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Questions sur l’efficacité de la politique monétaire

Dans le document Banques centrales et stabilité financière (Page 65-73)

3. Stabilisation de l’activité économique

3.1. Questions sur l’efficacité de la politique monétaire

3.1.1. Stabilisation de l’activité économique : quelle importance dans l’action des banques centrales ?

Même si la politique monétaire ne détermine pas le cours des variables réelles à long terme, elle influence leur évolution à court terme (sur deux ou trois ans). La stabilisation de l’activité économique est une mission capi-tale des banques centrales. D’après les réponses au questionnaire, pour une majorité sensible des universitaires (78 %) et pour presque tous les ban-quiers centraux (92 %), leur indépendance est une condition nécessaire pour qu’elles puissent l’assurer tout en maintenant la stabilité monétaire.

Deux conclusions ressortent des travaux théoriques et empiriques sur la politique monétaire optimale :

• l’horizon retenu par la Banque centrale pour atteindre l’objectif de stabi-lité des prix influence la variabistabi-lité de l’activité économique à court terme ;

• la stabilité monétaire doit être recherchée seulement à long terme, essayer de l’atteindre à court terme à tout prix conduirait à une trop forte variabilité de la production

L’évolution de la volatilité du taux de croissance du PIB dans chacune des économies du G3 est représentée sur le graphique 13 du début des années quatre-ving-dix jusqu’au milieu de 2007. Sa diminution au cours des années quatre-ving-dix est frappante. Aux États-Unis, en 2000-2001, elle avait diminué de moitié par rapport à son niveau initial. Dans la zone euro, la baisse a été encore plus spectaculaire entre 1996 et 2006. Le Japon a connu le même phénomène même s’il y a été moins marqué et plus irrégu-lier. Il est d’autant plus remarquable qu’il a coïncidé avec une baisse de la volatilité de l’inflation.

Les chocs de demande poussent l’inflation et l’activité économique dans la même direction. Ils ne créent donc pas de situation de conflit. Par exem-ple, une envolée des cours boursiers – qui s’accompagne d’un boom de la demande, stimule l’activité et crée des tensions inflationnistes – appelle une hausse du taux directeur. Si la réponse de la Banque centrale est bien conduite, elle peut neutraliser les effets non désirés de ce choc. Il n’en est pas de même pour les chocs d’offre qui exercent des effets de directions opposées sur l’activité économique et sur les prix. La Banque centrale doit alors faire un arbitrage entre les deux. La plus grande stabilité de l’activité économique observée avant la crise notamment au cours des années

quatre-Extrait du questionnaire (question 2.3) :

Pensez-vous que la capacité des banques centrales à assurer la stabilité des prix tout en apportant leur soutien à la croissance

nécessite une forte indépendance ?

17%

83%

Oui Non

78%

92%

22%

8%

0%

20%

40%

60%

80%

100%

Banquiers centraux Economistes

1981198319851987198919911993 1995 1997 1999 200120032005 2007 Zone euro

(échelle de gauche) Japon

(échelle de droite)

États-Unis (échelle de gauche)

10

6

2 0 – 2 – 4 8

4 3,5

2,5

1,5 1,0 0,5 0,0 3,0

2,0

13. Variabilité de la croissance au sein du G3

Source : Auteur, d’après données OCDE.

vingt-dix pourrait donc s’expliquer par la chance, plus précisément par une moindre importance des chocs d’offre, en particulier ceux qui affectent les prix des matières premières. L’évolution de la hausse des prix des produits alimentaires et de l’énergie (mesurée par la différence entre l’inflation to-tale et l’inflation structurelle) à l’intérieur du G3 est représentée sur le gra-phique 14. Elle est positive quand ils augmentent plus vite que les prix des autres biens et services. On voit qu’il n’y a pas eu de choc d’offre important au cours des années quatre-ving-dix ce qui a sans aucun doute contribué à la relative stabilité de l’activité économique observée sur cette période. La situation a été moins favorable par la suite : les États-Unis ont enregistré un premier choc d’offre au début de l’année 2000, puis un deuxième entre 2003 et 2006 ; la zone euro en a connu un à la fin de 2001 et en 2002.

