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b. Maturation des représentations du corps au cours du développement

De nombreux auteurs se sont efforcés de décrire les étapes de la prise de conscience de la corporalité au cours de l’ontogenèse (Lhermitte, 1939; Gesell, 1946; Piaget, 1956; pour revue Wittling, 1968). Cette ancienne littérature, basée sur l’observation, fait date actuellement

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puisque aucune autre étude à ce jour n’a exploré la construction des représentations du corps malgré le développement de nouvelles méthodes d’investigations.

Les premiers mois de la vie d’un nouveau-né sont marqués par un comportement caractérisé par des mouvements incoordonnés dénoués de spatialité. Spitz (1963) observe, chez des enfants âgés de 15 semaines, un déplacement des yeux dirigés vers leurs membres lorsqu’ils s’agitent, suggérant une prise de conscience des membres. Vers le cinquième mois, le bébé s’occupe non plus seulement de ses mains, mais des objets que celles-ci peuvent saisir. D’après les observations de Lhermitte, la distinction entre le corps et les objets environnants ne survient que vers le neuvième mois (Lhermitte, 1939). A la fin de la première année, l’enfant a palpé les diverses régions de son corps et il a reconnu que celles-ci se reliaient entre elles pour composer une unité. Cette notion de corporalité propre se développera encore jusque vers l’âge de 2 ans. Selon Piaget (1956), jusqu’aux âges de cinq à huit ans, le jeune enfant continue d’acquérir les éléments constitutifs de sa propre image corporelle et inconsciemment s’occupe à les organiser. Entre huit et dix ans seulement, l’enfant peut identifier toutes les parties du corps d’autrui et qualifier correctement les gestes, les attitudes qui figurent dans les représentations picturales.

Une fois la corporalité construite, il est nécessaire de prendre en compte les modifications du corps qui peuvent survenir au cours de la vie. En effet, le corps est en changement continuel à travers la vie surtout au cours de l’enfance et l’adolescence où une croissance importante peut être observée. Maintenir un schéma corporel fonctionnel est le garant d’une motricité harmonieuse en accord avec l’environnement dans lequel le corps se situe. Ainsi, une mise à jour du schéma corporel est indispensable. Cette fonction constitue une des propriétés fondamentales du schéma corporel qui est la plasticité. Déjà, Head & Holmes (1911) écrivaient « For those combined standard, against which all subsequent changes of

posture are measured before they enter consciousness, we proposed the word « schema ». By

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ourselves which constantly changes. Every new posture or movement is recorded on this

plastic schema, and the activity of the cortex brings every fresh group of sensations evoked by

altered posture into relation with it. Immediate postural recognition follows as soon as the

relation is complete ». Avec ces quelques lignes, deux principales caractéristiques sont

décrites. Premièrement, le schéma corporel est une représentation sensori-motrice plastique qui est mise à jour continuellement à partir des informations proprioceptives, kinesthésiques et tactiles (Cardinali et al., 2009). Deuxièmement, cette mise à jour se fait de façon inconsciente, ne nécessitant pas un effort attentionnel (Cardinali et al., 2009).

Ces deux propriétés suggèrent que le schéma postural est en réalité une entité pré-existante dés la naissance. En effet, alors que l’expérience semble jouer un rôle certain dans la construction et les modifications du schéma corporel au cours de la vie, au moins quelques éléments ne sont pas dépendants de l’expérience, ou au moins peuvent être présents dés la naissance (Bahrick & Watson, 1985). En interrogeant le schéma corporel durant l’enfance, Morgan & Rochat (1997) montrent que les nourrissons âgés de 3 mois sont capables de mettre en correspondance les évènements proprioceptifs et visuels. De récents travaux montrent que le nouveau-né possède une connaissance implicite de son corps (pour revues, Rochat, 2002; von Hofsten, 2007). Dès la naissance, le nouveau-né manifeste une connaissance sensori-motrice de son propre corps. Cette connaissance précoce repose sur les perceptions intermodales (visuelle et proprioceptive) du corps en mouvement dont sont capables les nouveau-nés dès la naissance, et même avant. En effet, à partir du troisième mois de gestation, le fœtus bouge, entend et présente une sensibilité tactile (Humphrey, 1970). Le fœtus serait donc potentiellement capable de faire l’expérience unique du corps propre sur la base de sensations combinées extéroceptives (extérieures à son corps) et intéroceptives (propres à son corps).

L’existence de représentations pré-existantes du corps est également renforcée par des études récentes portant sur les troubles de la coordination observés à l’adolescence. En l’absence de schéma postural réactualisé au cours de la vie et donc par conséquent préconçu

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dès la naissance, les changements physiques observés au cours de la puberté ne devraient pas venir interférer avec l’intégration des différentes informations sensorielles et de ce fait les performances comportementales ne devraient pas varier. Cependant, des études récentes ont montré que l'apparition de difficultés de coordination à l’adolescence serait intimement liée à des vitesses de croissance élevées (Visser et al., 1998; Hirtz & Starosta, 2002). D’autre part, des défauts de coordination des mouvements ont été mis en évidence chez un sujet souffrant d’achondroplasie (forme de nanisme) après extension chirurgicale des membres inférieurs, et chez des adultes sains portant des échasses (Dominici et al., 2009). Enfin, Viel et collaborateurs (2009) montre une négligence des informations proprioceptives dans le contrôle de l’orientation posturale au cours de l’adolescence.

Comme nous venons de le voir, de multiples définitions peuvent être données au concept de représentations du corps. Centré sur le contrôle de la posture associé au mouvement, le terme de schéma corporel tel que défini par Head & Holmes sera employé pour mentionner la représentation du corps. Ainsi, le schéma corporel produit, sur la base d’un référentiel égocentré, une représentation interne de la géométrie du corps, de sa dynamique et de son orientation par rapport à la verticalité. Cette représentation est utilisée pour la perception de la position du corps et son orientation dans l’espace. De plus, elle est utilisée pour produire des réactions posturales permettant de préserver la stabilité de la position du corps (Clément et al., 1984; Gurfinkel et al., 1988).

2. Les représentations de l’action