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Questions d'interprétation

HITCHCOCK ET SON CINÉMA

II. Questions d'interprétation

Envisager Alfred Hitchcock comme un artiste se situant au confluent de diverses influences a permis de montrer qu'il était difficile d’adopter une position ferme sur son statut. Son ambivalence, sa volonté de plaire à la fois aux intellectuels et au public, son inscription dans le système hollywoodien et sa mise à distance récurrente font de lui un cinéaste tout à fait particulier : ces éléments préliminaires sont donc fondamentaux pour envisager sa place dans le champ théorique. De son vivant, son œuvre n'a pas été l’objet d'un consensus concernant sa dimension exceptionnelle. L’intervention de certains critiques à la fin des années cinquante a donc constitué une étape incontestable dans cette reconnaissance. Si une telle démarche trouve sa place ici, c’est n’est pas tant pour remettre au goût du jour des considérations historiques dépassées que pour entériner la légitimité de l’approche philosophique qui est la nôtre. En effet, ces auteurs ont remarqué une telle importance de l'œuvre hitchcockienne : voici donc la raison qui pousse à envisager leurs apports. Pour ce faire, il faut aborder brièvement et succinctement la démarche adoptée par des critiques tels que François Truffaut, Claude Chabrol ou Éric Rohmer afin de parvenir à un exposé de leurs apports théoriques tout en reconnaissant les limites d’une telle approche. Car il faut bien reconnaître que « même si l’auteurisme a été supplanté dans les études cinématographiques par d’autres méthodes théoriques, la critique interne prenant Hitchcock pour référence

exclusive a persisté et s’est même développée »1. Comme il sera de bon ton de le préciser, le

cinéaste est considéré aujourd’hui encore comme le seul et unique auteur de ses films. Par conséquent, à la lumière des éléments factuels mis au jour précédemment, il faut montrer en quoi cette conception ne peut plus être acceptée telle quel aujourd’hui. L’approche

méthodologique qui structure ce travail considère plutôt que le terme « Hitchcock » ne

représente pas uniquement l’homme, mais le résultat des facteurs participant à l’élaboration des films.

1 LOWENSTEIN, Adam, « The Master, The Maniac, and Frenzy: Hitchcock's legacy of horror », ALLEN,

Richard, ISHII-GONZALES, Sam (ed.), Alfred Hitchcock: Past and Future, Londres, Rutledge, 2004, p. 182 :

« Even as auteurism has been supplanted in film studies in favour of other theoretical methodologies, auto-based Hitchcock criticism has persisted and even flourished ».

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Dans la conclusion de son ouvrage sur sa carrière britannique, Tom Ryall affirmait que le réalisateur était trop artistique et trop commercial pour entrer dans l'une de ces deux catégories. Nous avons vu que sa carrière américaine était caractérisée par une intégration au système hollywoodien, tout en se distanciant d'une trop grande assimilation. Si cette dualité a été de mise dès la période anglaise, l'histoire de la critique montre qu'il a fallu attendre

l'initiative des Cahiers du cinéma pour que le sérieux de son œuvre devienne indiscutable et

que la période américaine soit réhabilitée. Mais bien au-delà de l'importance historique de cette théorie, c'est l'auteurisme appliqué à Hitchcock qu'il convient de revisiter ici. La critique intellectuelle de l'époque le considère comme un très bon technicien aux films divertissants et plus ou moins couronnés de succès, mais pas comme un artiste. Quant à la critique

britannique, elle regrette son départ à Hollywood et y décèle un déclin artistique1. En un mot

durant la période américaine, la volonté artistique d'Hitchcock n'était pas reconnue des deux côtés de l'Atlantique. C'est pourquoi l'entreprise des « Hitchcockophiles » a profondément modifié les relations entre le cinéaste et la critique. Si son statut en tant qu'auteur est une construction historique, la pérennité d'une telle idée est exceptionnelle.

