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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Ce livre raconte les aventures d'un jeune « vrai-faux reporter » prêt à tout pour devenir l'égal des plus grands noms de la presse des années 50. Une histoire authentique qui se déroule à l'occasion du Rallye Alger-Le Cap, à l'époque « la plus longue course automobile du monde ». On est loin du Paris-Dakar !

Paul Ribeaud a voulu entrer dans la vie par « la grande porte ». Son récit aligne les coups de pied dans cette fameuse porte faite d'un bois que la langue lèche, pour la défoncer tels qu'il les a donnés. Pages écrites à la diable, dans un style dru et âpre, comme il a bagarré.

Conduire un camion à mort, prendre l'avion en clandestin ; clochard un soir, flambeur le lendemain ; voilà Paul Ribeaud à pleine vitesse, en Afrique.

Joseph Kessel a dit de l'auteur de la Grande Porte : « Il témoigne d'une ténacité et d'une invention dans les moyens assez rares. »

Quant à Lucien Bodard, il a écrit à son propos : « Un journaliste presque suicidaire à force d'aimer l'aventure. »

Photos de couverture : Droits réservés

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La Grande Porte

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Ouvrages du même auteur Si je meurs en Algérie... (Martel) Barricades pour un drapeau (Table Ronde) Adieu Congo (Table Ronde)

Le Paria (Fayard)

© EDITIONS OUEST-FRANCE 1990

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Paul Ribeaud

La Grande Porte

45 000 kilomètres en stop de Paris au Cap et retour.

Un voyage d'initiation au journalisme dur et à l'Afrique d'avant les indépendances.

« Le salaire de la peur du reportage. »

ÉDITIONS OUEST-FRANCE

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L'AVENTURE AUX EDITIONS OUEST-FRANCE Collection « Voyage jusqu'au bout »

dirigée par Jean-Claude Guilbert OUVRAGES PARUS :

Les Ailes de l'aventure, Ray Béguin De l'Orénoque à l'Amazone, Jean Fichter L'Etreinte du Kalahari, François Balsan La Grande Porte, Paul Ribeaud La Hache de pierre, Gérard Delloye Monseigneur du Grand Nord, Claude Roche PROCHAIN OUVRAGE :

La Terre en rond, Jean-Claude Baudot et Jacques Séguéla

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N.D.L.E.

Où commence et où finit l'aventure ? A une telle question, il est bien dif- ficile de répondre tant celle-ci est liée tout à la fois à un état d'esprit qu'à un accomplissement. Bref, il n'y aurait pas d'aventure sans l'esprit qui s'y rap- porte, de même que l'esprit d'aventure ne vaudrait rien si quiconque s'en réclamant ne passait jamais à l'acte pour l'assouvir.

L'harmonie fatale entre le faire et le dire, entre le geste et le discours, provoque une large gamme d'allégories qui puisent dans la vie même de cer- tains personnages. Paul Ribeaud est de ceux-là. Son livre, si justement appelé La Grande Porte, est tant une initiation qu'un point de départ dans l'accom- plissement d'un métier - celui de reporter - qui, moins systématiquement qu'on pourrait le croire, entre en réelle accointance avec l'aventure. Pour ce qui concerne Ribeaud, nul doute : l'aventure est bien là. Elle a commencé à pointer sérieusement son nez dans l'histoire qu'il raconte. Elle ne le quittera plus. C'est pourquoi, alors que presque quarante années se sont écoulées entre l'écriture du présent ouvrage et son actuelle réédition, nous avons jugé bon d'y apporter un complément sous forme d'illustrations hors texte mettant en valeur l'évolution de l'auteur dont on peut affirmer qu'elle s'inscrit dans une continuité et qu'elle reste conforme à la violente frénésie d'anticonfor- misme, ponctuée de rêves ambitieux, qui donne le ton de la personnalité même de Paul Ribeaud.

Aucun livre de la collection « Voyage jusqu'au bout » ne ressemble à celui-là. C'est en cela qu'il a sa place ici, d'autant qu'on ne peut se réclamer de l'aventure vécue en bridant les effets de son jusqu'au-boutisme et de son extrê- me diversité. La liberté d'aventure va de pair avec la liberté d'écriture.C'est ainsi que nous entendons donner sa légitimité à chacun des ouvrages déjà parus ou à paraître.

