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Les récipients réalisés dans des os longs d’oiseaux ou de grand herbivore, ainsi que les canons de bois de cervidés sont parfois remplis de matière colorante sous forme de poudre ou d’une

pâte. Ils ont pu servir à conserver et déplacer des petites quantités de poudre colorante ou de

préparation à base de matière colorante comme dans l’Aurignacien des Cottés dans la Vienne

(Déchelette 1908). Le site de Spy (Aurignacien, Belgique) à livré trois tubes contenant de la

poudre colorante (de Puydt & Lohest 1887). À Lascaux, une vingtaine de tubes en os d’oiseau

renferment également des poudres colorantes (Couraud & Laming-Emperaire 1979). Il est

en-visageable que ces objets creux aient été bouchés avec un bouchon végétal.

11. Les résidus de poudre sur des objets d’art mobilier ou des objets utilitaires décorés en

ivoire, en os, en bois de cervidé ou en pierre. Les os, notamment les os de mammouth

four-nirent de grandes surfaces qui ont été sporadiquement décorées. Ainsi, dans le magdalénien

d’Ukraine, à Mezine et Mezirichi de grands ossements de mammouth (omoplate, fragments

d’omoplate, mandibules, bassin et fémur) ont-ils été ornés à « l’ocre rouge » de décors

géomé-triques faits de bandes parallèles linéaires ou en forme de chevrons (Soffer 1985). À Mezirichi,

un crâne de mammouth, dont l’os frontal a reçu un décor rouge composé de lignes et de points

était posé à l’entrée de la structure d’habitat. Les auteurs proposent l’hypothèse selon laquelle

ces ossements faisaient partie de la charpente de l’habitation et avaient été décorés pour être

ap-préciés soit de l’intérieur, soit de l’extérieur de l’habitation (Kozłowski 1992, Yakovleva 2003).

Le site d’Anetovka (occupé il y a 20 000 ans en Ukraine) compte un cercle de mâchoires de

bison fortement rougies, accompagnées de huit crânes et d’omoplates de bison peints en rouge.

Ces vestiges entourent un espace circulaire couvert d’argile blanche, interprété comme un

es-pace rituel (Stanko 1999).

D’autres supports exceptionnels, par leur rareté et leur haut degré d’élaboration, ont accueilli

des matières colorantes. Plus de trentestatuettes anthropomorphesportant des traces de

ma-tière colorante ont été mises au jour (d’après Zinnen 2004). Elles n’apparaissent pas avant le

Gravettien et ne se rencontrent qu’en Europe. Ces statuettes ont souvent été façonnées dans

des pierres tendres (marne, calcaire, stéatite), mais aussi dans de l’ivoire de mammouth ou des

bois de cervidé. Les statuettes animalières ocrées, quant à elles, sont moins nombreuses. Elles

apparaissent dès le Paléolithique supérieur ancien en Europe orientale. Il existe peu de

témoi-gnages de statuettes pour lesquelles l’origine des résidus de couleur a été interprétée comme

un ajout volontaire. La Vénus de Willendorf, par exemple, façonnée dans du calcaire, a été

retrouvée entourée d’une couche rouge attribuée au séjour dans le sédiment. Les traces rouges

sur le visage de l’« homme de Brno », sculpté dans l’ivoire de mammouth, n’ont pas encore

été interprétées. La « Vénus de Milandes », une statuette phallo-féminine, a conservé les traces

d’un encroûtement ferrugineux brun-ocre attribuées à son long séjour dans des terrains

sidé-rolithiques du Dordogne (White 2002).A contrario, dans le Magdalénien de Laugerie-Basse

(Dordogne), la « Vénus impudique » constitue un témoignage exceptionnel de peinture sur une

statuette en ivoire. Un bandeau rouge est figuré sous la poitrine et jusqu’au sexe. Les statuettes

gravettiennes de Grimaldi, en stéatite, semblent avoir été peintes car des résidus de rouge sont

régulièrement observés sur des zones précises de l’anatomie, plus particulièrement le ventre,

les seins et le sexe (Bolducet al. 1996, Zinnen 2004). L’auteur interprète ces ajouts de couleur

rouge comme des témoignages potentiels de peintures corporelles ou d’usage de cosmétique

à base d’hématite. Mais il n’exclue pas que ces peintures représentent des vêtements ou des

décors sur des vêtements (Walter 1995). De nombreux objets en bois de renne, en os ou en

ivoire ont été gravés et ont conservés dans les stries ou sur toute la surface des restes de couleur

rouge ou noire. Dans ces cas, relativement bien représentés, l’origine de la coloration rouge

fait l’objet de plusieurs hypothèses. Ont-elles simplement un rôle technique ou s’agit-il d’une

décoration volontaire ?

