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Questions initiales et terrains de la recherche (Stéphane Bonnéry)

Partie III. Le passage CM2 / 6 ème Difficultés, décrochages et raccrochages

1. Questions initiales et terrains de la recherche (Stéphane Bonnéry)

CUMUL DE DIFFICULTES ET DECROCHAGE DE L’ECOLE PRIMAIRE AU COLLEGE

Au collège, les phénomènes de déscolarisation « radicale » (au sens de la non- fréquentation d’un établissement scolaire) sont aujourd’hui au devant de la scène, associés dans les discours publics à la « délinquance juvénile », à la « violence scolaire », à la « perturbation » des établissements. Si l’attention est attirée habituellement par ces formes les plus visibles du « divorce » entre certains élèves et l’institution scolaire, on sait par ailleurs que d’autres formes plus discrètes existent, d’une part pour d’autres jeunes, d’autre part en amont des ruptures "franches" de scolarité : en effet, la connaissance de travaux antérieurs sur les lycéens décrocheurs1, mais aussi tout particulièrement sur les sorties sans qualification du système scolaire2, a servi de point de départ à notre recherche3 et a permis de l’orienter dans les directions précisées ci-dessous.

L’étude du passage CM2 / 6ème et l’hypothèse du « décrochage de l’intérieur ».

Les études statistiques sur les parcours de jeunes sortis sans qualification du système scolaire menées au travers du suivi d’une cohorte4 montrent que l’arrêt de la scolarité peut subvenir alors que l’élève n’a atteint qu’un niveau VI5, c'est- à-dire lors du collège, même si ce « décrochage précoce » ne représente qu’une partie des cas de sorties sans qualification (dans la cohorte 1989/90, 54,2% des élèves ont interrompu leur scolarité alors qu’ils fréquentaient le premier cycle du secondaire ; 11% des sorties ont eu lieu avant trois ans passés au collège – Caille, 1999). Ce sont ces sorties précoces qui ont retenu notre attention pour cette recherche. Si les chiffres de la DPD montrent qu’elles restent rares en sixième, elles deviennent plus fréquentes à chaque classe du collège (les classes « générales » de 6ème, 5ème, 4ème et 3ème représentent respectivement la dernière classe fréquentée par 0,2%, 3,3%, 4,4% et 12,4% des élèves sortis sans qualification – Caille, 1999). Mais ces arrêts de scolarité au collège sont

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Voir sur ce point les contributions au colloque « Les lycéens décrocheurs » dans l’ouvrage qui en est tiré (Bloch & Gerde, 1998) et notamment les articles : Glasman (1998/2000) ; Broccolichi (1998a) ; Rayou (1998) ; Rochex (1998).

2 Nos travaux de références seront cités dans les paragraphes suivants de cette section. 3

Voir projet initial, recensé in Dray & Œuvrard (2000).

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La DEP/DPD a suivi les élèves qui sont entrés dans le secondaire en 1989/1990 (Chausseron, 1999 ; Caille, 1999, 2000 ; Broccolichi & Larguèze, 1996 ; Broccolichi & Ben-Ayed, 1999 ; Broccolichi 1997, 1998a, 1998b, 1999, 2000).

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De même, le travail du CEREQ (Bordigoni, 2001) qui procède non pas par suivi de cohorte, mais étudie les correspondances entre insertion professionnelle et niveau de sortie du système scolaire, pointe que sur les 640.000 jeunes arrivés sur le marché du travail en 1992, 4,2% étaient sortis sans diplômes avant la troisième.

119 presque toujours précédés de difficultés d’apprentissage intenses et précoces dès l’école élémentaire, se traduisant notamment par des redoublements plus fréquents en particulier dans les petites classes (Caille, 1999).

Les recherches de S. Broccolichi1, basées sur l’étude des dossiers scolaires et sur des entretiens avec des jeunes décrocheurs suivis dans cette cohorte ont notamment montré que ces élèves n’avaient pas à leur sortie du primaire ce que nous appellerons les pré-requis pour réussir au collège, mais pour autant que jusqu’en CM2, les relations pédagogiques n’étaient pas rompues, l’implication (au moins partielle) dans le travail scolaire était maintenue : « Au niveau du collège, les exigences s’élèvent et la situation d’échec aggravé n’est souvent même plus pondérée par le maintien d’un lien personnalisé avec l’enseignant » (Broccolichi & Ben- Ayed, 1999).