J.-C. G.

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« Si quelqu'un connaît le secret terrible du mot "je veux", qui que vous soyez, sachez qu 'un jour vous le trouverez au-dessus de vous. »

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A la mémoire de Guy, à Joseph Tabarin, que j'ai naïvement appelé

« Monterin » dans ce livre.

Ma reconnaissance à ces hommes qui m'ont compris et aidé (ce n'était pas facile, il fallait, pour cela, qu'ils soient désintéressés) : Louis Didier-Lucas, Roger Honoré, Pierre de Langlade, Colonel Crespin, Robert Létanche, Guy Le Clech, Marc Demotte, Père Emile Haas.

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ITINERAIRE DE MES 45.000 Kms EN STOP En pointillé : Clandestin.

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AVANT-PROPOS

Ce livre n'est pas un roman. Oh non ! et pourtant cela eût été telle- ment plus facile d'écrire un roman.

Ce n'en est pas un. Je ne le veux pas.

Ce récit est celui de quelques mois de ma vie, des belles journées d'espoir, de lutte, de succès, de sombres soirs aussi, de solitude, de désillusions, de désespoir, d'échec.

Je l'ai écrit bribes par bribes, un peu comme j'ai vécu, commencé, continué, remis à plus tard, un jour terminé.

J'aurais voulu que ce livre soit une flamme d'espoir, j'ai bien peur qu'il ne soit plutôt un signe de détresse.

J'ai commis quelques erreurs ou oublis. Durant mon voyage sans boussole je n'eus pas toujours le loisir de prendre des notes. Mais il n'y a pas d'erreur dans ce que j'ai ressenti.

J'ai frémi en vous racontant mon contact avec Paris, mon envol secret à Tamanrasset, mon séjour forcé à Johannesburg, mon passage clandestin de Dakar à Bordeaux, mon arrivée en France sans un sou en poche avec, pour toute richesse, mes souvenirs.

Ce voyage du risque, de l'aventure, que j'avais entrepris pour faire mon entrée dans la vie par la grande porte, a laissé indifférents les hommes confortablement installés dans le fauteuil de leur situation. Et je pense aussi bien aux directeurs de journaux qu'au propriétaire d'une grande marque de rouge à lèvres ou au directeur de la firme de voitures ***.

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Et parce que la grande porte ne s'est pas ouverte, j'ai fait un travail quelconque, une abominable corvée, pour glisser un pied et la forcer.

J'ai dû sacrifier mon idéal : vivre intensément, écrire, voyager, me donner entièrement à une œuvre digne de mon enthousiasme juvénile parce que la nécessité de gagner ma vie m'y a contraint.

Mais je me suis vite rendu compte que je ne pourrais jamais faire quelque chose sans enthousiasme et je me suis à nouveau trempé dans l'aventure en vous racontant mon voyage, mon combat, mon espoir et mon échec.

Je l'ai fait avec enthousiasme.

Je ne me suis pas couché cette nuit. J'ai relu toutes ces pages écrites bribes par bribes. J'ai pleuré. J'ai souri. J'ai ri.

Toutes ces feuilles froissées que j'ai traînées avec moi dans les avions, les bateaux, les pirogues, au fond d'une mine d'or, sur un petit banc à Johannesburg, dans les trains d'émigrants, les paillotes, les palaces, le sable du Sahara, les montagnes du Hoggar... elles sont là sur ma table, rouges de cette poussière du sol africain, rouges de sang aussi, le sang de la biche de Fort-Archambault que je n'avais pas voulu tuer... Le sang des deux nègres qui gisaient sur la route, écra- sés... Délavées par mon bain forcé dans le lac de Togo-Ville.

Elles sont là sur ma table. Elles me parlent.

Elles sont griffonnées de mots presque indéchiffrables, beaucoup de mots. Je les avais écrites quand mon émotion ne pouvait tenir tout entière dans mon coeur ; quand mon enthousiasme lui aussi débordait.

Le désir de vaincre malgré tout, l'angoisse, la douleur, la soif la faim, la fièvre, l'amour aussi, l'espoir, le désespoir, le succès, l'humiliation, les nuits glacées, les heures brûlantes des tropiques. Tout cela est dans ces pages.

Et j'ai pensé qu'il y a des écrivains, de grands écrivains, qui écri- vent des livres, qu'on appelle romans, dans les salles enfumées des cafés.

