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EN QUETE D'UNE VOITURE

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— Vous voulez voir monsieur Boulanger ?

L'homme en casquette qui me parle de derrière le guichet des ren- seignements est plus étonné que si la foudre lui tombait dessus.

— Mais on ne peut pas voir monsieur Boulanger comme ça, voyons !

Il est onze heures. Dans quelques minutes je serai fixé sur la possi- bilité d'avoir une 2 CV Citroën. J'ai lu et relu, dans le métro qui m'a amené quai de Javel, les arguments convaincants qui doivent me faire obtenir l'indispensable voiture.

L'essentiel, pour l'instant, est de trouver les arguments nécessaires pour convaincre l'homme à la casquette.

Je bluffle au maximum :

— Mais, monsieur Boulanger m'a encore dit dernièrement de ne pas hésiter à le voir lors de mon passage à Paris. Et ça lui fera telle- ment plaisir...

— Vous le connaissez bien, alors ?

Le garçon est devenu subitement très aimable et me prie de me rendre dans un bureau où je renouvellerai ma demande.

Me voici déjà dans le bureau du directeur commercial qui me dit que monsieur Boulanger n'est pas actuellement à Paris, mais que si je veux bien lui communiquer le but de ma visite...

— Sur le point de partir en Afrique noire réaliser, sous le haut patronage du ministère de la France d'Outre-Mer, un voyage d'études, j'ai songé que la firme Citroën serait peut-être heureuse de mettre à ma disposition un véhicule.

— Quel véhicule ?

— Une 2 CV.

J'ai l'impression que l'homme qui m'écoute est diablement intéres- sé et que tout à l'heure je vais pouvoir sauter au cou du grand Jo en lui annonçant mon premier succès.

— Cher monsieur, je suis certain que notre excellente petite voiture pourrait faire le voyage. Mais la firme Citroën ne saurait faire de la publicité pour une voiture qui, sur le marché, voit la loi de la demande bien supérieure à celle de l'offre.

Je réponds brillamment à toutes les objections, et malgré l'éviden- ce, je joue encore gagnant.

— De toute façon, je ferai ce voyage avec une 2 CV, cela, vous ne pouvez m'en empêcher. Et il est certainement de votre intérêt de m'aider plutôt que de me laisser partir avec une voiture achetée d'occasion, qui risquerait, en cas de défaillance mécanique, de vous ridiculiser.

— Vos raisons sont excellentes, mais je suis certain que monsieur Boulanger vous répondrait de la même façon que moi. D'ailleurs, je m'efforce toujours de prendre les décisions qu'il prendrait, lui, même si j'en envisage d'autres qui, personnellement, me semblent préfé- rables. Mais allez donc voir Renault ou Panhard, qui ne boudent pas la publicité...

— Malgré tout, je verrai monsieur Boulanger.

— Je tiens à vous prévenir que ce ne sera pas facile. Monsieur Boulanger est plus difficile à joindre qu'un ministre.

Au lieu de me décourager, cette affirmation ne fait que me stimuler.

Et pour ne pas rester sur un échec, je me promets de voir monsieur Boulanger, par n'importe quel moyen, et Dieu sait si mon imagination est fertile.

Sympathique, malgré sa raideur de jugement, le directeur commer- cial me serre cordialement la main en me disant très sérieusement :

— De toute façon, deux chevaux ou pas deux chevaux, je donnerais cher pour être à votre place... Faire un voyage pareil... Je vous envie...

— Ce serait de l'argent bien mal placé !...

(Si monsieur X... lit ce livre, il comprendra !!! car à l'époque, je n'ai pu le lui expliquer...)

Accoudé au bar d'un café du quai de Javel, le grand Jo relève sur un annuaire le nom et l'adresse de toutes les firmes importantes que nous allons visiter.

— Alors, Paul, est-ce que ça a marché ?

— Ça n'a pas marché, mais on ne m'a pas ri au nez, et j'ai la conviction que notre projet est sensé.

« Passe-moi toutes les adresses des firmes automobiles, Renault, Panhard, Peugeot, Simca, Ford, Rosengart. C'est bien le diable si sur le nombre, il n'y en a pas une qui ne soit intéressée. D'ailleurs, tout n'est pas perdu avec Citroën, je pense voir Boulanger demain.

