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De nos jours, Arlt jouit de la reconnaissance de la critique. Cependant, son travail a été dénigré par les avant-gardistes de Florida au début du siècle en raison de son style peu « soigné ». Peu à peu, à la faveur de facteurs extralittéraires, tels que les diverses tendances sociopolitiques, la Seconde Guerre mondiale, les mouvements littéraires marginaux sortent l’œuvre de Arlt de l’ombre (Gnutzmann 1984, p. 217). Malgré tout, lors de sa première publication, il a reçu l’appui du groupe Boedo et même de certains écrivains du groupe Florida. Après la parution de son deuxième roman, Los siete locos, les œuvres de Arlt se sont très bien vendues et étaientlues en Argentine et dans les pays voisins, entre autres. Une des raisons de son succès a été sans doute son choix d’aborder les problèmes sociaux du pays, une belle alternative à la littérature de Borges, souvent accusée de manquer de conscience sociale (Hayes 1981, p. 11).

Les premiers commentaires sur le travail de Arlt ont été publiés dans des revues littéraires et souvent écrits par ses amis qui l’ont, évidemment, complimenté. Dans la première critique de El juguete rabioso parue dans la revue Nosotros en 1926, on loue sa

spontanéité et la maîtrise du langage parlé, éléments très appréciés même de nos jours. Un article de 1929 est le premier à faire référence à l’aspect psychologique de ses romans, soulignant l’influence de Dostoïevski, tout en vantant le langage et la syntaxe. En 1930, dans un commentaire par ailleurs élogieux, Petit de Murat critique les scènes érotiques, critique qui deviendra récurrente. Pendant cette période, aucune critique n’analyse en profondeur les œuvres de Arlt. En 1931, l’ouvrage d’Antonio Aita sur la littérature argentine est le premier à mentionner Arlt, pour répudier son style et son manque de profondeur spirituelle. Pendant les années 1940, on lit Arlt sous un autre jour en mettant en relief la dimension psychologique. En 1946, Pagés Larraya analyse l’effet néfaste de la vie urbaine sur les personnages arltiens (thème qui sera repris et étudié plus en détail dans les années 1970 par plusieurs auteurs). En même temps, ces critiques continuent de répudier son style et en viennent à s’interroger sur les raisons de son succès.

À partir des années 1960, de nouveaux éléments de l’œuvre de Arlt retiennent l’attention : l’aliénation, l’angoisse existentielle, la hiérarchie sociale et la métaphysique, entre autres. Gnutzmann signale que, pendant cette dernière période, les critiques ont eu tendance à percevoir les « erreurs » signalées par les critiques précédents comme des éléments narratifs intentionnels. Elle préfère concevoir l’œuvre de Arlt comme un

patchwork constitué d’une combinaison et juxtaposition d’éléments disparates à tous les

niveaux (Gnutzmann 1984, pp. 220-223). La multiplication de travaux critiques sur l’œuvre de Arlt témoigne de la grande importance de l’écrivain dans l'histoire littéraire de l’Argentine (Hayes 1981, p. 11).

Par contre, la traduction tardive des œuvres de Arlt dénote la méconnaissance de son œuvre à l’étranger et le récent engouement autour de son travail. Des traductions allemandes et italiennes de sa trilogie ont été publiées dans les années 70. Les traductions françaises de El jueguete rabioso et Los siete locos n’ont été publiées qu’en 1981 et 1984. Les travaux critiques sur son œuvre en français sont quasi inexistants. Les traductions en anglais sont encore plus tardives ; cependant, il existe plusieurs ouvrages critiques sur Arlt en anglais, quelques-uns très importants, parus avant les traductions elles-mêmes, tel l’ouvrage de Foster, Currents in the Contemporary Argentine Novel, publié en 1975.

Bien que peu traduit, il ne fait aucun doute que Roberto Arlt est un des piliers de la littérature nationale et qu’il a servi de modèle aux écrivains argentins les plus remarquables qui ont su s’illustrer sur le plan international également. Gnutzmann explique que dans Deshoras de Julio Cortazar, il est possible d’identifier plusieurs éléments artliens, tels que la description du monde des bordels, qu’il interprète comme un hommage au romancier. D’après lui, on trouve également dans les œuvres de Manuel Puig, auteur de La Trahison de Rita Hayworth (1965) et le Plus beau tango du monde (1969), l’influence du feuilleton si caractéristique de Arlt. Molina, l’un des personnages de Puig, serait inspiré du personnage homosexuel de El jueguete rabioso. La critique cite également La novela moderna: Roberto Arlt (s.d.) dans lequel Gregorich affirme que la génération du Boom s’est basée sur les travaux de Arlt. Mais selon Gnutzmann, c’est avant tout dans l’œuvre de Ricardo Piglia que l’influence de Arlt est la plus manifeste. Ce dernier lui a d’ailleurs rendu hommage et a témoigné son admiration dans Homenaje a

dernier, les « nouveaux fous » trament une révolution politico-littéraire et le centre de leur discussion est Arlt lui-même. On y reconnait plusieurs caractéristiques arltiennes, telles que les discours d’ordre littéraire ou philosophique, les personnages marginaux, les thèmes politiques et l’intrigue policière, ainsi que l’usage de différents registres de langue.

3.4. Conclusion

Il ne fait aucun doute que Arlt demeure un écrivain controversé. Il a en partie défié les valeurs littéraires de son époque, montrant une nouvelle voie aux générations à venir. Reconnu aujourd’hui comme une figure emblématique des lettres argentines, il a contribué à façonner un style et une langue littéraire propres. Dans El juguete rabioso, le thème de la recherche de soi incarné par le narrateur est rendu grâce à la pluralité des styles qu’il utilise. Le style du feuilleton incarne la rêverie juvénile, tandis que l’argentin, le lunfardo et le langage scientifique représentent la réalité de tous les jours. En même temps, l’utilisation de la langue nationale propose une solution autant à la crise identitaire d’Astier qu'à celle des Argentins, sujet qui tracassait la nouvelle génération. Arlt étale sans aucune gêne les différences entre l’espagnol ibérique et l’argentin. En mettant les deux langues au même niveau dans une œuvre littéraire, il contribue à l’affirmation linguistique du peuple. Reste à analyser, à présent, la façon dont la « lettre du texte » a été rendue par Isabelle et Antoine Berman.

Chapitre Trois