Et j'ai pensé que beaucoup de gens lisent des romans afin d'y trou- ver ce qui n'existe pas ; le réel est insuffisant Il en sera toujours ainsi.

Et j'ai pensé aussi que beaucoup de gens ignorent ce qui se passe

là-bas, en Afrique du Sud, en Rhodésie, au, Congo, au Tchad, au

Cameroun, au Soudan, en Haute-Volta, en Côte-d'Ivoire, en Nigeria

au Sénégal, au Sahara.

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Ils l'ignorent parce que les romans n 'en parlent pas.

J'y songeais en classant ces pages froissées, ces pages tachées de sang et de latérite rouge. Je me suis aperçu que ces feuilles inégales à demi déchirées que j'essayais en vain d'empiler sur ma table, for- maient un livre.

Un livre où les lecteurs trouveront l'irréel, toute l'Afrique, la noire, la blanche, celle des tam-tams et des buildings, des pirogues, des paillotes, des lacs, des fleuves, de la forêt vierge, du désert...

Et les lecteurs de romans seront contents, bien que je n'aie pas écrit ce livre dans les salles enfumées, mais sur le chantier du repor- ter, qui, pour être clandestin, n'en fut que davantage reporter.

Et les gens comme vous, comme moi, qui veulent savoir ce qui se passe là-bas : « On dit tant de choses... Or... diamants... Y aller... Ne pas y aller... La Colonie ? » le trouveront dans ce livre.

Ne le dites pas aux amateurs de romans, ce livre n'est pas un roman. J'ai bien vécu cette histoire. Pendant un an, elle est restée en moi, m'oppressant.

Après un an de refoulement, elle a jailli de mon cœur, débordant en lettres et en signes sur les feuillets, trop brûlante pour que je la garde encore.

Un an... Un an, pour me décider à mettre de l'ordre dans ces feuillets qui dormaient dans ma serviette de crocodile, un an pour photographier tous ces souvenirs qui sont ici sur ma table... Et dans mon cœur.

Un an, ce soir, que je raye de ma vie ; il disparaît comme les cla- quements de sabots du cheval qui vient de passer sous ma fenêtre dans la nuit. Je n'ai pas vu le cheval, le bruit est entré dans la nuit.

Tout est silence. De ma fenêtre tout est noir ; avant de la jeter dans la nuit, cette année qui m 'oppresse, retournons ensemble jusqu'à mon point de départ.

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ITINÉRAIRE N:I -1ére Etape 4 3 2 ALGER - LAGHOUAT 270

( 1 partie)

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CHAPITRE PREMIER A LA POINTE DU CRAYON

— Tu fais une drôle de tête, Paul, à quoi penses-tu ?

Je lève les yeux jusqu'au mètre quatre-vingt-dix de Jo Monterin, le jeune homme aussi maigre que grand qui vient de me tirer de ma méditation.

Debout dans le couloir de l'express de Cherbourg, nous avons hâte de quitter le wagon enfumé et surpeuplé où nous sommes entassés depuis quatre heures.

Comme tous ces gens qui sont là avec nous, nous allons à Paris.

Depuis le départ, je les ai dévisagés, ces gens. Tous : la grosse dame qui retourne à la capitale qu'elle habite — ce qu'elle y fait ? Certainement rien de sensationnel — le jeune étudiant, plein de bonnes intentions pour faire une excellente année d'études — le vieux monsieur blotti, dans un coin, pour retrouver ces vieilles habi- tudes. Tous ont diablement l'air de savoir ce qui les attend : la routine sans doute... la vie. Ils ne sont ni heureux ni malheureux, ils savent de quoi demain sera fait. La suite de leur vie est dessinée sans histoire.

Est-ce un bien, est-ce un mal ? Qu'importe.

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— Bien sûr, je fais une drôle de tête, Jo. Ce que nous venons d'entreprendre en sautant dans ce train est plus difficile que tout ce que nous avons fait jusqu'à ce jour, avec plus ou moins de succès d'ailleurs. Et si je sais que ce train nous mène à Paris, je ne sais pas très bien où Paris va nous mener.

Le grand Jo sourit et me tape sur l'épaule de sa main longue et fine mais vigoureuse.

— Ne t'en fais pas, vieux, ce sont des gars comme toi qui réussis- sent à Paris et quand on réussit à Paris, on réussit partout.

