte de production d’un récit, mise en cohérence d’un récit, diffé-rentes formes de récits, manières dont le chercheur peut exploiter un récit, etc. Nous ferons le point sur l’état actuel des recherches sur le récit, puis étudierons quelques exemples de travaux menés en didac-tique des langues et des cultures.
2.1 Le concept de récit en sciences sociales
Le terme de «récit de vie» est relativement nouveau dans le domaine
de la recherche. Nous le devons au sociologue D. Bertaux qui l’a introduit en France dans les années 1970 (Bertaux, 1976), tout en ancrant les origines du courant biographique dans les travaux menés par l’École de Chicago (Coulon, 1992/2007, p. 86). En effet, les
cher-cheurs apparentés à cette «école» avaient décidé de se centrer sur la
parole des personnes directement concernées par la mobilité pour étudier les vagues d’immigration. Ils postulaient que les témoignages de migrants procuraient un accès direct à la réalité sociale qu’ils cher-chaient à appréhender. Résolument centré sur l’écoute, le récit de vie est un instrument de l’anthropologie de communication qui s’inscrit donc dans le domaine de la recherche qualitative. Nous considérons
l’anthropologie comme «l’étude de l’homme dans ses manifestations
L’apparition, puis la démocratisation de l’utilisation du magnéto-phone à cassette, coïncidant avec l’arrivée en France du récit de vie, a
révolutionné la manière de recueillir les témoignages142. Aujourd’hui
nous sommes passés à l’ère du numérique, mais la définition n’en
reste pas moins la même:
Il s’agit avant tout d’un récit plus ou moins long, plus ou moins complet, où une personne se raconte autour d’une thématique particulière, celle de son rapport aux langues, où elle fait état d’un vécu particulier, d’un moment mé-morable. (Perregaux, 2002, p. 83)
Le récit de vie peut sembler être un acte banal et quotidien: quoi de
plus naturel qu’une personne qui raconte quelque chose à une autre
personne? En s’intéressant aux individus ordinaires et à leur propre
analyse de leurs «expériences»143, «le récit de vie sort de
l’anony-mat une expérience individuelle qui ne prétend pas être de l’ordre de
l’exceptionnel» (Zarate, 1986, p. 90). Faire le choix du récit de vie,
c’est donner une légitimité à l’expérience de l’individu et considérer
que le chercheur n’est pas seul détenteur de savoirs144. Ainsi faire son
récit de vie, c’est faire le «récit de ses expériences».
Si c’est d’abord en sciences sociales que le récit de vie s’est trouvé une place, il a ensuite été réinvesti dans divers domaines, notamment en psychologie ou dans les domaines en contact avec les publics issus de la migration ou de la formation de personnes amenées à travailler dans le domaine de la migration. Il a joué ensuite un rôle important dans la formation d’adultes, avant d’être enfin reconnu comme un instrument pluridisciplinaire. Dans le champ de la didactique des lan-gues et des cultures, certains chercheurs avaient déjà bien cerné dans
142 Dans les années 1940, O. Lewis a été l’un des premiers à utiliser cette nou-veauté technologique dans le cadre de recherches anthropologiques, notam-ment pour son ouvrage Les enfants de Sanchez (Lewis, 1978).
143 Nous empruntons cette notion d’«expérience» à P. Bourdieu (Bourdieu, 1980b, p. 90-91).
144 Nous allons revenir plus en détails sur les rapports entre le chercheur et les individus dans le chapitre «rapport enquêteur-enquêté» de notre cadre mé-thodologique, partie 4.
les années 1980 l’importance que pourrait prendre cette notion de témoignage et le rôle majeur que pouvait jouer le récit de vie (Zara te, 1986). Le récit de vie s’est implanté dans le champ par le biais de la formation des enseignants.