Les résidus de poudre rouge peuvent en effet résulter d’uneaction techniquevolontaire

des-tinée à améliorer l’aspect et la qualité de la surface de l’objet par abrasion. Nous reviendrons

sur cette propriété de l’hématite. Pour certains auteurs, les matières colorantes avaient un autre

rôle technique. Elles auraient permis de faire ressortir les gravures réalisées sur un objet

préala-blement enduit de matière colorante (Peyrony 1930, Mons 1972). Elles auraient également pu

servir de guide pour la gravure, si un dessin était tracé sur l’objet avant de le graver (San Juan

1990b). On ne peut cependant pas exclure que des objets utilitaires aient été décorés avec

de la peinture ou de la poudre colorante comme la démonstration a pu être faite pour un

lis-soir du Mas d’Azil. La gravure, représentant une vache et son veau, a été rehaussée de peinture

constituée d’un mélange d’oxyde de manganèse et d’une charge à base de feldspath potassique,

répondant à une recette de peinture mise en évidence sur des objets d’art mobilier et sur les

pa-rois du réseau Clastre (Buissonet al. 1989, Clotteset al. 1990, Menuet al. 1993, Menu 2001).

12. Les résidus de poudre sur des objets de parure en matière osseuse ou en coquillage.

L’in-terprétation de ces résidus, exclusivement rouges, et généralement situés au niveau de la

perfo-ration, laissent encore ouvertes les questions du fait des nombreux agents qui peuvent les avoir

produits. Les perles concernées sont surtout aménagées dans des coquilles marines. C’est dans

les anfractuosités des plus anciennes perles connues que des résidus de poudre rouge ont été

emprisonnés. En effet, à Qafzeh (Israël, 90 000 B.P.), des coquilles marines perforées et ocrées

ont été retrouvées dans les couches archéologiques qui renferment les sépultures (Taborin 2003,

d’Erricoet al. 2003a). Avec l’augmentation du nombre d’éléments de parure corporelle, ces

« perles ocrées » se font plus fréquentes. Mais l’origine de la poudre rouge n’est pas encore

expliquée. À Blombos (Afrique du sud, il y a environ 70 000 ans), trente-neuf coquilles portent

d’infimes résidus de poudre rouges (d’Erricoet al. 2005). À Oued Djebbana (Algérie,

Até-rien, entre 60 000 et 90 000 B.P.), et dans la Grotte des Pigeons (Maroc, AtéAté-rien, 82 000 B.P.)

des pendeloques en coquillages portent des traces de rouge (Vanhaerenet al. 2006,

Bouzoug-garet al. 2007). Plus tardivement, nombre de pendeloques aurignaciennes mises au jour à Spy

(Belgique) sont couvertes de matière colorante rouge. Ce sont notamment trois pendeloques qui

attirent l’attention, car l’origine du dépôt de matière colorante a été interprétée comme

inten-tionnelle. Trois pendeloques en forme d’oreille ont été façonnées dans de l’ivoire de mammouth

puis auraient peut-être été enduites de poudre ou de peinture rouge (de Puydt & Lohest 1887,

Zinnen 2004). À Marche-les-Dames (Belgique), une pendeloque en matière osseuse a conservé

des traces rouges et noires (Otte 1974). Dans l’Aurignacien final de Climautsi II (Moldavie)

vingt-neuf coquilles percées portent des traces rouges (d’après Zinnen 2004). Selon A. Scheer,

les traces rouges sur les pendeloques de Brillenhöhle et à Mainz-Linsenberg (Allemagne,

Gra-vettien) seraient le résultat d’un contact avec des vêtements en peau couverts de peinture rouge

(Scheer 1995). À Cavillon (Grotte de Grimaldi, Italie), une cache contenait au moins huit cents

coquillages marins perforés parmi plusieurs milliers majoritairement ocrés (Déchelette 1908).

13. Les résidus de poudre sur des outils ayant servi à travailler les matières colorantes, parmi

lesquels on distingue, d’une part les outils servant à racler - les racloirs, les lames et les burins

en silex – d’autre part, les outils servant à concasser et broyer ou sur lesquels les matières

colo-rantes ont été frottées - les percuteurs, broyeurs, les mortiers et pilons, les meules et molettes,

les dalles de pierre, etc. Les plus anciens outils découverts qui auraient travaillé des matières

colorantes sont des galets exploités comme broyeurs. À partir du Moustérien, les outils visant

à extraire de la poudre colorante de blocs bruts se diversifient. La présence de broyeurs à

ma-tière colorante est indiscutable et s’accompagne d’outils en silex tels des racloirs. À partir du

Châtelperronien, les outils de broyage deviennent lourds. Des meules et des dalles de tailles

importantes sont abandonnées. Leur présence est souvent interprétée comme un témoignage de

réduction en poudre de matière colorante. Les sites du Paléolithique supérieur ont livré de plus

grandes quantités d’outil de broyage qui, notamment à partir du Gravettien, ont été aménagés et

dont les formes sont plus variées. De plus, certains outils passifs ont pu être interprétés comme

des palettes à couleur dans les grottes ornées. Ces nombreux outils maculés de matières

colo-rantes devront faire l’objet d’une évaluation méticuleuse du rôle complémentaire qu’ont joué

les matières colorantes et les outils. L’emprisonnement de poudre colorante sur les parties

ac-tives des outils doit pouvoir correspondre à des usures diagnostiques et caractéristiques des

matériaux travaillés. La seule présence de matière colorante sur les parties actives des outils

n’est pas suffisante pour classer ces outils parmi les éléments qui ont permis d’exploiter la