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« Si la guitare à 11 cordes est accordée comme le luth à 11 chœurs, pourquoi ne pas simplement jouer du luth ? Quels types d’adaptations sont vraiment nécessaires du luth à la guitare à 11 cordes ? »

Mon approche de l’adaptation est beaucoup plus sévère et exigeante car il est nécessaire de rester entièrement fidèle à la source et à l’instrument d’origine. Toutefois, il est également nécessaire d’adapter correctement la technique de tous ces idiomes propres au luth, comme les appoggiatures jouées à l’époque en même temps que leurs résolutions, les liaisons qui se trouvent au même endroit mais qui n’ont pas la même amplitude sonore en raison de la touche et de l’ergonomie différentes. En effet, les bois différents, les vibrations de sons différentes font en sorte que des enchaînements richement sonores au luth sont parfois plutôt faibles à la guitare et vice versa. Il faut compenser et ajuster la sonorité en tout temps).

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Cependant, il y a davantage de détails qui rendent le travail à la guitare à 11 cordes complètement différent de celui sur le luth : une note sur le luth est faite par 2 cordes à l’unisson ou par octave alors que sur la guitare, elle se fait par une seule corde mais avec une plus grande amplitude. L’enveloppe sonore est donc différente et l’interprète doit donner une impulsion différente pour chaque note jouée afin d’obtenir un résultat convaincant avec un son fluide et naturel. La tension des cordes est également différente, ce qui influe sur l’attaque des cordes pour obtenir un rendu homogène par exemple, un passage délicat sur le luth devra être attaqué de manière plus agressive à la guitare et ce sera l’inverse pour les autres passages. L’artiste interprète doit être conscient de ce travail d’adaptation complexe car les combinaisons sonores choisies par le compositeur ont été conçues pour le luth. Il faut donc rééquilibrer ces arrangements de sons à la guitare. Avec une telle différence de tensions de cordes, un accord ou le rendu d’un trait ne peuvent être réalisés de la même façon : l’impulsion musculaire est différente, les allongements ou les plis des doigts ne sont pas les mêmes, etc. Cette remise en question des concepts est similaire à celle des pianistes qui jouent les œuvres pour clavecin.

Ceci explique pourquoi il vaut la peine de rechercher la fidélité de base du luth tout en conservant sa propre technique d’instrument : nous pouvons conserver une technique de guitare moderne (articulation des deux mains) et ne pas la corrompre par un mélange dangereux avec la technique des deux mains du luth, qui est entièrement différente. Les témoignages de ceux qui ont essayé de jouer du luth avec une technique appropriée tout en conservant une technique de guitare normale pour leur jeu de guitare moderne sont assez éloquents : c’est impossible ! C’est trop différent. Il faut choisir. Ainsi, en gardant notre jeu moderne tout en approchant de la source du luth originale, nous obtenons une approche très valable et justifiée par le souci hautement esthétique de la complémentarité. Sinon, à quelques exceptions près, nous devrons devenir un luthiste et ne pas pouvoir rester un guitariste. Un autre argument favorable pour un guitariste moderne est que la guitare moderne a l’avantage d’être esthétiquement universelle : la musique de toutes les époques, de la Renaissance, du baroque, du classique, du romantique, du 20e, etc., sonne parfaitement. Nous avons le savoir-faire et la robustesse de la guitare moderne, combinés à la simplicité antique des cordes pincées. Il est possible de jouer de la musique médiévale exactement avec la même technique de base. Toute cette capacité d’adaptation est liée à l’instrument moderne qui permet une telle versatilité.

Est-ce que nous nous sommes déjà demandé pourquoi nous jouons Bach au piano ? Pourquoi les pianistes ne jouent-ils pas de Bach au clavecin ? Évidemment, même s’ils jouent les notes fidèlement sur un clavier assez semblable à celui d’un piano, les pianistes sont inévitablement désorientés lorsque leur gestuelle se répète au clavecin : la pulsion des doigts est différente à cause du mécanisme, l’organisation du legato est également complètement différente, etc. Bach ou Scarlatti au piano signifient une similitude complète de la musique et de

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la technique de base (clavier), mais également une réhabilitation complète de l’articulation, des respirations, du legato, du tempo, de la durée des notes, etc.

Les époques successives de l’histoire de la musique nous apportent de nombreux exemples d’évolution instrumentale tout autant que d’adaptations instrumentales. Pensons par exemple aux nombreux modèles de luths qui ont évolué de siècle en siècle, ou encore aux guitares de Napoléon Coste57 au 19e siècle et à tous ces différents modèles, guitare à dix cordes, guitare viennoise à huit cordes, etc. Les adaptations sont nombreuses et variées, elles ont continuellement donné des possibilités d’évolution de l’expressivité et de la sensibilité artistique. Mon projet suit cette direction oubliée et pourtant si forte et universelle pendant si longtemps ! Aussi, on peut dire que cette démarche qui unit deux principes ouvre donc la voie aux guitaristes modernes qui aimeront dans le futur jouer cette musique en gardant leur technique instrumentale tout en évitant le dilemme de la transcription arbitraire nécessaire à la guitare habituelle à six cordes.

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