Les changements intervenus dans la politique monétaire au cours des années quatre-ving-dix ont contribué aussi à la moins grande volatilité des économies. Une réponse plus rapide et plus vigoureuse aux pressions infla-tionnistes dès qu’elles se manifestent permet s’assurer une meilleure stabi-lisation. Par exemple, il apparaît que la formule suivante rend bien compte du comportement de la Fed depuis une vingtaine d’années : Taux des fonds fédéraux = 8,5 + 1,4 * (inflation structurelle – chômage)(21). Sa réaction à un choc inflationniste est donc « agressive » : elle augmente alors les taux d’intérêt réels. La Fed répond aussi à l’évolution du chômage. Cela est

(21) Cf. Mankiw (2001). Dans la formule, la hausse des prix est mesurée en glissement annuel et le taux de chômage est corrigé des variations saisonnières.

3,0 2,5

1,5 1,0 0,5 0,0 2,0 1,5

1,0

0,0 – 0,5 – 1,0 – 1,5 0,5

Japon (échelle de gauche)

États-Unis (échelle de gauche)

Zone euro (échelle de droite)

1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 20062007

conforme non seulement au caractère dual de son mandat, mais aussi aux enseignements de l’analyse économique (le chômage est un indicateur avancé de l’inflation future). Les valeurs du taux des fonds fédéraux cor-respondant à la formule ci-dessus ainsi que leurs valeurs observées sur la période 1990-2007 sont représentées sur le graphique 15. Jusqu’à l’automne 2000, les deux séries restent très proches l’une de l’autre et leurs points de retournement coïncident à peu près ; au total la formule explique 85 % des variations constatées du taux directeur. Par la suite, la réaction de la Fed à l’éclatement de la bulle Internet et sur les nouvelles technologies a été con-forme dans ses grandes lignes à son comportement passé, mais elle a été plus marquée et plus durable qu’on ne pouvait s’y attendre au vu de celui-ci (cf. section 4.1).

Il est habituel de dire que la BCE accorde moins d’importance à la stabi-lisation de l’activité économique que ne le fait la Fed. Un manque d’acti-visme en la matière lui est même souvent reproché. Mais, les différences observées entre la politique de taux de la BCE et celle de la Fed s’expli-quent essentiellement par des différences de nature, de taille et de persis-tance des chocs qui frappent les deux économies (Sahuc et Smets, 2008).

Ils ne peuvent être imputés à des gouvernances ou des préférences différen-tes, en particulier à une moindre importance accordée par la BCE à la stabi-lisation conjoncturelle. Il ressort d’une expérience « contrefactuelle » que, placée dans l’environnement européen, la Fed aurait adopté une politique de taux analogue à celle qu’a suivie la BCE (graphique 16).

14. Taux de variation des prix des produits alimentaires et de l’énergie à l’intérieur du G3

Note : Le taux de variation des prix des produits alimentaires et de l’énergie est obtenu en faisant la différence entre l’inflation totale et l’inflation structurelle calculées en glissement annuel.

Source : Données OCDE.

9

5

3 2 1 0 7 6

4 8

1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006

Taux « observé » des Fed funds

Taux « hypothétique » des Fed funds

1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005

7 En %

5

3 2 1 0 6

4

Taux des Fed funds

Taux directeur de la BCE avec la fonction de réaction de la Fed

Taux directeur de la BCE

15. Évolutions observée et hypothétique du taux des fonds fédéraux aux États-Unis

16. Évolution hypothétique du taux directeur de la BCE avec la fonction de réaction de la Fed

Source : Sahuc et Smets (2008).

Source : Auteur d’après Mankiw (2001).

1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 10

6

4

2

0

8 Taux à 10 ans

Taux des Fed funds

1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 36

32

24 20 16 12 28

17. Évolutions du taux court (taux des fonds fédéraux) et du taux long (taux à 10 ans) aux États-Unis

Source : Bandholz, Clostermann et Seitz (2009).

18. Part de la dette obligataire des États-Unis détenue par les autorités officielles du reste du monde Source : Auteur.

3.1.2. La globalisation : quelles incidences ?

À partir du milieu des années quatre-ving-dix, tandis que la volatilité de la croissance baissait, la transmission des chocs entre les pays s’est ampli-fiée et accélérée ce qui constitue une menace pour la stabilité de l’activité économique. Ces effets de débordement appelle deux types de réponses de la part des autorités : au niveau international, un renforcement des méca-nismes de coordination ex post en cas de chocs importants et, à l’échelon national, une stratégie de surveillance ex ante (Carare et Mody, 2010).

