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Chapitre 3: l'expérience olfactive de nature : une expérience pour soi

3. Quid de l’olfactif dans les environnements restaurateurs urbains?

De par son potentiel émotionnel et mémoriel, l’olfaction pourrait donc, dans un certain contexte, jouer un rôle important dans le potentiel restaurateur d’un lieu et d’une expérience.

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En revanche, s’il existe une abondante littérature mettant en avant le caractère restaurateur des expériences de nature, la littérature concernant le potentiel restaurateur qu’offrirait une expérience olfactive –sans même parler d’expérience olfactive de nature– reste limitée (Henshaw, 2014, p. 175), contrairement aux études portant sur d’autres sens, particulièrement la vue et l’ouïe, pour lesquelles les recherches se sont multipliées au cours des dernières années.

Ainsi, dans le sillage des études menées par Ulrich, de nombreuses études vision-centrées, sur les préférences des individus en termes de paysages et de variables écologiques et les retombées que cela pouvait avoir sur leur santé et leur bien-être. D’autres travaux, plus rares, se sont intéressés aux autres sens : l’audition, le toucher ou l’odorat.

Payne (2008) a ainsi examiné les qualités restauratrices de l’environnement sonore de deux parcs urbains dans la ville de Sheffield, au Royaume-Uni. Elle a ainsi interpelé 400 visiteurs de ces parcs au moment où ils en sortaient et les a interrogés sur leur visite, sur leur restauration ressentie, ainsi que sur leur perception du paysage sonore de ces parcs. De ses résultats, Payne conclut que la perception de l’environnement sonore joue un rôle non négligeable dans le potentiel restaurateur des expériences de nature vécues dans les parcs urbains. En 2013, elle a d’ailleurs créé une échelle pour évaluer la capacité d’un environnement sonore à apporter une restauration psychologique (Payne, 2013). Dans la lignée de ces travaux, d’autres études ont continué à étudier le potentiel restaurateur des expériences auditives de nature, dont celles de

Ratcliffe et coll.(2016, 2013), menées autour des chants d’oiseaux. Dans leur étude de 2016, après avoir fait écouter les chants de 10 oiseaux à des volontaires, ces auteurs leur ont demandé d’attribuer à chacun un score de restauration potentielle perçue (PRP dans l’article). Leurs résultats montrent que le PRP attribué au chant des oiseaux dépend des qualités environnementales que les individus associent à chaque chant. Ainsi, les chants d’oiseaux ayant obtenu un PRP sont ceux à qui les répondants ont associé des environnements riches en ressources naturelles, ce qui fait le lien ici avec le travail d’Ulrich (1983), mais aussi des environnements qui leur sont familiers et ayant une charge émotionnelle personnelle, comme des jardins ou des maisons de famille.

Même s’il est moins sollicité, le sens du toucher est tout de même présent dans certaines études. Par exemple, Bajič (2014) ou Harvey et coll. (2016) ont montré qu’un acte aussi simple que celui de retirer ses chaussures et d’avoir un contact direct de la peau à la terre pouvait avoir résultats bénéfiques chez les personnes qui le font et éveiller chez elles des sensations de joie, de plaisir, de liberté et de relaxation. Dans une étude de 2017, Biquet et coll. (non publié) ont exploré le potentiel d’un parcours pieds-nus implanté dans un parc zoologique à apporter une

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expérience de nature dans un contexte très urbanisé. Ils en ont conclu que ce parcours tactile venait enrichir l’idée qu’un visiteur du zoo pouvait se faire de la nature et en cela, pouvait constituer une expérience de nature à part entière. D’autres études se penchent non pas sur le toucher tactile, mais sur le ressenti par la peau et le corps dans l’espace, une sensation kinesthésique –qui concerne la sensation de mouvement e notre corps et sa perception. Ces études s’intéressent notamment aux mouvements d’air et aux conditions thermiques ressenties dans les lieux publics. Si on se réfère à l’ART, ces sensations liées au toucher, comme une légère brise, peuvent constituer des éléments de “fascination douce”, qui peuvent alors améliorer la concentration (Stephen Kaplan, 1995).