Sacré Jo ! Je l'ai connu à Toulon, il y a dix-huit mois, le jour de notre appel à l'armée. Nous avons fait les quatre cents coups tous les deux. Nous tournions en dérision les gardes-chiourme de caserne.

Notre premier mois de service militaire fut un excellent mois de vacances échelonnées de Bandol à Monte-Carlo avec de délicieuses escales à Saint-Tropez, Saint-Raphaël, Cannes, Juan-les-Pins, Antibes et Monaco, où Monterin réussit un jour l'exploit de se faire inviter à déjeuner à la table de la princesse.

A la fin de ce premier mois de vie commune avec Monterin, je par- tis en Afrique pour y terminer mon service. Le grand Jo, lui, avait été déclaré inapte pour les troupes coloniales. Il dut rester en France.

Il y a un mois je rejoignis Jo dans son petit village des côtes de Normandie. Nous avions mis sur pied une société destinée à renflouer les épaves des Liberty Ships échoués le long de la presqu'île du Cotentin. Il fallait bien faire quelque chose.

Plus souvent habillés en scaphandrier qu'en homme d'affaires, je crus un moment en la réussite de cette entreprise que nous avions lan- cée avec un capital ridiculement petit et avec une responsabilité très limitée.

Je me laisse bercer par ces souvenirs bons ou mauvais quand, sou- dain, Paris m'apparaît lugubre, froid, perdu dans le brouillard flocon- neux, glacial de cette soirée d'octobre. Je frissonne, ma veste est trop légère sans doute ; j'ai dû vendre mon pardessus pour payer mon ticket.

Paris ! J'y avais déjà fait quelques brèves apparitions. Lorsque, venant de Grenoble, je sortais de la gare de Lyon, je me sentais aspiré par la vie brillante, tapageuse, animée, d'une ville où, me semblait-il, l'on doit vivre beaucoup plus intensément que partout ailleurs.

Montmartre, les Champs-Elysées, le Quartier latin, Saint-Germain-

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des-Prés, m'attiraient. Toute la fougue de ma jeunesse me poussait vers ce rythme endiablé et inconnu que j'attribuais à la vie parisienne.

Ce soir, cet émerveillement ne m'habite plus. Je ne me fais aucune illusion. Je suis venu pour tenter crânement ma chance. Ma soif de succès et mon enthousiasme sont mes seuls atouts.

J'ai dû m'incliner au Havre. Cette affaire de Liberty Ships qui pro- mettait d'être si brillante a été un fiasco complet ; j'ai lutté contre la pluie, le froid, la mer, ce n'était rien ; les hommes d'affaires, eux, m'ont battu.

Il me restait alors d'autres solutions plus ou moins souriantes : m'embaucher comme docker en attendant de trouver un job plus inté- ressant ; rejoindre Grenoble, la petite vie tranquille, bourgeoise et familiale...

Grenoble, c'était accepter mon échec, m'avouer vaincu, prêter le flanc à toutes les critiques de l'esprit petit bourgeois de ceux qui m'avaient conseillé de ne pas bouger.

J'en étais à opter pour la solution de docker, lorsqu'un titre du jour- nal L'Equipe attira mon attention : « Le Raid Méditerranée-Le Cap, en automobile ».

Subitement, comme l'éclair déchirant l'obscurité, une idée brûlante, tenace, dissipa mon incertitude : j'y voyais clair. Il me fallait retourner en Afrique, cette Afrique que j'avais quittée sans la voir, l'année d'avant. Je pouvais peut-être réaliser mon vieux projet de voyage- enquête à travers le continent noir. J'allais jouer ma dernière carte et j'étais décidé à la bien jouer.

Dans un grincement de ferraille le train s'immobilise, je saute sur le quai et me fige dans une attitude conquérante : un pied posé sur ma valise, mains aux hanches, je nargue Paris. Rastignac, c'est moi !

Avant, quand je voyageais en touriste, je ne pouvais m'empêcher, au sortir d'une gare, de sonder la foule en essayant d'en isoler les quelques voyageurs pas comme les autres qui venaient en véritables aventuriers tenter leur chance, leur fortune au fond de la poche.