Quand le cinéaste arrive aux États-Unis, il est bien considéré par la critique

new-yorkaise, ayant établi sa réputation de « plus grand réalisateur anglais »2 grâce au succès de

The Lady Vanishes et de The 39 Steps. Pourtant, la critique intellectuelle d'alors ne le considère pas comme un grand artiste. Browsley Crowther joue un rôle important dans cet état de fait parce que sa conception du cinéma va à l'encontre des réalisations hitchcockiennes :

1 LAMBERT, Gavin, « Lettre de Londres », op.cit., p. 43 : « Hitchcock a tourné aux États-Unis des films divertissants mais qui ne marquent aucun progrès sur ses premières réalisations. [Anthony] Asquith a apparemment abandonné toute recherche de l'originalité et se contente de discrètes adaptations de pièces de théâtre. Ils poursuivent leur chemin dans le vide, un vide dont ils ne sortent que rarement ; cette sorte de destin est hélas ! Le fait de nombreux réalisateurs anglais ». Gavin Lambert est à l'époque le rédacteur en

chef de Sight and Sound.

« tout au long de sa carrière, Crowther fit campagne pour un cinéma social et responsable »1.

Son avis sur des films comme Rear Window était peu élogieux et il considérait qu'Hitchcock

ne pouvait rien enseigner sur la nature humaine, à cause de la superficialité de son propos2.

De plus, les critiques intellectuels les plus influents avaient tendance à penser que ses films britanniques étaient supérieurs dans leur retenue aux films excessivement clinquants de la

période Paramount3. Quant à la critique française, elle était principalement intéressée par les

films à sujet et à thèse. C'est pourquoi elle considérait Hitchcock comme un « bon artisan des studios mais certainement pas comme un artiste susceptible de toucher l'opinion publique par la qualité de ses sujets, de la mobiliser par ses partis pris idéologiques, de l'élever par

l'exigence de ses scénarios »4. Le contenu de ses films était la principale critique.

Les premiers véritables défenseurs du cinéaste sont Jean-Charles Tachella et Roger

Thérond, deux jeunes rédacteurs à l'Écran français qui « engagent le combat au nom des

hollywoodophiles »5 en 1949. La sortie de Rope est l'occasion pour eux de « tenter de percer

le mur du mépris et du préjugé rapide faisant d'Hitchcock un money-maker doublé d'un

technicien roublard »6. Ils sont les premiers à s'ériger contre les critères de jugement de

l'époque et à affirmer un mépris pour le sujet : au contraire, ils encensent le style. Peu de

temps après dès 1951, les « jeunes Turcs » des Cahiers du cinéma se lancent dans une défense

effrénée d'Hitchcock qui devient le parfait exemple d'un cinéma américain de la forme. Les

1 Ibid., p. 27 : « Throughout his career, Crowther campaigned for a socially conscious and responsible cinema ».

2 Ibid., p. 28 : « “Mr Hitchcock's film [Rear Window]”, wrote Crowther, “is not significant. What it has to say aboutpeople and human nature is superficial and glib”».

3 Ibid., p. 44-45 : « Among those who compared the two version [The Man Who Knew too Much], the highbrow critics were considerably more inclined than other reviewers to regard the current version as inferior to the original. The critics who believed that Hitchcock's recent Hollywood films did not measure up to his British thrillers from the 1930s used the release of the American version […] as another opportunity to

complain about the Hollywood Hitchcock ».

4 DE BAECQUE, Antoine, La cinéphilie, op.cit., p. 112. 5 Ibid., p. 97.

6 Idem. Voir L'Écran français, n° 187 (1949), p. 3 : « Les metteurs en scène prennent l'habitude de tourner des séquences, des plans. Ils ne tournent plus tout à fait des films mais des bouts de film qu'avec l'aide d'un monteur ils assemblent selon leurs goûts. Hitchcock, lui, tourne un tout, un tout qui est SON film ».

critiques défendent une conception radicalement différente du cinéma, en proposant l'idée

suivante : « le fond d'un film, c'est sa forme »1. Cette tendance interprétative prend

véritablement naissance avec le hors-série des Cahiers du cinéma d'octobre 1954, entièrement

consacré à notre cinéaste. Grâce à l'étude formelle des films, les tenants de la politique des auteurs veulent découvrir des thématiques récurrentes qui jalonnent l'œuvre. Jacques Aumont

résume cette attitude de la manière suivante :« le point de départ de la querelle sur Hitchcock