Par ailleurs, des travaux précédents de l’équipe E.S.COL ont notamment mis au jour que chez des enfants de milieux populaires, « l’école élémentaire est l’objet de souvenirs généralement positifs » (Charlot, Bautier & Rochex, 1992). C’est même en terme d’opposition entre le bon souvenir de l’école primaire et « l’engrenage » des problèmes à partir du collège que cette idée apparaît dans les entretiens que nous avons réalisés avec des élèves de classe-relais2 (Centre Alain Savary, 1999 ; Bonnéry, 1999 ; Martin & Bonnéry, 2002) : alors qu’ils ont l’impression que leur scolarité primaire s’est déroulée sans problème majeur, ces élèves interprètent les situations scolaires du collège (où ils ont "décroché") sur le registre de conflits interpersonnels, de sentiments de rejet ou d’injustice, et cette "interprétation" a semble-t-il "grippé" encore plus les relations pédagogiques et les apprentissages. Ceci ne fait que confirmer l’un des résultats des recherches sur les décrocheurs précoces dont il a été question précédemment : tout semble indiquer qu’après avoir été en difficulté d’apprentissage, l’indiscipline soit un refuge qui empêche d’autant plus les acquisitions de savoirs (Broccolichi ; Thin, 1999).

Reprenant ainsi à son compte l’idée selon laquelle le décrochage pouvait être progressif, c'est- à-dire qu’avant d’être des « déscolarisés » au sens strict, les élèves pouvaient être des « déscolarisés dans l’école » (Glasman, 1998/2000) ou des « décrochés de l’intérieur », qui continueraient à fréquenter un établissement sans que ce soit pour y apprendre, notre recherche s’est intéressée aux processus se situant en amont de la déscolarisation.

Comment des difficultés importantes d’apprentissages n’entraînent-elles pas une rupture des relations pédagogiques et des sorties du système scolaire à l’école primaire ? Comment au collège peuvent-elles donner lieu à des processus de décrochages de l’intérieur, voire de déscolarisation ? Que s’est- il passé pour ces élèves entre cette scolarité primaire mythifiée et la « sortie » conflictuelle du collège ? L’étude de ce qui se passe pour de « potentiels décrocheurs » (voir plus loin) lors du passage entre ces deux niveaux scolaires nous est apparue pertinente pour comprendre ce qui dans le changement de cycle pouvait poser des problèmes contribuant au décrochage pour une population définie, ce que nous allons voir maintenant.

1 Voir en bibliographie les différents travaux déjà cités. 2

Les classes(ou dispositifs)-relais accueillent des jeunes soumis à l’obligation de scolarité. Ceux-ci ont souvent connu très tôt des difficultés importantes d’apprentissage, mais c’est au collège (plutôt en 4e ou 3e) qu’ils ont manifesté des comportements à partir desquels ils ont été considérés comme déscolarisés ou en voie de l’être (critères d’appréciation variables : non-inscription ou dés -inscription scolaire du fait d’exclusions successives, absentéisme, violence, "perturbations" dans le collège d’origine, refus de travail). Il s’agit d’enfants de familles souvent précarisées. Ces classes ne relèvent pas de l’enseignement spécialisé, les élèves accueillis ne souffrent pas de déficiences mentales, même si des enseignants spécialisés et des éducateurs y interviennent.

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Des « difficultés » sociales et des « difficultés » scolaires au « décrochage » entre le CM2 et la 6ème ?

Si le décrochage scolaire touche des jeunes divers, pour ce qui est des sorties précoces du système scolaire, les études résultant du suivi par la DPD de la cohorte dont il a été question montrent d’une part que les jeunes concernés sont d’autant plus nombreux que leur famille est d’origine sociale modeste et qu’elle n’a pas obtenu de diplômes scolaires (Caille, 1999), et d’autre part que le « risque » de décrochage est d’autant plus important qu’ils n’ont pas dans leur entourage « d’interlocuteurs susceptibles d’assurer un encadrement de leur travail scolaire [qui permettent que des] perturbations de la vie familiale ou scolaire [soient] moins lourdes de conséquences sur la scolarité lorsqu’une régulation peut être assurée rapidement » (Broccolichi & Ben-Ayed, 1999 ; voir également la partie I du rapport : J.-P. Terrail & A. Bebi).