Au cours des années quatre-vingt-dix, il y a eu aux États-Unis deux épisodes de resserrement de la politique monétaire au cours desquels la hausse des taux longs a accompagné celle des taux courts :

• entre décembre 1994 et avril 1995, le taux des fonds fédéraux a aug-menté de 300 points de base ; le taux à dix ans a alors enregistré une hausse de 263 points de base (graphique 17) ;

• entre octobre 1998 et janvier 2000, le taux court est passé de 4,53 à 6,66 % ; le taux à dix ans est alors monté de 4,63 à 6,54 %.

Aussi, au printemps 2004, quand les marchés ont commencé à se prépa-rer à un resserrement de la politique de la Fed, s’attendait-on à ce qu’il en soit de même. Entre juin 2004 et juillet 2006, le Comité fédéral de l’open market a augmenté son taux directeur à 17 reprises et l’a porté de 1 à 5,25 % ; mais le taux à 10 ans est seulement passé de 3,83 à 5,11 % et il a même baissé à la fin de 2006. Alan Greenspan a parlé d’une véritable anomalie (conundrum). Comme on a assisté au cours de toutes ces années à une forte progression de la part de la dette publique américaine détenue par des in-vestisseurs étrangers – elle a été multipliée environ par 3 entre 1986 et 2006 (graphique 18) –, l’anomalie lui a souvent été attribuée. De nombreux travaux économétriques se sont intéressés à cette question. Les conclusions suivantes en ressortent. L’évolution des taux longs observée en 2004-2005 constitue bien une anomalie : les modèles qui donnent jusque-là de bons résultats ont du mal à expliquer l’évolution de la courbe des rendements.

Les origines du conundrum pourraient être les suivantes :

• une baisse des taux d’intérêt réels due à la modification des anticipa-tions concernant l’évolution à long terme de la situation budgétaire (jugée plus favorable à l’époque) ;

• une révision à la baisse des anticipations inflationnistes à long terme ;

• une diminution des primes de risque liée à la « grande modération » et à la meilleure prévisibilité de la politique monétaire ;

• des facteurs conjoncturels pourraient aussi avoir joué. Mais il ressort surtout de ces travaux que la relation entre la politique monétaire et la courbe des rendements est extrêmement complexe – elle est sans doute non li-néaire – et qu’elle change au cours du temps – ce qui ne serait pas autre chose qu’une illustration supplémentaire de la « loi de Goodhart ».

Il ne faudrait pas en conclure que le levier habituel de la politique moné-taire – le canal des taux d’intérêt – n’opère plus. Mais la force qu’il permet

1972 1975 1978 1981 1984 1987 1990 1990 1993 1996 0,4

0,2

0,1

0,0 0,3

Petites économies

Grandes économies

Ensemble des économies

de déployer se modifie au cours du temps et doit être sans cesse réévaluée par les banquiers centraux. Elle est sans doute affectée par l’intégration financière internationale. Mais, l’exemple du « Greenspan conundrum » ne permet pas d’affirmer que la politique monétaire est devenue inefficace dans une « grande » économie comme celle des États-Unis. En tout cas, ce n’est pas la conclusion qui se dégage des études portant sur cette question : certes, elles montrent que l’intégration financière internationale affecte bien la relation entre taux court et taux long, mais elles montrent aussi que cette relation ne s’évanouit pas.

En théorie, dans le cas d’une petite économie dont le taux de change est flexible, la mobilité internationale des capitaux renforce l’autonomie et l’ef-ficacité de la politique monétaire. Mais, en général, il ne semble pas en être ainsi. Une plus grande intégration financière y est généralement accompa-gnée d’une moindre connexion entre taux court et taux long nationaux.

Cela est illustré par le graphique 19 où sont représentées les évolutions du coefficient reliant les variations du taux long à celle du taux court dans les

« grandes » économies et dans les autres. Pour les premières, ce coefficient est resté assez stable depuis le début des années quatre-vingt-dix. En revan-che, dans les secondes, il a fortement baissé en fin de période (Jansen, 2009). Cela pourrait vouloir dire que leurs banques centrales ont plus de difficultés à agir sur les conditions financières nationales en réaction à des chocs idiosyncrasiques.

19. Évolution de la relation entre taux court et taux long en fonction de la taille de l’économie

Source : Jansen (2009).

3.2. Tensions financières, politique monétaire et activité

Dans le document Banques centrales et stabilité financière (Page 65-73)