[…] qui aboutit à son élection au rang d'auteur, ce fut la constatation d'une thématique obsessionnelle chez lui, celle du faux coupable. C'est de là que Rohmer et Chabrol déduisirent que, puisque dans l'univers hitchcockien tout le monde était potentiellement coupable, c'était

qu'il s'agissait d'un univers du péché originel : tous coupables, parce que tous déchus »2. La

politique des auteurs consacrée à Hitchcock va plus loin que la volonté de le hisser au rang d'artiste ; il y est célébré pour son formalisme qui n'est pas vide, mais au contraire le moyen par lequel s'exprime un contenu : « Ce serait peu de louer le perpétuel bonheur, la constante

richesse d'invention de Hitchcock si celle-ci n'était au service de l'expression »3. Pour Rohmer

les films s'organisent autour d'une forme primaire, centrale, une charpente qui guide toute

l'organisation interne du film : « Un film de Hitchcock s'organise non seulement à partir d'un

rythme préconçu, mais de tout un système secret »4. La présence de la métaphysique et

l'orientation profondément religieuse de son œuvre devient systématique : « Qu'on ne s'étonne point trop de trouver au lieu de mots de travelling, cadrage, objectif, et tout l'affreux jargon des studios les termes plus nobles et plus prétentieux d'âme, de Dieu, de diable, d'inquiétude

ou de péché »5. En effet, la ligne de conduite « s'est construite à partie d'une approche

spiritualiste du cinéma »6. Claude Chabrol évoque la fascination du mal qui traverse l'œuvre

1 DE BAECQUE, Antoine, La cinéphilie, op.cit., p. 112.

2 AUMONT, Jacques, « Paradoxal et innocent »,COGEVAL, Guy, PAÏNI, Dominique, (dir.),Hitchcock et l'art : Coïncidences fatales, Milan, Mazzotta, 2000, p. 90.

3 ROHMER, Éric, « À qui la faute ? », Cahiers du cinéma n°39 spécial « Alfred Hitchcock » (1954), p. 7. 4 Ibid., p. 8.

5 Ibid., p. 6.

6 DE BAECQUE, Antoine, Les Cahiers du cinéma : histoire d'une revue (tome 1) : À l'assaut du cinéma 1951-1959, Paris, Cahiers du cinéma, 1991, p. 87 : « En ce sens, Hitchcock, l'ancien élève des jésuites anglais, inaugure dans son œuvre une série de “films religieux” qui illustre parfaitement la politique de ses défenseurs

acharnés aux Cahiers, et les conforte dans leur approche du cinéma comme récit religieux du réel.

hitchcockienne et affirme l'importance de la problématique morale qui la jalonne. L'orientation catholique y est claire, l'auteur décrivant toute l'œuvre en termes de péché, de tentation, de rédemption, de Mal, de Satan et d'aveu. Il évoque également le moment où, avec François Truffaut, ils lancent Hitchcock sur la piste religieuse en lui exprimant l'idée que les

Cahiers du cinéma sont convaincus de l'existence d'une thématique cachée, « la recherche de

Dieu »1. François Truffaut va plus loin dans cette entreprise en s'efforçant de trouver les

signes du récit religieux, dégageant ainsi un schéma relativement clair qui caractérise

l'ensemble de l'œuvre : « Le héros hitchcockien, par transfert de personnalité, incarne le mal

d'un autre, d'un contre-type, du Mal. Il doit ensuite expier la faute de son double mauvais ; pour cela, il gravit un calvaire […], et a enfin la révélation : l'aveu, puis fait acte de contrition,

ce qui le délivre du double, de cet autre diabolique qui le hantait »2. Ce hors-série des Cahiers

du cinéma possède une importance capitale dans l'histoire de la critique parce qu'il est le tout premier à être entièrement consacré au travail d'Hitchcock et met en place les éléments

principaux qui constitueront la façon dont il sera considéré par ce pan de la critique3

.

L'entreprise auteuriste est affirmée avec la sortie en 1957 du premier livre

intégralement consacré à ses films : Hitchcock, de Rohmer et Chabrol, vise à asseoir et à

consolider les idées mises en place dans les articles de 1954. Quant à l'ouvrage de Jean

Douchet en 19674, il prend une orientation clairement ésotérique. Quelques années après,

la confession (I Confess) et à l'aide d'un miracle dû à la prière qui dénoue l'intrigue de The Wrong Man. La

ligne spiritualiste des Cahiers se veut alors tellement en accord avec la thématique hitchcockienne que

Truffaut, avec son esprit un peu potache, peut écrire dans le numéro 70 : “Les Cahiers du cinéma remercient