Aujourd'hui, je ne cherche personne, Monterin et moi sommes les deux aventuriers, riches de tout et de rien. Nous formons un duo bien peu harmonieux : Jo est grand, trop grand, ses cheveux roux tombent mal sur les tempes, son nez, qui lui valut le surnom de « Fend la bise », partage en deux un long visage piqué de taches de rousseur, son

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admirable dentition dépasse un peu ses lèvres pâles, ses beaux yeux bleus pleins d'intelligence tombent sur moi. Je mesure quinze centi- mètres de moins que lui, je suis très brun, et d'un physique tout diffé- rent du sien. Nos caractères sont, eux aussi, très disparates ; malgré cela, nous nous épaulons assez quoique de fréquentes disputes, toutes amicales, nous opposent à longueur de journée.

Le métro nous emporte vers la deuxième étape de notre voyage. Au bout du tunnel il y a encore la nuit. Nous cherchons un hôtel. Pour trois cents francs nous prenons une chambre, rue de Buci.

J'ai faim, Jo aussi. Notre premier repas parisien se compose d'une boîte de sardines, de pain, et le robinet est là pour la soif. Monterin se couche déjà, fatigué ; le cerne de ses yeux me fait craindre qu'il ne soit pas assez costaud pour tenir le coup.

Assis devant une petite table branlante, j'écris sur une feuille le plan de notre campagne : obtenir une voiture d'une grande marque française pour qui notre raid, au travers du continent noir, serait une excellente publicité.

Idem pour l'équipement et la caméra indispensable.

Solliciter quelques grands journaux pour obtenir un appui financier en échange de reportages.

Obtenir le patronage du ministère de la France d'Outre-Mer.

Contacter encore quelques grandes marques en vogue, telles que boissons gazeuses, apéritifs, etc.

— Réveille-toi, grande moule.

Tristement, Monterin s'assoit contre le dossier du lit et me regarde plus qu'il ne m'écoute.

Comme chaque fois que j'élabore un projet, j'éprouve le besoin que quelqu'un me dise : c'est très bien, c'est du tonnerre.

— Je commence par la voiture, et pour l'attrait publicitaire, il me faut une très petite voiture. Aussi, je débuterai par Citroën et sa 2 CV.

J'y vais demain matin.

— Il faut que tu voies Boulanger en personne, Paul, et le meilleur moment à Paris pour être reçu par quelqu'un, c'est un peu avant la fin de matinée.

— C'est quelle heure, un peu avant la fin de matinée ?

— Le paysan du Dauphiné s'initie à la vie parisienne. Ne te fâche pas, mais n'oublie pas que tu ne connais rien de Paris, tu ne sais même

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pas te servir du téléphone, guère mieux du métro. Quant au bus, il est préférable de ne pas y toucher. Enfin, tu t'en sortiras, tu présentes bien, tu sais impressionner ton vis-à-vis, et tu as l'estomac le plus pro- fond que j'aie jamais vu. Ta tenue vestimentaire est convenable, mise à part ta façon de faire un nœud de cravate, aussi, je te conseillerai, du moins en certaines occasions, le nœud papillon à pincettes.

— Cet animal me met en colère, surtout quand ses critiques sont exactes.

— Mon cher Jo, depuis que tu me rabâches ce qui se fait et ce qui ne se fait pas à Paris, tu es ridicule. Je me moque éperdument de ton étiquette parisienne. Tu ne partages pas mon enthousiasme parce que toi tu es venu à Paris depuis l'âge de quinze ans, tu y as fréquenté un peu tous les milieux, mais surtout, tu en es sorti blasé. Et pour réussir ce que nous allons tenter dès demain, il faut être survolté au maxi- mum, avoir une confiance absolue en soi d'abord, et en la réussite de notre expédition ensuite. Si l'on n'est pas convaincu soi-même, com- ment veux-tu qu'on persuade les autres ?

Je sors de ma valise une vieille carte d'Afrique et je griffonne au crayon l'itinéraire qui sera présenté au ministre. Le grand s'intéresse à l'itinéraire et me conseille de traverser l'Espagne où la vie est moins chère que partout ailleurs. Je me laisse convaincre pour l'Espagne et je trace un coup de crayon de Tanger à Casablanca, nous sommes bientôt à Atar, le pays de la soif. Jo chantonne : « Coca... » (c'est le nom d'une firme à laquelle tout le monde aurait pensé pour obtenir une aide publicitaire). Nous sommes bientôt à Dakar, où tout va tout seul, puisque j'y compte de nombreux amis. A peine le temps de donner quelques conférences au Cercle de la ville, et nous voilà caracolant sur les pistes sénégalaises, jusqu'à Tambacounda, où le lion fait bon ménage avec l'éléphant.