Henshaw (2014, p. 176), enfin, s’est focalisée sur l’olfaction, et a identifié quatre grandes catégories d’odeurs restauratrices à partir de ses recherches sur les environnements olfactifs urbains : 1) les odeurs de vent, le flux d’air et l’« air frais », correspondent davantage à une synesthésie- c’est-à-dire une association de plusieurs sens à partir d’un seul stimulus- de température de l’air, de force du vent et d’absence d’odeurs, plutôt qu’à une odeur particulière ; cela fait écho aux études sur le toucher citées ci-dessus ; 2) les différentes pièces d’eau, qui semblent avoir un effet rafraichissant et purifiant sur l’air, tout en ayant leur propre gamme d’odeurs ; 3) les odeurs restauratrices non naturelles, associées notamment à des lieux de loisirs et de ressourcement comme les églises ou les musées ; et 4) les odeurs de végétation ou des espaces plantés, notamment avec des arbres, dont l’inhalation semble avoir un effet positif sur les participants de ses études. Ces résultats, en particulier la quatrième catégorie, sont concordants avec ceux de Quercia et coll. (2016). Dans leur étude, ces chercheurs ont modélisé des cartes olfactives des rues de Londres et de Barcelone à partir de données issues de réseaux sociaux et des mots-clés (ou hashtags #) attachés à ces lieux pour en décrire l’odeur. A partir de lexiques de mots liés aux émotions, ils ont pu classer les mots-clés attachés à l’odeur des rues en sentiments positifs ou négatifs. Ils ont ainsi mis en évidence une corrélation entre les émotions positives et les rues présentant des odeurs de nourriture et, ce qui nous intéresse davantage, de nature. Ce résultat ressort très bien sur les cartes que les auteurs ont jointes à leur article (figure 15), où l’on peut nettement distinguer les parcs de Londres, correspondant aux ensembles de rues vertes, le vert symbolisant des émotions positives. Ainsi, il y a une concordance entre les sentiments positifs ressentis dans les rues présentant des odeurs de nature et l’une des quatre catégories d’odeurs restauratrices définies par Henshaw. Le fait que dans

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mes études, la grande majorité des descriptions d’expériences olfactives récoltées dans les parcs soient également des expériences positives nous confortent également dans ce sens.

Les sentiments négatifs, quant à eux, sont, chez Quercia et coll. liés aux odeurs de déchets et de métro. Dans le cadre de mes protocoles, ces sentiments négatifs apparaissent principalement dans les expériences olfactives décrites devant la gare de Lyon et l’Hôpital Necker, points contrôles de mon étude sur les parcs urbains, où les individus donnent une appréciation négative de la qualité de l’expérience olfactive, liée notamment à la pollution et aux odeurs des véhicules à moteur :

« Là on sent bien la pollution. On est à Paris, du coup mon odorat est plutôt en sourdine, parce qu’il y a souvent des odeurs très désagréables de voitures, d’urine dans le métro… Il vaut mieux ne pas trop y prêter attention… C’est ça, la pollution et les voitures suppriment les odeurs, on ne

sent plus que ça » (Femme, 61-70 ans, devant la Gare de Lyon).

Figure 15: "Smellymap" de Londres, d'après Quercia et al. (2016). Les rues auxquelles des sentiments négatifs sont associés sont colorées en rouge, celles avec des sentiments positifs en vert.

Truong 84 « Ici, une odeur de chaleur, de vent, mais pollué. Ça sent fort la pollution et

c’est très désagréable et énervant. On sent les voitures et le bus qui passent

sur la route. » (Homme, 51-60, devant l’hôpital Necker).

Les émotions négatives apparaissent également devant l’enclos des Yaks à la ménagerie du Jardin des Plantes, où les individus qui n’ont pas l’habitude de l’odeur de la bouse de vache considèrent l’odeur de celle des yaks comme nauséabonde.

« Ici ça sent très fort les excréments des yaks. Je n’ai pas l’habitude de la

campagne, et je n’aime pas du tout cette odeur !! » (Femme de 31-40 ans,

devant l’enclos des yaks, Jardin des plantes).

Ainsi, comme on peut le voir, les études portant sur l’importance de l’olfactif dans le cadre d’expériences restauratrices de nature, s’il en existe un petit nombre, sont très récentes, et de nouvelles recherches seront nécessaires pour affiner ces connaissances.