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Une perturbation posturale peut être corrigée par deux mécanismes de contrôle, l’un réactif, l’autre prédictif. Le rôle de ces deux mécanismes est de minimiser l’effet de la

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perturbation. Ils se distinguent notamment par le moment de leur survenue en relation avec l’apparition de la perturbation. Si le premier mode de contrôle ne dépend pas de la nature de la perturbation, le second ne peut être produit en général que lorsqu’un mouvement volontaire ait été la source de perturbation posturale, ou bien parfois dans le cas de perturbations externes reproductibles, donc prévisibles.

Le contrôle postural réactif ou contrôle en feed-back

Les réactions posturales sont déclenchées par les afférences sensorielles mobilisées au début de la perturbation. Elles surviennent donc après un délai. L’approche la plus répandue dans la littérature consiste à imposer une perturbation extérieure au système postural, de façon transitoire et aléatoire, et à analyser la réponse compensatrice qui résulte de cette perturbation (Nashner et al., 1979). Ce type de perturbation s’applique soit directement sur le sujet lui- même soit indirectement par le biais d’un support sur lequel celui-ci prend appui.

Le contrôle postural prédictif ou contrôle en feed-forward

Le mouvement volontaire de tout ou d’une partie du corps est une source potentielle de déséquilibre de la posture de référence. Il n’est pas étonnant qu’un mouvement volontaire soit accompagné d’une activité posturale comme cela a été établie chez l’Homme par Belen’kii & collaborateurs (1967), et chez l’animal par Ioffe & Andreyev (1969). Ainsi, les Ajustement Posturaux Anticipés (APAs) corrigent à l’avance la perturbation posturale induite par le mouvement volontaire. Les APAs débutent nécessairement de façon concomitante ou avant que la perturbation ne se produise (Bouisset & Zattara, 1981; Massion, 1992). La première finalité des APAs est d’assurer l’équilibre et de maintenir la posture en dépit des perturbations causées par le mouvement. Autrement dit, ils permettent de prévenir les déséquilibres induits par le mouvement lui-même et de stabiliser l’orientation d’un segment corporel pour que celui-ci reste un référentiel stable. Le second rôle des APAs est d’assurer une préparation posturale

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préalable à la réalisation de mouvements, notamment lors du mouvement du membre inférieur. Enfin, les APAs assurent l’assistance au mouvement en terme de force ou de vitesse (Massion, 1998).

Il est possible d’identifier trois sources principales de perturbation de l’équilibre et de la posture liées à la réalisation d’un mouvement volontaire. Premièrement, le mouvement d’un membre inférieur entraîne obligatoirement une perturbation majeure de l’équilibre du fait que ce membre sert normalement de support au sol. Que ce soit lors d’une tâche de lever de jambe (Mouchnino et al., 1992, 1993) ou lors de l’initiation de la marche (Breniere et al., 1981; Crenna & Frigo, 1991; Assaiante et al., 2000), il est nécessaire d’utiliser des APAs pour déplacer au préalable le centre de gravité vers la jambe d’appui afin de délester la jambe qui va effectuer le mouvement et d’assurer l’équilibre pendant le mouvement du membre. Deuxièmement, le mouvement peut modifier la géométrie du corps et ainsi perturber la position du centre de gravité, entraînant de ce fait un déséquilibre. Lors de mouvements volontaires du tronc vers l’avant, de nombreuses études (Babinski, 1899; Crenna et al., 1987; Vernazza et al., 1996) ont montré un déplacement simultané de la hanche et des genoux dans la direction opposée à celle du tronc afin de compenser avec précision le déplacement du centre de gravité qu’aurait produit le seul mouvement du tronc. Troisièmement, le mouvement d’un segment corporel donné, par exemple le bras, peut également perturber la position d’autres segments corporels tels que le tronc (Bouisset & Zattara, 1987; Bouisset, 1991) ou l’avant bras, dit postural, sur lequel repose un objet que le sujet doit soulever (Hugon et al., 1982; Paulignan

et al., 1989; Massion, 1997). Dans le premier cas, les APAs permettent de préserver l’équilibre

en contrôlant précisément la position du centre de gravité, dans le second cas, les APAs servent à stabiliser l’orientation d’un segment postural, utilisé comme référentiel égocentrique pour améliorer l’organisation du mouvement.

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Une coordination étroite entre le mouvement et la posture : Le cas de la tâche du garçon de café

La réalisation d’un mouvement de tout ou d’une partie du corps implique une organisation temporelle précise de patrons musculaires permettant la réalisation de la tâche. En effet, l’étude des processus mis en place lors de la réalisation de tâches coordonnant deux mouvements manuels montre que la coordination entre les programmes moteurs de chaque main nécessite à la fois un couplage temporel et spatial qui passe par une communication entre les hémisphères cérébraux (Donchin et al., 1999). Ainsi, l’optimisation du mouvement rend indispensable l’existence d’une coordination étroite entre le mouvement et la composante posturale (Massion, 1992). Au final, la coordination posture-mouvement assure une meilleure efficacité du geste.