Le grand Jo plisse les yeux de plaisir et se sent subitement une âme de chasseur.

Et voilà la Côte-d'Ivoire, Abidjan, où nous sommes arrivés par Sembeïlo, Konakry et Kankan. Lomé nous apparaît, Lomé et ses palmeraies, Lomé et ses braves Togolais, mais Lomé, c'est surtout pour moi le brave missionnaire hollandais que j'avais eu pour profes- seur à Lyon pendant l'occupation. Brave père Jacques, quelle tête fera- t-il en me voyant arriver sans crier gare dans sa mission ?

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(En réalité, je surpris le père Jacques une nuit de mai, après avoir traversé, en pirogue, un large lac.)

La pointe du crayon court encore jusqu'à Pointe-Noire, c'est le terme du voyage. Le retour ne nous tracasse pas beaucoup, cependant, nous l'étudions par l'Oubangui, le Tchad, Niamey, Tombouctou, Bamako, Dakar.

Il est plus de minuit, Jo dort ; il ronronne doucement. A la caserne, il n'aurait pas ronronné longtemps, mais je l'ai assez embêté aujourd'hui et le laisse dormir.

Je me sens terriblement seul, j'ai souvent été seul au pensionnat, dans ma cellule à l'armée, sur le pont du bateau, bien des nuits lorsque je partis à la découverte de cette Afrique où je ne découvris que les

avantages de la vie civile.

Et soudain j'ai peur, quelque chose vient de lâcher en moi.

Maintenant que je suis au pied du mur, je voudrais reculer. J'ai surtout peur de me sentir si seul.

Paris est là qui m'attend. Paris et ses jours sans repas, et ses nuits sans sommeil, faute d'argent pour payer une chambre, Paris où cha- cun se côtoie sans se connaître... La loi du chacun pour soi, l'égoïs- me, la brutalité des intérêts sordides et l'intrigue y règnent certaine- ment en maîtres, véritables charognards qui se dépècent tout pante- lants.

La partie que je vais jouer sera terriblement difficile, inégale, ce match n'aura rien de semblable à une partie de tennis où sportivement on accepte l'échec. Cette fois-ci, je ne puis envisager l'échec. Je vais jeter toutes mes forces dans la bagarre, ne suis-je pas bien armé pour cela ? Je connais une partie de l'Afrique noire, j'ai des amis là-bas qui m'aideront. J'ai fréquenté un personnage très important du ministère de la France d'Outre-Mer ; mon esprit d'initiative et mon enthousias- me auront bien raison de tous ces gens qui me regarderont venir, confortablement assis dans le profond fauteuil de leur situation.

Selon mon habitude, je vais foncer tête baissée sans trop réfléchir.

Je n'ai qu'une idée en tête, faire ce voyage, je le ferai.

Je commence à dactylographier mon projet destiné au ministre.

« Encouragé par diverses personnalités intéressées par le problème africain, dont monsieur Monod, de l'Institut français d'Afrique noire, le père Paternod, de Dakar, et le chef des services d'informations en

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A.O.F., j'ai jeté les bases d'un voyage-enquête dans les territoires de l'Afrique occidentale et équatoriale.

« Faire toucher du doigt, ce que la civilisation française a déjà apporté aux Africains, détruire les préjugés que l'on a trop souvent en France à ce sujet, préciser aux jeunes Français qui veulent se rendre dans cette colonie ce que l'on attend d'eux, leur enlever toute illusion, tel est notre but.

« Nous nous efforcerons de traiter le problème posé par le dévelop- pement culturel, social, économique de l'Afrique et de ses habitants, d'une façon précise dont les enseignements seront faciles à dégager.

Nous présenterons la géographie humaine et naturelle du pays, prise dans le vif de notre pénétration du milieu indigène. »

Ma vieille Underwood fait un bruit infernal, mes voisins de chambre s'irritent, donnent du poing contre la cloison, je dois m'arrê- ter... première entrave.

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CHAPITRE II EN QUETE D'UNE VOITURE

— Vous voulez voir monsieur Boulanger ?

