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Le canal de la prise de risque des banques

Dans le document Banques centrales et stabilité financière (Page 149-154)

2. Le crédit et la prise de risque des établissements bancaires :

2.4. Le canal de la prise de risque des banques

1. La logique du canal de la prise de risque

Quatre effets interdépendants sont à l’œuvre dans le canal de la prise de risque (Risk Taking Channel – RTC) :

• l’effet yield appetite : si les taux d’intérêt (à court et long termes) sont bas, et surtout si les opérateurs pensent qu’ils vont le rester assez longtemps, les investisseurs (et les banques) recherchent des actifs plus risqués pour leurs placements. L’aversion au risque diminue, à la fois parce que les compor-tements de prise supplémentaire de risque sont intégrés par les marchés (offre et demande) – et parce qu’ils sont validés par la montée des valorisations bour-sières et des revenus ;

• l’effet concurrence : dans un contexte de liquidité abondante et de con-currence croissante, les banques sont incitées, soit à prêter de plus en plus, donc à réduire leurs marges d’intérêt, à diminuer leurs demandes de collaté-raux et autres covenants, soit à racheter les actions. Mais elles iront plutôt dans la voie de crédits supplémentaires, pour des raisons, disent-elles, de clientèle, de parts de marché, de maximisation de profit sur longue période. Elles juge-ront que renvoyer des fonds propres à leurs actionnaires serait un choix diffici-lement réversible par rapport au marché. Il pourrait l’interpréter comme un manque d’idées ou de goût du risque, tandis que le régulateur pourrait le regar-der avec suspicion, car il réduit les garanties en cas de pertes. Ajoutons que cette préférence pour la croissance (et le crédit) par rapport à un retour des fonds propres aux actionnaires est plus importante en zone euro qu’aux États-Unis, où les marchés financiers sont plus profonds ;

• l’effet accoutumance au risque : en phase d’activité ascendante, compte tenu du fait que les sinistres ne se manifestent pas (encore), l’aversion au risque diminue ;

• l’effet « financiarisation des comportements bancaires » (banque de finan-cement et d’investissement) : la phase de taux bas lie les besoins de finanfinan-cement de la banque à la situation des marchés. L’horizon temporel de la banque se réduit au fur et à mesure qu’elle obtient une part croissante de son funding et de ses revenus par les marchés (proprietary trading et banque d’investissement).

Cette évolution est caractéristique de la bulle Internet où le financement des banques par les réseaux (brick and mortar) est critiqué, les marchés financiers et certains experts mettant en cause le modèle intégré de banque commerciale.

Cette double tendance, à la montée des crédits au moment où les taux d’in-térêt sont faibles et à la financiarisation des comportements de la banque se poursuit d’autant que :

• les agents pensent que cette situation de taux bas va se prolonger, autre-ment dit que le risque inflationniste est sous contrôle ;

• les mesures de risque ne prennent pas réellement en compte les effets potentiels de ces nouveaux crédits. Les valorisations des actifs se trouvent en effet plutôt accrues, ce qui diminue leurs probabilités anticipées de défaut (Expected Default Frequencies – EDF), de pertes sur crédits (Loss Given Default – LGD) ;

• le comportement de la banque se met à changer. Elle passe d’une logique de transformation, qui consiste à suivre sa liquidité, à mesurer et escorter le risque de contrepartie dans la durée, à une logique de refinancement par les marchés qui est, à la fois, plus globale, plus à court terme, et plus rentable (du moins dans l’immédiat).

et Lowe (2002), Rajan (2005), Borio et Zhu (2008) et Adrian et Shin (2008a et b). Toutes cherchent à mettre en évidence ce lien entre politique moné-taire, perception du risque, et prise de risque des banques. Il s’agit donc de montrer un nouveau canal de transmission de la politique monétaire, grave-ment sous-estimé avant la crise ainsi que le déploraient Borio et Zhu (2008) et probablement accru par les transformations des systèmes financiers (inno-vations financières, essor d’intermédiaires financiers non bancaires…) et les conditions de leur régulation.

Borio et Lowe (2002), en plus de montrer comment les déséquilibres financiers peuvent émerger dans un contexte macroéconomique stable d’in-flation faible et de bas taux d’intérêt, insistent sur l’idée qu’il n’est pas impossible de déceler l’émergence de ces déséquilibres financiers. Une crois-sance rapide du crédit, combinée à la montée des prix d’actifs, constitue en effet un bon indicateur d’une crise financière à venir. Adrian et Shin (2008) mettent en avant le rôle des intermédiaires financiers et l’influence qu’ils exercent sur le cycle d’affaire en ce qu’ils déterminent le prix du risque.