Mais comme le soulignent ces auteurs, corrélation ne signifie pas déterminisme. C’est sur les processus qui contribuent au « décrochage », au « raccrochage » d’élèves issus de familles en grande difficulté sociale (où l’on peut aussi « réussir » à l’école), que s’est centrée notre recherche.

En effet, comme cela avait été mis en évidence dans les travaux du colloque sur les lycéens décrocheurs, « l’unité du terme décrocheurs [peut] masquer la diversité des processus » (Rochex, 1998), notamment selon le degré de familiarité des élèves à la culture scolaire. De plus, ici encore, nous avons repris à notre compte l’idée selon laquelle les décrocheurs pouvaient ne pas constituer une population distincte des autres élèves (Glasman, 1998/2000 ; Rayou, 2000b) mais cumulaient ce qui peut faire difficulté plus largement pour les enfants de la « massification scolaire », issus de milieux populaires, moins familiarisés avec la culture scolaire, et qu’il existerait donc un continuum (Castel, 1995) entre les élèves « en réussite » et les « déscolarisés », d’où l’hypothèse que ceux-ci pourraient avoir été, avant que leur scolarité ne soit interrompue, des « décrochés de l’intérieur » ou « déscolarisés dans l’école » (Glasman, 1998/2000).

De précédentes recherches d’E.S.COL montrent notamment que les enfants issus des milieux les moins familiers de la culture scolaire, qui ne peuvent recourir qu’à l’École pour comprendre ce que cette même École attend d’eux, peuvent plus particulièreme nt se confronter à des malentendus socio-cognitifs (Bautier & Rochex, 1997) : d’une part, l’École en engageant l’élève dans des formes de travail scolaire croit permettre automatiquement à celui-ci de mettre en œuvre l’activité intellectuelle nécessaire pour s’approprier les savoirs . Un certain nombre de compétences, reposant dans des impensés sociaux, sont présupposées acquises alors qu’elles n’ont pas fait l’objet d’une transmission scolaire (Bautier & Rochex, 1998). D’autre part, l’élève croit qu’il fait ce qui est scolairement attendu de lui lorsqu’il s’engage dans ces formes, et croit donc pouvoir se contenter de s’y engager a minima, n’ayant pas conscience que le mode d’activité intellectuelle mobilisé ne permet pas l’appropriation des savoirs attendus. Au-delà de la seule dimension socio-cognitive dans les formes de travail scolaire, plus généralement, dans l’ensemble des formes scolaires1 auxquelles ils se confrontent, les élèves peuvent ainsi se penser dans l’institution sur des modes d’exécution de tâches, de consignes, de règles, morcelées et non transcendées par les nécessités de la transmission de savoir dans des disciplines spécifiques. Dans ce cas-là, nous dirons que si ces

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121 élèves sont scolarisés d’un point de vue institutionnel, ils ne s’inscrivent pas au sein de l’École dans une place symbolique d’élève (Bautier & Rochex, 1998 ; Rochex, 2000a), mais toujours uniquement en tant que personne, en tant qu’enfant. C'est- à-dire que les exigences scolaires auxquelles ils se confrontent peuvent être interprétées par eux comme afférentes à des nécessités organisationnelles et/ou à des codes sociaux (respecter les adultes) et/ou à des arbitraires personnels des adultes rencontrés dans l’Ecole, mais pas aux nécessités inhérentes à la transmission / appropriation de savoirs normés par l’écrit, qui déterminent des places respectives d’enseignant et d’élève, des modes d’activités et de comportements. Elles sont

institutionnelles mais non instituantes.

De plus, en ne s’inscrivant pas dans une place symbolique d’élève, en vivant leur scolarité comme des expériences sociales non spécifiques, il y a pour ces élèves une plus grande possibilité de glissements de registres, d’interprétation des situations scolaires essentiellement sur le registre affectif ou intersubjectif (Bautier & Rochex, 1998 ; Martin & Bonnéry, 2002). Ce déplacement des enjeux socio-cognitifs des relations pédagogiques peut en particulier se jouer au travers du fait que la continuité et la cohérence des différents moments de classe, des différentes formes de travail qui se succèdent ne sont pas vues comme organisées par les nécessités des disciplines enseignées, mais par l’enseignant « personnellement ». Ici encore, dans cette approche, de tels glissements de registres ne sont pas à regarder du seul côté des élèves, mais dans la confrontation de ceux-ci avec l’École, si l’on considère que les formes scolaires peuvent être en œuvre dans des évidences sociales, des modes implicites, qui présupposent que l’enfant est déjà construit en élève et qu’il possède tous les éléments pour interpréter les situations scolaires sur le registre attendu, ou si l’on considère que les pratiques scolaires peuvent entretenir, voire contribuer à créer, de tels glissements de registres.