Danièle Lévy et sa Formation doctorale, le PEFLIC, ont mené des recherches sur les problématiques de la mobilité-migration, en privilégiant les approches autobiographiques, partant du postulat que les biographies langagières, ou récits de vie, participent pleinement à la formation autoréflexive de futurs enseignants en didactique des langues et des cultures. (Gohard-Radenkovic, 2009b, p. 144)
À bien y regarder, le fait de se mettre en scène pour l’autre semble même être un instrument particulièrement adapté pour la formation et la collaboration avec de futurs enseignants de langue étrangère. Nous verrons qu’avec le PEL, le CE y a lui aussi vu une utilisation possible pour les apprenants en langue étrangère et seconde (Conseil de l’Europe, 2011b).
Quant à la terminologie, il subsiste un certain flottement pour
désigner le fait de se raconter. Certains chercheurs parlent d’«
auto-biographie», d’autres de «cycle de vie», de «récit de vie» ou encore
«d’histoire de vie». A. Bretegnier dénonce l’ambivalence du terme
«histoire» (Bretegnier, 2009, p. 4):
Par histoire de langues, j’entends l’histoire des relations, complexes, ambi-valentes, que les individus sociaux construisent et entretiennent avec leur(s) langue(s); l’histoire des images, des statuts, des légitimités qu’ils y associent; l’histoire de leurs sentiments vis-à-vis de ces langues et vis-à-vis d’eux-mêmes comme locuteurs, plus ou moins légitimités à y prendre la parole, à s’y produire; l’histoire de leurs conceptions et de leurs pratiques d’appropriation et de transmission linguistiques. (Bretegnier, 2008, p. 72)
Nous verrons dans notre cadre méthodologique, la manière dont nous avons choisi d’utiliser la notion de récit pour dépasser les défi-nitions communes. La question de la terminologie s’est posée et c’est
finalement «récit» qui a été retenu (Bertaux, 1976). L’approche
co-constructiviste que nous avons souhaité donner à notre démarche nous a également fait pencher pour ce terme. Dans notre cas, il ne
s’agissait pas de «raconter sa vie» comme l’on peut le faire lors d’entretien biographique, mais de raconter des expériences en fonc-tion de la thématique soumise à notre public. Bien évidemment, ces
expériences sont révélatrices d’un «parcours» de vie, dans lequel
elles s’insèrent et qu’elles illustrent même. Nous allons voir qu’elles
tournent bien souvent autour de «moments-clés» identifiables plutôt
que sur la continuité. De plus, il est parfois question non pas de sa propre expérience, mais de l’expérience d’autrui. Nous avons donc
finalement opté pour le terme plus approprié de «récit».
2.2 La production et la réception de récits
L’utilisation du pronom personnel «je» pour se raconter
détermine-t-elle forcément la production d’un récit?
Se constituer comme sujet serait se positionner en se mettant au centre de son monde pour le traiter […]. Le langage est inextricablement lié au processus de construction subjective. (Papatsiba, 2003, p. 216)
Si le récit consiste bien en une énonciation de sa propre expérience ou de sa propre interprétation d’une expérience, il nous faut tout de même dès à présent bien le distinguer du genre littéraire que
repré-sente l’autobiographie: «Pour qu’il y ait autobiographie, il faut qu’il
y ait identité de l’auteur, du narrateur et du personnage» (Lejeune,
1975/1996, p. 15). Dans le cas du récit, cette trilogie n’est justement
pas respectée. Rappelons-nous le fameux «pacte autobiographique»:
Je forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple et dont l’exécution n’aura point d’imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature, et cet homme ce sera moi. (Rousseau, 1767/1997, p. 33)
Force est de constater que J.-J. Rousseau s’est trompé en plusieurs points. Non seulement Les confessions de St Augustin (Saint-Augus-tin, 1993), qui au moment de mourir avait souhaité rendre des comptes et faire le bilan de sa vie, constituent un précédent mais surtout, il a ouvert la voie à un genre littéraire et à un phénomène de la mise en
scène de soi aujourd’hui plus populaire que jamais145. Par ailleurs, il nous faut remettre en question l’idéal de transparence par rapport à soi-même auquel prétend J.-J. Rousseau. La double transparence, par
rapport à soi, par rapport au langage, semble naïve146. L’individu qui
raconte n’est pas à priori le mieux placé pour reconstituer le sens de sa vie et que le truchement d’un instrument, d’un événement ou d’une tierce personne, peut se révéler nécessaire. Le récit est en soi un tra-vail de décentration qui peut donc constituer le détour nécessaire et
la prise de distance par rapport à soi / à son «parcours»147. Le «
pro-cessus»148 de «déplacement de soi» (Gohard-Radenkovic & Rachedi,
2009, p. 10) de celui qui raconte, permet au chercheur d’accéder au sens et à la dynamique de l’histoire qui lui est racontée.