(Monsieur Boulanger mourait le lendemain...)

Le métro où nous sommes entassés, avec tous ces Parisiens qui ren- trent chez eux pour midi, nous ramène à notre hôtel de la rue de Buci.

Je me sens en pleine forme.

Toujours flanqué de Monterin, je débouche de la station de la Porte d'Ivry, toute proche de la firme Panhard, point de mire de ma deuxiè- me démarche.

On entre plus facilement chez Panhard que chez Citroën, c'est de bon augure. Je suis encore obligé de laisser mon frère d'armes à la porte. Ses habits sentent trop le presque clochard, bien qu'ils soient propres. Un pantalon de l'armée mal teint masque mal ses longues jambes trop maigres. La veste à carreaux laisse apparaître les épaules minces et le buste étroit.

Un garçon sans casquette me fait remplir une petite fiche sur laquelle je marque, comme objet de ma visite : voyage d'études en Afrique noire, avec une ou deux automobiles Panhard. En face de la

« personne demandée », j'écris sans sourciller : Monsieur Panhard père.

— Monsieur Panhard ne peut vous recevoir, me chuchote l'employé. Mais le chef des services de publicité se fera un plaisir de vous accueillir.

Cachant mal son étonnement de me découvrir si jeune, un homme, aussi affable que grisonnant, m'écoute en prenant des notes. Sa

méfiance disparaît devant mes explications. Enfin, celui-là est visible- ment intéressé.

Maintenant, c'est le chef de la publicité qui essaie de me con- vaincre, sur la solidité des automobiles. Panhard ; peu m'importe, l'es- sentiel est d'avoir une voiture, fût-ce une vieille guimbarde. L'Afrique est le pays des guimbardes, je l'ai constaté tant de fois sur les routes du Sénégal.

— Pour quand vous faut-il votre véhicule ?

— Il faut absolument que nous puissions partir avant le 15 décembre, afin d'éviter les grosses chaleurs et la saison des pluies.

Le grand Jo montre son nez derrière une vitre, je lui fait signe de décamper, ce qu'il exécute immédiatement de peur de faire rater l'affaire...

Nous sommes maintenant dans les petits détails, toit de la voiture isothermique, glaces « deflecto », sièges-couchettes, pneus sable, phares mobiles...

La seule chose qui m'intéresse, le paiement de la voiture, n'a pas encore été abordée. Je n'ose pas en parler.

— Mais est-ce que vous comptez payer cette voiture ?

— Certes oui, mais comme j'organise ce voyage grâce à un autofi- nancement, je suis certain que vous ne verrez que des avantages à être dédommagé par l'énorme publicité qui sera faite autour de notre raid transafricain.

Mon homme en avale sa salive...

— Vous donner une voiture... Mais ce serait la première fois...

Pour ne pas perdre le contact, je m'empresse d'ajouter :

— Il n'est pas question pour vous de me donner la voiture mais de me la confier pendant la durée du voyage, et si vous le désirez vrai- ment, je puis, bien sûr, vous l'acheter à la condition que vous me fas- siez le crédit nécessaire.

— Pour le crédit, il faut vous adresser à une société financière.

Sans perdre le temps d'expliquer à Jo le résultat de l'entretien, je cours jusqu'au métro et lui demande de me mener au siège de la so- ciété, dans le deuxième arrondissement, je crois.

Je me laisse rouler comme un aveugle dans ce fichu métro.

Monterin me tire pour descendre, pour changer de ligne, et s'il a le malheur de se tromper, je l'incendie d'injures. Dans mon esprit, il n'y

a de place que pour une seule chose : mon départ pour l'Afrique, tout le reste n'existe pas.

L'homme qui me reçoit, à la Société de Crédit, est très aimable, mais quand il me demande quelles sont les garanties que je puis lui fournir, je ne suis qu'un client comme tout le monde, un client par sur- croît qui n'a pas de garantie, les financiers n'aiment pas beaucoup ces gens-là... et je pars vers la découverte de l'indispensable garantie.

Le même soir, j'écris à mon père une lettre pathétique où je deman- de une garantie...

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