L'homme en casquette qui me parle de derrière le guichet des ren- seignements est plus étonné que si la foudre lui tombait dessus.

— Mais on ne peut pas voir monsieur Boulanger comme ça, voyons !

Il est onze heures. Dans quelques minutes je serai fixé sur la possi- bilité d'avoir une 2 CV Citroën. J'ai lu et relu, dans le métro qui m'a amené quai de Javel, les arguments convaincants qui doivent me faire obtenir l'indispensable voiture.

L'essentiel, pour l'instant, est de trouver les arguments nécessaires pour convaincre l'homme à la casquette.

Je bluffle au maximum :

— Mais, monsieur Boulanger m'a encore dit dernièrement de ne pas hésiter à le voir lors de mon passage à Paris. Et ça lui fera telle- ment plaisir...

— Vous le connaissez bien, alors ?

Le garçon est devenu subitement très aimable et me prie de me rendre dans un bureau où je renouvellerai ma demande.

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Me voici déjà dans le bureau du directeur commercial qui me dit que monsieur Boulanger n'est pas actuellement à Paris, mais que si je veux bien lui communiquer le but de ma visite...

— Sur le point de partir en Afrique noire réaliser, sous le haut patronage du ministère de la France d'Outre-Mer, un voyage d'études, j'ai songé que la firme Citroën serait peut-être heureuse de mettre à ma disposition un véhicule.

— Quel véhicule ?

— Une 2 CV.

J'ai l'impression que l'homme qui m'écoute est diablement intéres- sé et que tout à l'heure je vais pouvoir sauter au cou du grand Jo en lui annonçant mon premier succès.

— Cher monsieur, je suis certain que notre excellente petite voiture pourrait faire le voyage. Mais la firme Citroën ne saurait faire de la publicité pour une voiture qui, sur le marché, voit la loi de la demande bien supérieure à celle de l'offre.

Je réponds brillamment à toutes les objections, et malgré l'éviden- ce, je joue encore gagnant.

— De toute façon, je ferai ce voyage avec une 2 CV, cela, vous ne pouvez m'en empêcher. Et il est certainement de votre intérêt de m'aider plutôt que de me laisser partir avec une voiture achetée d'occasion, qui risquerait, en cas de défaillance mécanique, de vous ridiculiser.

— Vos raisons sont excellentes, mais je suis certain que monsieur Boulanger vous répondrait de la même façon que moi. D'ailleurs, je m'efforce toujours de prendre les décisions qu'il prendrait, lui, même si j'en envisage d'autres qui, personnellement, me semblent préfé- rables. Mais allez donc voir Renault ou Panhard, qui ne boudent pas la publicité...

— Malgré tout, je verrai monsieur Boulanger.

— Je tiens à vous prévenir que ce ne sera pas facile. Monsieur Boulanger est plus difficile à joindre qu'un ministre.

Au lieu de me décourager, cette affirmation ne fait que me stimuler.

Et pour ne pas rester sur un échec, je me promets de voir monsieur Boulanger, par n'importe quel moyen, et Dieu sait si mon imagination est fertile.

Sympathique, malgré sa raideur de jugement, le directeur commer- cial me serre cordialement la main en me disant très sérieusement :

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— De toute façon, deux chevaux ou pas deux chevaux, je donnerais cher pour être à votre place... Faire un voyage pareil... Je vous envie...

— Ce serait de l'argent bien mal placé !...

(Si monsieur X... lit ce livre, il comprendra !!! car à l'époque, je n'ai pu le lui expliquer...)

Accoudé au bar d'un café du quai de Javel, le grand Jo relève sur un annuaire le nom et l'adresse de toutes les firmes importantes que nous allons visiter.

— Alors, Paul, est-ce que ça a marché ?

— Ça n'a pas marché, mais on ne m'a pas ri au nez, et j'ai la conviction que notre projet est sensé.

« Passe-moi toutes les adresses des firmes automobiles, Renault, Panhard, Peugeot, Simca, Ford, Rosengart. C'est bien le diable si sur le nombre, il n'y en a pas une qui ne soit intéressée. D'ailleurs, tout n'est pas perdu avec Citroën, je pense voir Boulanger demain.

(Monsieur Boulanger mourait le lendemain...)