Les grandeurs de bilans des intermédiaires financiers constituent, pour eux, un indicateur clé de leur appétit pour le risque, donc du canal de la prise de risque. Ils montrent que les taux à court terme influencent considérable-ment la taille du bilan des intermédiaires financiers et le niveau de leur levier d’actif. À cet égard, ils soutiennent que la partie la plus dangereuse d’une bulle n’est pas la montée des prix d’actifs en elle-même, mais le niveau de dette au bilan des institutions financières qui alimente cette bulle.

Au total, le canal de la prise de risque vient s’ajouter aux canaux de transmission plus traditionnels de la politique monétaire qui font intervenir les banques (cf. schéma ci-après) :

• le canal des taux d’intérêt, le plus connu et traditionnel : la hausse des taux monétaires conduit les banques non seulement à revoir leurs tarifica-tions, mais plus encore à réexaminer leurs conditions de crédit (demande d’informations plus précises, de garanties supplémentaires, durées plus ré-duites pour des montants de crédits plus faibles, voir Maddaloni, Peydró et Scopel, 2009) ;

• le canal du crédit bancaire intègre le fait que la banque interprète la hausse des taux directeurs comme un indicateur avancé d’un ralentis-sement, en tout état de cause d’une remontée des risques et de leur réappréciation ;

• le canal des fonds propres bancaires : avec la hausse des taux, les conditions de financement des banques elles-mêmes se renchérissent à la fois du côté des actions, puisque le rendement anticipé du capital bancaire baisse, du côté des obligations et des dépôts à terme, puisque la courbe des taux monte, et du côté des dépôts à vue puisque leur progression ralentit, sachant qu’ils sont des actifs « spéciaux », sans substitut facile à trouver ;

• le canal du capital bancaire prend en compte la difficulté pour les banques en période de ralentissement économique de lever des fonds propres supplémentaires pour satisfaire aux exigences réglementaires ;

Source : Auteurs.

Ralentissement de la croissance (investissement et consommation) et de l’inflation Canal 2.1. Canal strict du crédit Le coût du financement bancaire augmente d’autant plus que le coût de refinancement bancaire lui-même augmente (accélérateur financier). La valeur des actifs bancaires baisse : anticipation d’une montée des risques Canal 2.3. Canal large du crédit ou canal du bilan des entreprises

et des ménages La hausse des taux réduit la rentabilité anticipée des projets et la valeur

des garanties. La prime de financement externe augmente, ce qui anticipe l’effet

initial de la hausse

Canal 2.2. Canal des fonds propres bancaires

Le financement des nouveaux crédits est compr

omis par les fonds propres supplémentaires que les banques doivent lever

Les effets d’une hausse des taux directeurs faisant intervenir les banques Canal 1. Canal des taux d’intérêt Les banques répercutent la hausse des taux directeurs sur les taux débiteurs des entreprises et des ménages

Canal 2. Canal du crédit La hausse des taux renforce les asymétries

d’information ce qui augmente les primes de financement externe et r

estreint les financements

Canal 3. Canal de la prise de risque La remontée des taux réhausse l’appréciation des risques et accroît l’aversion au risque (fin du « surprêt » et tensions sur la liquidité) La rigidité de certains prix et salaires fait monter les taux réelsLes banques revoient leurs conditions de crédit (taux, garanties)Les critères d’octroi de crédit se tendent Ralentissement de la croissance (investissement et consommation) et de l’inflation

2. Les mesures du canal de la prise de risque

Des travaux empiriques ont permis de vérifier ces hypothèses. L’étude de Jiménez et al. (2009) appliquée à l’Espagne entre 1984 et 2006 montre que les taux bas réduisent à court terme le risque de défaut en diminuant le poids des frais financiers et, à moyen terme, accroissent la valeur des collatéraux, pous-sant les banques à relâcher leurs conditions de crédit : « elles prêtent davantage à des emprunteurs qui ont un mauvais track record et qui ont des perspectives plus incertaines ». Surtout, phénomène plus inquiétant, établi cette fois sur des données boliviennes, cette réduction relative du spread sur les risques plus importants se manifeste d’autant plus nettement dans les banques ont un ratio de capital faible et relativement plus de mauvais crédits.

Au-delà des cas espagnol et bolivien, Gambarcota (2009) étudie 600 banques cotées œuvrant en zone euro et aux États-Unis. Cette étude montre que les risques bancaires, approchés par la variable EDF (expected default frequency), au cours de la période mi 2007 à fin 2008, sont positivement corrélés à la variable Lowint correspondant au nombre de trimestres consécutifs pendant lesquels le taux d’intérêt s’est inscrit au-dessous du benchmark. Si les taux d’intérêt sont maintenus au-dessous du benchmark pendant dix trimestres con-sécutifs, la probabilité de défaut d’une banque moyenne augmente de 3,3 %.