Alfred Hitchcock qui vient de tourner The Wrong Man uniquement pour nous faire plaisir et prouver à la face

du monde la Vérité de nos exégèses” »

1 CHABROL, Claude, « Histoire d'une interview », Cahiers du cinéma n°39 spécial « Alfred Hitchcock » (1954), p. 42.

2 DE BAECQUE, Antoine, La cinéphilie, op.cit., p. 117.

3 Citons également l'article de Jean Domarchi intitulé « Le chef-d'oeuvre inconnu » (Cahiers du cinéma, n°39

spécial « Alfred Hitchcock » (1954), p. 33-38) qui possède une importance capitale dans le processus de légitimation entamé par la politique des auteurs. Les tenants de cette tendance cherchent à attester que le génie du maître se trouve dans toute son œuvre, même dans les films considérés comme de moindre qualité,

tels que Under Capricorn. Il s'agit dont de réhabiliter certaines œuvres en montrant qu'elles participent

pleinement à la manifestation du génie et de la vision du monde propre à Hitchcock. 4 DOUCHET, Jean, Alfred Hitchcock (1967), Paris, Cahiers du cinéma, 1999.

François Truffaut aide Hitchcock à « construire son image, ou plutôt, à distinguer dans sa

propre production les films qui sont des “Hitchcock-films” de ceux qui n'en sont pas »1. Par

l'insertion de photogrammes dont certains sont à l'époque presque introuvables, Truffaut vise clairement à confirmer une fois pour toutes son génie et à « expliquer au public et aux journalistes pourquoi Alfred Hitchcock, qu'ils prennent pour un très bon cinéaste, est mieux

que cela – le plus grand génie visionnaire de l'histoire du cinéma »2. S'il s'agit moins de

métaphysique que de technique et de génie visuel, c'est peut-être avant tout parce que le Français vise clairement à révéler ce qu'il considère comme le génie formel d'Hitchcock pour les critiques américains qui n'ont pas encore cédé à l'auteurisme.

Ainsi, bien que la politique des auteurs soit une entreprise de propagande orientée et

partiale, et bien que la conception mystico-religieuse soit aujourd'hui dépassée3, ce petit

nombre de critiques a mis en route le processus de réhabilitation du cinéma hitchcockien, dont la diffusion outre-Atlantique a été rendue possible grâce à certains auteurs américains. Parmi

eux, les plus importants sont Peter Bogdanovich4, qui réalise le premier grand entretien avec

le cinéaste en 1963, six mois avant celui de François Truffaut, publié en 19665; Robin Wood,

qui n'hésite pas à comparer Hitchcock à Shakespeare et écrit l'un des tous premiers ouvrages

de langue anglaise entièrement consacré au réalisateur6; Andrew Sarris et Peter Wollen qui

1 SIPIÈRE,Dominique, «Transatlantiques : l'influence française sur la recherche en cinéma aux États-Unis »,

Revue française d'études américaines, n°88 (2001/2002), p. 9 [en ligne], disponible sur : http://www.cairn.info/revue-francaise-d-etudes-americaines-2001-2.htm (page consultée le 16 juin 2012). 2 DE BAECQUE, Antoine, La cinéphilie, op.cit., p. 130.

3 AUMONT, Jacques, « Paradoxal et innocent », op.cit., p. 90 : « Le paralogisme [entre la possible culpabilité de chacun et le péché originel] est grossier, et l'interprétation, trop peu subtile pour avoir survécu ».

4 BOGDANOVICH, Peter, « Alfred Hitchcock », op.cit., p. 471-559.

5 La première édition de l'entretient s'intitule Le cinéma selon Alfred Hitchcock, Paris, Robert Laffont. La

version définitive est publiée en 1983 et s'intitule Hitchcock / Truffaut, publié aux éditions Ramsay.

L'ouvrage est augmenté d'un chapitre sur les derniers films d'Hitchcock et une préface. L'édition utilisée dans ce travail est la publication de 1993 aux éditions Gallimard.