La tâche du garçon de café, ou tâche bimanuelle de délestage, est un exemple illustratif de la coordination complexe entre un mouvement et la posture impliquant un segment corporel. En effet, quand un garçon de café porte des bouteilles et des verres disposés sur un plateau, et qu’il soulève un des éléments du plateau, la stabilité horizontale du support est préservée. La stabilisation optimale du plateau est due à la fonction d’anticipation. En effet, grâce aux APAs présents parce que le délestage est effectué sur la base d’un mouvement volontaire, la rotation du coude consécutive à la décharge soudaine du plateau est minimisée (Hugon et al., 1982). Hugon & collaborateurs (1982) ont montré, chez l’adulte, que cette anticipation posturale se traduit par une inhibition des muscles fléchisseurs du bras postural juste avant le début du délestage. De plus, il existerait une organisation temporelle précise entre les activités musculaires impliquées dans le soulèvement de l’objet et celles impliquées dans le maintien de la position horizontale de l’avant-bras postural, suggérant une étroite coordination entre la posture et le mouvement.

En revanche lorsque le délestage est réalisé à l’insu du sujet, l’avant-bras subit une flexion involontaire vers le haut. Cette déstabilisation, provoquée par la chute du poids, est la

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conséquence d’un phénomène biomécanique. En effet, les muscles fléchisseurs exercent, par leur contraction, une force qui s’oppose à celle du poids. Lorsque que le poids tombe de façon imprévisible, le sujet n’a pas la possibilité d’annuler cette force. Le raccourcissement soudain des muscles provoque alors la flexion de l’avant-bras postural vers le haut et donc sa déstabilisation. Ce raccourcissement est suivi d’une correction réflexe immédiate se traduisant par une diminution d’activité des muscles fléchisseurs, connue sous le nom de réflexe de délestage (Hugon et al., 1982).

Les paramètres contrôlant les APAs chez l’adulte

Des travaux antérieurs ont porté sur l’étude des paramètres contrôlant les APAs utilisés par l’adulte au cours de la tâche bimanuelle de délestage. Il en ressort qu’un délestage imposé à intervalles réguliers, pourtant prédictibles par le sujet, ne permet pas d’anticiper les conséquences du délestage (Dufosse et al., 1985). A l’inverse dans certaines conditions, une anticipation posturale peut être apprise. Effectivement, lorsqu’on crée un lien mécanique artificiel entre un mouvement volontaire du bras controlatéral au bras postural, tel que le soulèvement d’un objet posé sur une plate-forme, qui provoque le lâcher du poids suspendu à l’avant-bras postural, un adulte sain apprend à utiliser des APAs pour compenser l’effet de la perturbation provoquée par le délestage. Cependant, les APAs sont acquis uniquement lorsque le mouvement volontaire s’applique à une articulation proximale, et ceci quels que soient les paramètres du mouvement exercé (que l’on privilégie un déplacement ou l’exercice d’une force) (Paulignan et al., 1989). Ainsi, le délestage de l’avant-bras postural provoqué par un appui sur un bouton ne permet pas l’utilisation d’APAs (Paulignan et al., 1989). Dans ce cas, il s’agit de coordonner deux articulations de nature différentes, proximale pour l’avant-bras et distale pour le doigt. Cette coordination, plus éloignée d’un contexte naturel, ne permet pas l’utilisation des APAs. En revanche, lorsqu’une coordination est utilisée entre deux doigts, l’un supportant un poids, l’autre réalisant le mouvement de soulèvement de l’objet à l’aide d’un

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système de coordination artificielle tel que celui décrit plus haut, on voit à nouveau apparaître des APAs (Kaluzny & Wiesendanger, 1992). Dans cette dernière étude, deux articulations de même nature, distales, sont alors utilisées. Ainsi, lors de la production des APAs, non seulement le passage d’un contrôle réactif vers un contrôle prédictif doit se réaliser sur la base de la construction d’une représentation interne, mais la coordination n’est réussie que lorsqu’elle est reproduite dans un contexte pratiqué de longue date par le sujet, comme cela a également été montré pour l’utilisation des APAs dans d’autres tâches bimanuelles (Blakemore

et al., 1998).

Enfin, une autre propriété révélée par l’apprentissage d’une coordination artificielle au cours de cette tâche est le caractère non-transférable des APAs utilisés. Effectivement, chez un même sujet, ce type d’apprentissage réalisé sur un bras postural n’est pas facilité lorsqu'on change de bras postural. Cette aptitude mémorisée est donc latéralisée et non transférable à l’autre avant-bras (Ioffe et al., 1996).

2. Le développement de l’anticipation posturale au cours de l’enfance

Dans la littérature, l’émergence des capacités à anticiper les perturbations posturales est explorée au travers de nombreuses situations telles que la saisie, la locomotion et la manipulation d’objet…