Cette approche est également ce qui nous a conduits à nous intéresser au passage entre

le CM2 et la 6ème, car comme lors de « chaque changement de cycle […] s’y produisent des effets de dévoilement pour des élèves qui se sont et ont pu être leurrés quant à leur « niveau » au [cycle précédent] où ils ont pu avoir l’illusion d’être de bons élèves » (Rochex, 1998), la désillusion n’en étant alors que plus grande dans le nouveau cycle (Broccolichi, 1995). Ces effets, propres aux changements de cycles, de mise au jour des difficultés occultées jusque- là, tiennent notamment aux changements d’exigences comme aux ruptures de contrats didactiques qui en découlent, aux acquis présupposés dans les classes antérieures. Cet effet de « dévoilement peut être producteur [d’un] cercle vicieux de l’abandon réciproque qui voit certains élèves faire de nécessité vertu et transformer leur désir et leurs attentes contrariés à l’égard de l’institution scolaire en ressentiment et en dénigrement de celle-ci et de ses professionnels, et qui voit ces derniers adopter la même attitude à leur égard […] ; ces processus circulaires peuvent avoir des effets ravageurs à très courts termes » (Rochex, 1998). Ce qui différencierait alors ces élèves de la plupart de ceux qui se confrontent à des difficultés sans pour autant que cela n’entraîne une interruption précoce de la scolarité, c’est qu’ils pourraient passer « du malentendu au décrochage » (Rochex, 1998), via un cumul de difficultés, tant sur le plan des malentendus sur les apprentissages que sur celui des glissements de registres dans les relations pédagogiques.

Ainsi avons-nous porté simultanément notre attention sur plusieurs aspects, et sur l’interaction entre ceux-ci, points que nous aborderons dans cet ordre dans les sections suivantes de cette partie.

D’abord, dans la section intitulée « Travail, apprentissages, et formes disciplinaires », nous avons abordé ce qui peut, aussi bien en CM2 qu’au collège, conduire à faire difficultés sur le plan des apprentissages, « malentendu » sur la nature des activités intellectuelles

122 attendues des élèves, dans les formes de travail scolaire dans lesquelles ils sont engagés. A l’appui de travaux antérieurs d’E.S.COL (Charlot, Bautier & Rochex, 1992 ; Bautier 1997b ; Bautier & Rochex, 1997 ; Bautier & Rochex, 1998), comme c’est un point qui peut être source de difficultés pour les élèves ayant le plus à s’acculturer à l’École, nous avons été particulièrement attentifs aux formes de travail scolaire qui mobilisent des activités intellectuelles de décontextualisation / recontextualisation. L’exemple d’une séquence de travail sur le schéma électrique en CM2 qui a été développé dans un premier temps permet de montrer comment pouvaient se développer ou perdurer des malentendus socio-cognitifs sur la nature de l’activité intellectuelle, comme des glissements de registres dans la relation enseignant / élève. Ces malentendus et glissements de registres reposent,de la part de l’École (les enseignants, mais aussi les programmes, les idéologies dominantes, et l’ensemble de ce qui détermine les formes scolaires) comme pour les élèves, sur des évidences socialement

situées. Cet exemple vise à donner à voir ces évidences à l’œuvre en CM2, pour essayer de

comprendre comment des élèves peuvent à la fois être « à côté » des apprentissages attendus, ne pas s’inscrire dans une place symbolique d’élève, tout en ayant l’impression de n’être pas « en difficulté », que leur scolarité « se passe bien ». Après cet exemple nous avons regardé plus généralement les impensés et évidences sociales auxquelles se confrontent ces élèves entre le CM2 et le collège. En effet, notre recherche s’est tout particulièrement intéressée à l’interaction entre « ce en quoi l’École décroche les élèves » et « ce en quoi les élèves décrochent de l’École », ce qui nécessitait d’étudier de plus près les formes de travail scolaire, afin de comprendre les situations dans lesquelles pouvait survenir le décrochage, et de comprendre comment l’interprétation de ces situations par les élèves pouvait alimenter les processus de décrochage.