Ainsi le dire «vrai» serait nécessairement indirect. Il en va de
même pour le récit et pourtant, à la différence de l’autobiographie, dans le récit, celui qui raconte n’écrit pas. C’est justement du fait que le récit est recueilli par une tierce personne que s’opère la
décentra-145 «L’exhibition de soi» (Gohard-Radenkovic, 2009b, p. 146) est devenue omni-présente, dans les médias, sur les réseaux sociaux, etc. Dès lors, il est plus que jamais important de poser les questions de savoir qui est l’auteur, d’où il part, dans quel contexte il se raconte, pourquoi et surtout comment il choisit de se raconter.
146 Elle est d’ailleurs dénoncée dans de célèbres expressions de sagesse populaire, telle que le paradoxe de W. Shakespeare (Shakespeare, 1623/1995): «L’œil ne se voit pas lui-même, il lui faut son reflet dans quelque autre chose» ou bien encore le précepte des Socratiques gravé à l’entrée du temple de la Pythie: «Connais-toi toi-même» qui invite avant tout à la décentration de soi. Notons d’ailleurs qu’au niveau étymologique, on retrouve dans le mot «biographie», le «bio» («vie» en grec) et la pratique philosophique de la maïeutique, le fa-meux art d’accoucher les esprits, dans la Grèce antique. L’individu qui raconte n’est pas à priori le mieux placé pour reconstituer le sens de sa vie et que le truchement d’un instrument, d’un événement ou d’une tierce personne, peut se révéler nécessaire.
147 Dans le cas de Marta (Perregaux, 2006), cette décentration constitue même une véritable libération permettant d’avancer.
148 Nous entendons «processus» comme: «un ensemble finalisé d’activités arti-culées les unes aux autres et se déroulant chronologiquement. (Galisson & Puren, 1999, p. 47).
tion nécessaire à la constitution de sens. On voit l’intervention du chercheur dans le récit. Son implication est même essentielle à la pra-tique puisque c’est à la demande du chercheur qu’un individu produit un récit. Le chercheur est d’une certaine manière à l’origine du récit
puisque c’est lui qui en «passe commande»:
Par définition, une recherche est avant tout orientée par ce qui est cherché et cela détermine des procédures de recherche. L’approche des histoires de vie n’est donc pas une approche en dehors d’un projet, d’une stratégie de connais-sance, d’un programme de recherche, d’une problématique.(Pineau & Le Grand, 2007, p. 109)
Le récit est un alors un produit «à deux voix» (Pineau & Le Grand,
2007, p. 15). En demandant à un individu de lui raconter son expé-rience, le chercheur coproduit le récit. Il faut donc au moment de l’analyse, prendre toutes les précautions nécessaires pour ne pas
minimiser «l’implication du chercheur dans l’acte de sollicitation»,
(Molinié, 2009a, p. 5) ni négliger le caractère nécessairement
dialo-gique du corpus. On distingue trois modèles d’histoire de vie (sic):
le biographique, l’autobiographique et le dialogique (Pineau & Le Grand, 2007). Nous nous sommes inscrite dans le modèle dialogique.
Nous avons établi que le récit n’est pas une autobiographie au sens littéraire. Dans le champ de la didactique des langues et des cultures, on se fonde sur les travaux du linguiste E. Benveniste pour
montrer que le récit exclut toute forme linguistique «
autobiogra-phique». (Molinié, 2009a, p. 3). De plus, dans le cas de nos travaux,
le récit n’est pas utilisé pour répondre à la sempiternelle question des
productions autobiographiques, «qui suis-je?», mais pour répondre à
la question «qui suis-je par rapport au français?».