6 WOOD, Robin, Hitchcock's Films, Londres, Tantivy Press, 1965. Bien que ce livre soit souvent considéré

comme le tout premier livre anglophone entièrement dédié aux films hitchcockiens, notons que la même

année sort un ouvrage du même type. Voir PERRY, Georges, The Films of Alfred Hitchcock, New York,

participent activement à la diffusion de l'auteurisme aux États-Unis1. Pourtant, jusqu'à la fin des années soixante, la majeure partie de la critique américaine continue à considérer Hitchcock comme un cinéaste appartenant au monde du divertissement et non pas à la sphère artistique, rejetant la conception en vogue en France. Comme le montre Robert Kapsis, le

changement se fait entre la sortie de Torn Curtain en 1966 et celle de Topaz en 1969. En effet,

ces trois années sont suffisantes pour constater un changement du discours ; la théorie de

l'auteur est en pleine ascension à ce moment-là2. Puis entre Topaz et Frenzy, c'est la plus

grande partie de la critique qui semble rejoindre la tendance auteuriste, « alors établie comme la perspective théorique dominante parmi les critiques cinématographiques académiques aux

États-Unis »3. Par exemple, Browsley Crowther est remplacé par Vincent Canby en 1968 : ce

jeune critique aide à changer l'image d'Hitchcock au seindu New York Times et contribue à le

faire accepter en tant qu'artiste. De fait, lorsque sort Frenzy, il est mondialement reconnu. En

effet, les années soixante-dix sont véritablement prolifiques pour sa réputation et les signes d'une reconnaissance s'accumulent. En 1971, il est fait chevalier de la Légion d'Honneur par Henri Langlois à la Cinémathèque française ; en 1972, il reçoit un diplôme honoraire à

l'université de Columbia4 ; en 1979, il reçoit le Life Achievement Award décerné par

l'American Film Institute. Ainsi, au milieu des années soixante-dix, il est sans conteste considéré comme un grand artiste. Cette reconnaissance tardive le fait pourtant accéder au Panthéon des artistes à la fois sérieux et divertissants, réputation dont il va continuer à jouir et dont les critiques modernes sont les héritiers.

1 KAPSIS, Robert E., Hitchcock: The Making of a Reputation, op.cit., p. 100. Voir BERNAS, Steven, L'Auteur au cinéma, Paris, L'Harmattan, 2002, p. 379 : « La politique des Auteurs, vus par les auteuristes anglo-saxons, débute en 1962 sous la plume d'Andrew Sarris, à partir de sa lecture du cinéma franco-américain, intégrant en cela les idéaux de Truffaut et des “jeunes Turcs”. Cet aspect étonnamment proclamatif va être reconduit dans les pays anglo-saxons, en particulier aux États-Unis autour d'Andrew Sarris et de Peter

Wollen en 1962 et 1970 ». Voir également SIPIÈRE, Dominique, « Transatlantiques : l'influence française sur

la recherche en cinéma aux États-Unis », op.cit., p. 6-28.

2 Idem.

3 Ibid., p. 110 : « During the three years between Topaz and Frenzy, many more newspaper and magazine critics embraced the auteur theory […] which by now had become firmly entrenched as the dominant theoretical perspective among academic film critics in the United States ».

Considérer qu'Hitchcock est un auteur revient ainsi à l'accepter en tant qu'artiste et à comprendre que son œuvre, si riche formellement, contient également des propos forts et

pertinents qu'il revient à l'exégète de découvrir. Les Cahiers du cinéma n'ont pas été les

premiers à le prendre véritablement au sérieux dans la mesure où certains critiques britanniques voyaient dans son cinéma une recherche artistique et formelle importante. Mais leur approche a mis l'accent sur son propos et sa fécondité morale. La critique américaine eut beaucoup de retard dans ce processus d'habilitation, ce qui mena à une situation ironique, décrite par William Rothman :

Au moment de la mort d'Hitchcock, l'Amérique était parvenue à un consensus à propos ce que qu'il était et de ce qu'il avait accompli. […] Hitchcock était le Maître du Suspense. Il était le plus grand technicien commercial parmi les cinéastes, ainsi que le modèle de l'amuseur populaire dépourvu de vision artistique. […] À moins que l'on regarde de près ses films et que l'on y réfléchisse sérieusement, cette vision ne semble pas simplement possible, mais inévitable. […]. Ce que Hitchcock savait quand il est mort, c'est que

l'Amérique n'avait jamais vraiment compris ses films1.

Sa reconnaissance critique n'eut pas l'occasion de se développer assez rapidement pour être acceptée en Amérique avant sa mort. Mais aujourd'hui la situation est bien différente, et

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