En effet, dans la section « Adaptations réciproques de l’institution et des élèves à leurs difficultés d’apprendre », nous avons abordé plus particulièrement la façon dont les élèves interprètent leur scolarité, les situations scolaires qu’ils rencontrent, aussi bien à partir de ce qu’ils « importent » dans l’École de discours disponibles et de modes interprétatifs que de ce que l’institution scolaire occulte et/ou donne à voir aux élèves de ce qu’ils sont, socialement et scolairement. La question du traitement des « difficultés » au cycle élémentaire et au collège y est centrale et fait suite au travail d’A. Bebi, car dans les effets de mise au jour, de dévoilement, il semble important de prendre en compte ce qui dans les formes scolaires peut alimenter l’interprétation qu’en font les élèves. L’intelligibilité de ces interprétations d’élèves, parce qu’elles peuvent contribuer à « faire baisser les bras », à « décrocher » sera au cœur de notre approche.

Enfin, dans la section « Langage et décrochage de l’intérieur », nous avons montré comment la confrontation à des évidences socio- langagières non partagées contribue à de nombreux malentendus et comment ces élèves interprètent les situations scolaires en mobilisant des catégories langagières qui sont l’indice d’un malentendu sur le sens de l’école qui peut empêcher d’apprendre. Nous avons enfin porté notre attention sur la compréhension des tâches scolaires et de la langue grammatisée de l’écrit.

LES TERRAINS DE LA RECHERCHE

Un quartier populaire de Paris

Les différents établissements retenus comme terrains de la recherche sont tous implantés dans le même quartier de Paris. Celui-ci est un des derniers encore « populaires »

123 de la capitale, tant du point de vue de sa composition sociologique que de l’image qu’il porte, que pour ses habitants. De l’avis unanime des personnes qui y vivent ou qui y travaillent que nous avons rencontrées, même s’il existe des « sous-quartiers », il constitue une entité, il a sa dynamique propre.

Les liens sociaux y sont relativement structurés. Ils reposent notamment sur un tissu associatif et un secteur social développés, mais aussi sur une vie des familles « au quotidien » dans le quartier (marché, petits commerces, petits travaux par exemple), ou encore sur des liens communautaires ou religieux.

Ce quartier voit une part de sa population se renouveler régulièrement. Dans les établissements scolaires où nous avons mené la recherche (voir plus loin), les parents des élèves sont en général eux- mêmes migrants. Ceci explique peut-être qu’il y ait peu de « mariages mixtes ». En effet, ce quartier étant un lieu où se retrouvent / sont envoyés nombre de « primo-arrivants », sans être une exclusivité, c’est un de ses traits caractéristiques que la diversité des pays d’origine de ses habitants, diversité davantage visible quand il s’agit de familles de la « première génération ». Pour les élèves des écoles de la recherche, nous avons pu relever des pays de diverses régions du monde : Asie du Sud- Est, Europe de l’Est et du Sud, Moyen-Orient, Afrique du Nord, Afrique Noire, Amérique du Sud.

Au delà de l’aspect « publicité Benetton » que peuvent ainsi revêtir les cours de récréation comme les rues du quartier, cette précision vaut non seulement pour ce qui est de la vision fréquente que les enfants ont de leur inscription dans la société (en termes « communautaristes » ou « ethnicisés », voir plus loin) que parce que les conditions de vie, l’origine familiale, sont des critères appréhendés fortement par les enseignants dans la lecture qu’ils font des difficultés des élèves, et tout particulièrement à l’école primaire.

Durant une première phase de la recherche où nous avons interrogé des habitants du quartier ou des personnes qui y travaillent, tous les adultes rencontrés tenaient un discours similaire sur les « bonnes relations entre communautés » qui y régnaient. Les tensions entre Israéliens et Palestiniens qui sont d’actualité semblent avoir ensuite changé partiellement les discours, qui nous paraissent témoigner à la fois de la crainte d’une détérioration de la situation sur le quartier (à l’appui d’événements localisés) comme d’un constat (un souhait ?) que « malgré ça, ça continue à bien se passer ».

Si les origines nationales sont donc très diverses, les conditions de vie socio- économiques sont, elles, assez homogènes. En effet, même si une partie du quartier

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