Dans le sillage de l’École de Chicago149, nous l’avons vu, «les
chercheurs placent le récit de vie au centre de l’entreprise
socio-logique» (Pineau & Le Grand, 2007, p. 41). Si les rôles sont bel et
bien distincts entre celui qui parle et celui qui écoute, de nouveaux rapports entre le chercheur et la personne interrogée ont été établis
avec l’utilisation du récit dans la recherche150. Il s’agit d’une véritable
révolution épistémologique: ce que livre l’informateur fait sens en
soi; le rôle du chercheur étant de s’imprégner de ce sens et d’entrer
ainsi dans sa «logique»151. Certes, nous avons choisi d’aborder notre
objet de manière systémique afin que l’individu donne sens à son
vécu, mais nous n’allons tout de même pas jusqu’au «fait social total»
avancé par M. Mauss (Mauss, 1925/2007) dans le sens où l’informa-teur n’est pas seul à dévoiler l’objet puisque nous avons opté pour une démarche co-construite. Dès lors, nous parlerons de nos narrateurs,
c’est-à-dire les personnes qui nous ont «raconté» leur «parcours»
sous l’angle que nous leur avons proposé comme de nos informateurs. La tâche du chercheur est multiple. Disons avec M.-H. Soulet que le chercheur est une sorte de détective, il doit savoir écouter et observer. Son travail est ensuite de repérer au sein des récits qu’il aura recueillis, les indices pertinents et de les mettre en relation (ils peuvent sembler n’avoir aucune relation immédiate en apparence). Il
recueille des faits uniques sur le terrain et veille à l’«objectivation
du travail de production et de vérification des hypothèses» (Soulet,
2006, p. 2). À l’écoute, véritablement «aux aguets», le chercheur
de-vient ainsi:
[…] cet «autrui significatif» qui écoute et accompagne, garde une trace écrite, publie, diffuse, produits des connaissances à partir de ce témoignage, si pos-sible en accord (voire en collaboration) avec le témoin. (Molinié, 2009a, p. 10)
Pour schématiser, disons que le chercheur est tout d’abord ré cipiendaire d’un récit qu’il incorpore physiquement, celui-ci passe par le biais de
150 D’un rapport hiérarchisé entre le «sachant», c’est-à-dire le chercheur, et le «non-sachant», qui désigne la personne interrogée, la place du chercheur est devenue plus modeste. On considère à présent en sciences sociales un rapport de type partenarial et l’on désigne le narrateur comme «informateur» de la recherche.
151 Nous reprenons ici le terme de «logique», emprunté à l’anthropologie so-ciale et appliqué en didactique des langues et des cultures par sous la forme antithétique de «logique des institutions et logique des individus» (Gohard-Radenkovic, 2006).
ses sens physiques: l’ouïe et/ou la vue, puis digère (il s’agit de la phase
«compréhensive» du travail), analyse et éventuellement diffuse:
Le narrataire est le premier auteur de la recherche, c’est bien lui qui formule une demande, définit les objectifs qu’il poursuit, précise le cadre
institution-nel, le devenir éventuel de cette histoire (écrit, publication, images). (Pineau
& Le Grand, 2007, p. 113)
Dans la lignée de la phénoménologie et des travaux de M. Weber
(Weber, 1965/1992), nous entendons «compréhensif» au sens
anglo-phone du terme et non au sens francoanglo-phone, c’est-à-dire: qui pénètre
complètement, qui englobe et prend en considération tous les aspects
de l’objet d’étude. «Il s’agit de comprendre le sens que des acteurs
sociaux donnent à leurs actes, aux évènements qui les concernent»
(Pineau & Le Grand, 2007, p. 15). Ainsi, l’entretien compréhensif est une forme oralisée de récit avec laquelle le chercheur vise à prendre
en compte l’informateur dans toute sa complexité:
La démarche compréhensive s’appuie sur la conviction que les hommes ne sont pas
de simples agents porteurs de structures mais des producteurs actifs du social, donc des dépositaires d’un savoir important qu’il s’agit de saisir de l’intérieur, par le biais du système de valeurs des individus.(Kaufmann, 1996, p. 23)
Nous devons l’approche compréhensive au courant phénoménologique
du 19e siècle et au sociologue M. Weber. Celui-ci tentait d’ex pliquer
les comportements des individus en fonction de leur vécu (Weber, 1965/1992). Il postulait qu’il n’y avait pas de réalité préconstruite mais qu’au contraire, il y avait co-construction et renégociation de sens dans l’interaction et les pratiques des individus. L’expérience du monde social passant par les expériences des individus, il s’agit d’être à l’écoute des individus pour en comprendre le sens. Le chercheur s’inscrivant dans cette approche doit donc faire preuve d’une certaine réceptivité et d’une sensibilité empathique.