Le métro où nous sommes entassés, avec tous ces Parisiens qui ren- trent chez eux pour midi, nous ramène à notre hôtel de la rue de Buci.

Je me sens en pleine forme.

Toujours flanqué de Monterin, je débouche de la station de la Porte d'Ivry, toute proche de la firme Panhard, point de mire de ma deuxiè- me démarche.

On entre plus facilement chez Panhard que chez Citroën, c'est de bon augure. Je suis encore obligé de laisser mon frère d'armes à la porte. Ses habits sentent trop le presque clochard, bien qu'ils soient propres. Un pantalon de l'armée mal teint masque mal ses longues jambes trop maigres. La veste à carreaux laisse apparaître les épaules minces et le buste étroit.

Un garçon sans casquette me fait remplir une petite fiche sur laquelle je marque, comme objet de ma visite : voyage d'études en Afrique noire, avec une ou deux automobiles Panhard. En face de la

« personne demandée », j'écris sans sourciller : Monsieur Panhard père.

— Monsieur Panhard ne peut vous recevoir, me chuchote l'employé. Mais le chef des services de publicité se fera un plaisir de vous accueillir.

Cachant mal son étonnement de me découvrir si jeune, un homme, aussi affable que grisonnant, m'écoute en prenant des notes. Sa

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méfiance disparaît devant mes explications. Enfin, celui-là est visible- ment intéressé.

Maintenant, c'est le chef de la publicité qui essaie de me con- vaincre, sur la solidité des automobiles. Panhard ; peu m'importe, l'es- sentiel est d'avoir une voiture, fût-ce une vieille guimbarde. L'Afrique est le pays des guimbardes, je l'ai constaté tant de fois sur les routes du Sénégal.

— Pour quand vous faut-il votre véhicule ?

— Il faut absolument que nous puissions partir avant le 15 décembre, afin d'éviter les grosses chaleurs et la saison des pluies.

Le grand Jo montre son nez derrière une vitre, je lui fait signe de décamper, ce qu'il exécute immédiatement de peur de faire rater l'affaire...

Nous sommes maintenant dans les petits détails, toit de la voiture isothermique, glaces « deflecto », sièges-couchettes, pneus sable, phares mobiles...

La seule chose qui m'intéresse, le paiement de la voiture, n'a pas encore été abordée. Je n'ose pas en parler.

— Mais est-ce que vous comptez payer cette voiture ?

— Certes oui, mais comme j'organise ce voyage grâce à un autofi- nancement, je suis certain que vous ne verrez que des avantages à être dédommagé par l'énorme publicité qui sera faite autour de notre raid transafricain.

Mon homme en avale sa salive...

— Vous donner une voiture... Mais ce serait la première fois...

Pour ne pas perdre le contact, je m'empresse d'ajouter :

— Il n'est pas question pour vous de me donner la voiture mais de me la confier pendant la durée du voyage, et si vous le désirez vrai- ment, je puis, bien sûr, vous l'acheter à la condition que vous me fas- siez le crédit nécessaire.

— Pour le crédit, il faut vous adresser à une société financière.

Sans perdre le temps d'expliquer à Jo le résultat de l'entretien, je cours jusqu'au métro et lui demande de me mener au siège de la so- ciété, dans le deuxième arrondissement, je crois.

Je me laisse rouler comme un aveugle dans ce fichu métro.

Monterin me tire pour descendre, pour changer de ligne, et s'il a le malheur de se tromper, je l'incendie d'injures. Dans mon esprit, il n'y

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a de place que pour une seule chose : mon départ pour l'Afrique, tout le reste n'existe pas.

L'homme qui me reçoit, à la Société de Crédit, est très aimable, mais quand il me demande quelles sont les garanties que je puis lui fournir, je ne suis qu'un client comme tout le monde, un client par sur- croît qui n'a pas de garantie, les financiers n'aiment pas beaucoup ces gens-là... et je pars vers la découverte de l'indispensable garantie.

Le même soir, j'écris à mon père une lettre pathétique où je deman- de une garantie...

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« Croyez que je regrette beaucoup de partir dans ces conditions.

Mais comme vous me l'aviez dit hier je devais entrer en prison demain soir. Ce n'était pas mon séjour en prison qui allait vous dédommager. Dès mon arrivée en France le vous réglerai la note due.

Cette lettre servira de reconnaissance de dette... »

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