Altunbas, Gambacorta et Marqués-Ibáñez (2010) mènent une étude portant sur 1 100 banques dans 16 pays au cours de la période 1998-2008. Il en ressort qu’une politique monétaire accommodante, calculée par différence soit entre les taux courts et une règle de Taylor (avec ou non lissage des taux courts), soit entre les taux courts et un taux naturel, réduit à court terme les risques des crédits en portefeuille et pousse les banques à en prendre davantage. « Si le taux d’intérêt se trouve à 100 points de base au-dessous de la valeur donnée par la règle de Taylor, la probabilité moyenne de tomber en défaut augmente de 0,6 % après un trimestre et de 0,8 % à long terme. C’est une estimation très grossière… qui représente la limite supérieure de l’effet ».

Ces travaux montrent que le risque bancaire s’est accru dans les pays où une bulle immobilière s’est formée et aussi que les banques de grande taille n’ont pas été particulièrement perçues comme les plus risquées par le marché.

Ce qui importe, à côté de la taille, c’est la liquidité, la capitalisation et la pro-gression des crédits. On constate que les banques les plus risquées sont à la fois celles qui font plus de crédits (13,5 % de croissance annuelle sur la période retenue par les mêmes auteurs, 1999-2009, contre plus 11,3 % par an pour celles qui sont jugées de moindre risque), qui sont les moins liquides (respecti-vement 21,3 % des actifs contre 26 %) et dont la capitalisation est la plus faible (respectivement 8,9 % contre 10,9 % des fonds propres). La politique moné-taire influence certes les comportements du secteur bancaire dans son ensemble, mais pas de manière homogène : car elle affecte, d’un côté, les banques qui ont une très faible croissance et, de l’autre, celles qui ont une forte croissance (soit qu’elles aient une politique de prix agressive, soit qu’elles servent un segment particulièrement risqué).

• le canal de la prise de risque vient de la prise en compte des condi-tions générales de taux et d’activité dans les politiques bancaires. Si les taux d’intérêt sont bas, l’aversion au risque des investisseurs diminue, soit qu’ils pensent que le risque a effectivement diminué, soit que les tions de la concurrence ne leur laissent pas vraiment le choix. Les condi-tions de prêt deviennent alors plus faciles : quantités accordées plus impor-tantes, spreads plus bas, garanties diminuées… La prise de risque est plus grande sans que le prix du risque ne soit le bon. Et symétriquement ensuite.

La politique monétaire n’agit donc pas seulement par les taux d’intérêt et les anticipations, selon le canal classique, mais aussi par les canaux qui sont, directement ou indirectement, liés aux banques et à leurs relations, plus ou moins fortes à l’économie, aux marchés et à leurs clients déposi-taires de ressources. Le RTC remet donc les banques au cœur de la trans-mission des effets de la politique monétaire, alors qu’on les avait crues de moins en moins importantes. Il constitue, pour les banquiers centraux, une forte incitation à se doter d’indicateurs permettant de déceler les déséqui-libres financiers en formation, que leur action même influence. En mettant en évidence les incidences financières de la politique monétaire, le RTC confirme la force du lien entre stabilité monétaire et stabilité financière. Il exhorte aussi les banquiers centraux à mener de front ces deux missions.

Montrer que la politique monétaire peut contribuer aux déséquilibres fi-nanciers signifie aussi qu’elle peut être orientée pour favoriser la stabilité financière. Dans ce cas, la stabilité monétaire et la stabilité financière cons-tituent deux missions jointes.

Cela implique une coordination entre politique monétaire et politique prudentielle qui, toutes deux, doivent œuvrer à la stabilité macroécono-mique. Chacune doit aussi évoluer pour converger vers la stabilité financière globale. Dans ce cadre, la politique monétaire ne se limite pas au contrôle de l’inflation. Elle prend aussi en compte, notamment, la croissance du crédit ainsi que les évolutions des prix d’actifs, afin de contribuer à la sta-bilité financière. La politique prudentielle, quant à elle, ne se limite pas à la maîtrise des risques individuels des établissements bancaires et financiers (supervision micro-prudentielle). Elle s’étend à la stabilité globale du sys-tème financier, au moyen d’une supervision macro-prudentielle. La coordi-nation entre politique monétaire et politique prudentielle implique alors, pour la Banque centrale, de trouver l’intersection optimale et de déterminer son degré d’implication dans la politique prudentielle. La politique macro-prudentielle constitue cette zone d’intersection.

Dans le document Banques centrales et stabilité financière (Page 149-154)