Le chercheur et l’informateur ont tous deux des rôles produc-tifs, ils sont partenaires de cette coproduction que représente le récit.
P. Bourdieu (Bourdieu, 1993), nous décrit la relation d’écoute qui s’ins-taure entre le narrateur et le chercheur comme éminemment com-plexe, le chercheur étant détenteur d’un pouvoir symbolique sur le narrateur, dont seule la confiance entre les deux partenaires prévient
les abus:«La valeur du récit biographique tient beaucoup à la qualité
de l’écoute offerte à celui qui s’exprime» (Dominicié, 1994, p. 75).
Puisqu’il s’agit d’une co-construction entre le chercheur et l’in-formateur, il faut être au minimum deux pour pouvoir parler de ré-cit au sens où nous entendons l’utiliser. Le réré-cit étant fondé sur une structure dialogique, il s’agit indéniablement d’un outil de recherche
procédural152. Le récit est par essence même un processus: «Le «récit
de vie» est fondé sur la structure dialogique de l’entretien». (Molinié,
2009a, p. 3). Quelles qu’en soient les mises en pratiques concrètes
dans le travail de recherche: il s’agit de chercher le sens à donner avec
l’informateur:
Se pose alors la question de la posture du chercheur, qui ne cherche pas «sur» mais «avec» et doit construire, par sa démarche, les moyens de ce positionne-ment. (Castellotti & Moore, 2009, p. 80)
Selon nous, le processus qui se met en place entre le chercheur et le formateur revêt la forme d’une interaction triangulaire dont l’objet occupe un angle qui sert la décentration. Il se met en place un triple
processus que nous nommerons «trilectique»153, non seulement entre
l’informateur et le chercheur, processus de co-construction, ainsi qu’entre le chercheur et l’objet, démarche compréhensive d’allers et retours entre le terrain et le chercheur, et enfin entre l’objet et l’in-formateur, sous forme de renégociation du vécu. Les processus ne peuvent pas s’effectuer en ligne directe. Ils s’effectuent nécessaire-ment par le truchenécessaire-ment du troisième angle. On peut même parler de
«construction à plusieurs étages» (Pineau & Le Grand, 2007, p. 107)
pour montrer de quelle manière le récit se construit.
152 Nous faisons référence au titre de l’ouvrage L’histoire de vie comme
proces-sus (Dominicié, 1994).
153 Nous empruntons cette notion (Altet, 2001) et l’appliquons ici au triple pro-cessus du récit.
Figure 3: Trilectique du récit.
2.3 La sincérité dans les récits
Le récit possède des caractéristiques autobiographiques, mais n’est pas une autobiographie puisqu’il est provoqué par un tiers dont on retrouve de manière essentielle la présence. La question de la sincérité des
informateurs ne s’en pose pas moins de la même manière: comment
être sûre que l’informateur «dit bien la vérité» au chercheur?
D’ail-leurs la définition la plus commune du récit comme: «Relation écrite
ou orale de faits réels ou imaginaires» (Larousse, 2005) nous laisse
penser que celui-ci peut comporter un certain nombre d’inexactitudes. L’illustration en couverture de l’édition 1996 du Pacte
autobio-graphique (Lejeune, 1975/1996) nous montre bien toute
l’ambiguï-té de ce qui a trait au biographique: il s’agit d’un détail du tableau