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CHAPITRE 3 : L’ORIENTATION DIDACTIQUE ET LA MISE EN ŒUVRE

9. Questionner les enseignants

Sur l’ensemble de mes travaux sur les pratiques d’évaluation, j’ai interrogé les enseignants selon deux orientations différentes : leurs conceptions et leurs pratiques.

Lors de l’étude sur les pratiques de passation des évaluations nationales, j’avais questionné huit enseignants sur la manière dont ils concevaient (au sens de représentation) les évaluations nationales pour tenter de mettre au jour les relations entre leurs conceptions et leurs pratiques. Ce fut l’occasion pour certains maitres d’aborder aussi la manière dont ils vivent les évaluations.

J’ai interrogé un second groupe d’enseignants dans le cadre spécifique de la thèse, essentiellement pour aborder leurs pratiques avant d’aller les observer.

9.1. Approcher les pratiques visibles et celles qui le sont moins

Quatre enseignants ont été enquêtés sous la forme d’un entretien formel (annexe 8). Les conditions sont différentes pour chacun d’eux, même si les objectifs communs étaient de cerner ce que les enseignants évaluaient et comment ils le faisaient. Je souhaitais aussi organiser la programmation des observations.

Trois des enseignants (Catherine, Robert et Magali) m’avaient remis au préalable un dossier d’évaluation d’un élève de leur classe. Pour Morisse (2011), les documents des élèves sont une « manifestation visible du travail didactique de l’enseignant et des savoirs enseignés » (p. 148). Elle définit le visible comme la part publique du travail enseignant. Je considère donc, en analysant les documents d’évaluation de l’élève, que j’accède à une petite partie visible des pratiques évaluatives de l’enseignant.

J’ai tenté d’approcher la partie invisible des pratiques, c’est à dire par opposition au visible, celle qui n’était pas rendue publique dans les dossiers, ce à quoi je n’avais pas eu accès. Je m’écarte quelque peu de l’opposition faite par Morisse (2011) pour qui l’invisible

rend compte, certes, de la partie du travail enseignant qui n’est pas rendue publique, mais elle caractérise en ce sens le processus de fabrication du document. Pour ma part, j’élargis davantage la notion de l’invisible à ce que je n’ai pas recueilli, et dont j’interroge la possible existence ou les raisons de l’absence, ainsi qu’au processus d’organisation des dispositifs d’évaluation.

J’ai préparé chaque rencontre en construisant un guide d’entretien autour de questions communes, en l’adaptant aux différentes situations. Concernant Robert et Magali, à mi-temps dans la même classe, je souhaitais aussi comprendre comment ils se répartissaient les évaluations. J’envisageais de demander à Marc d’accéder à un dossier d’élève. Quant à Catherine, j’avais davantage analysé le dossier d’évaluation qu’elle m’avait remis avant l’entretien, ce qui m’a permis d’aborder des questions plus précises sur les documents supports d’évaluation et les pratiques qui en découlent.

J’ai débuté chaque entretien par une brève présentation de la recherche en expliquant que je cherchais à décrire les différentes manières d’évaluer les élèves dans les différentes disciplines scolaires. Je précisais mon intérêt pour les évaluations dont le résultat est transmis à l’extérieur de la classe. Je précisais que ces évaluations devaient être annoncées aux élèves. Les entretiens, d’une durée de 45 à 70 minutes, sont enregistrés.

Figure 15. Les questions communes aux enseignants

→ Les différentes formes d’évaluation pratiquées (autres qu’écrites et individuelles) : - Évaluations orales ? Quelles disciplines ? Comment ? Évaluations collectives ? Petits groupes par exemple…

→ Pourriez-vous détailler les évaluations que vous faites en pensant à chaque discipline ? Faire penser à Anglais, arts (arts plastiques ou arts visuels, histoire de l’art), musique, chant, récitation (ou poésie), informatique, éducation civique, EPS, histoire-géo, sciences…

Dans le questionnaire que j’avais fait passer sur les matières préférées, moins aimées… des élèves m’ont parlé de calcul mental, de la dictée, d’exposé…

→ J’ai trouvé dans des dossiers d’évaluation d’autres écoles des traces d’attestations telles qu’apprendre à porter secours, permis cycliste, faites-vous ce genre de choses, est-ce attesté

par une évaluation formelle ? Qui les fait passer, de quelle manière ?

→ Voir avec l’enseignant les possibilités de mise en œuvre de la recherche dans sa classe (observations, questionnaires et entretiens d’élèves).

9.2. Les contraintes des entretiens

Rencontrer des enseignants pour des entretiens n’est pas chose aisée, outre le volontariat de chacun, il faut aussi composer avec les plannings scolaires et personnels. Trois enseignants ont été rencontrés dans leur classe : Robert après la classe, Marc sur la pause méridienne, Magali en marge d’une réunion de maitres. L’entretien avec Catherine s’est effectué durant les vacances d’été, chez elle. Il est possible de mesurer que des conditions étaient plus favorables que d’autres : la pause méridienne est limitée dans le temps, la réunion de maitres dans la même pièce gêne les échanges et les enregistrements, et à domicile il faut composer avec les interruptions familiales et les activités privées.

Ces contraintes sont difficiles à contrôler par le chercheur, Laura Nicolas (2016) a montré que cela pouvait engendrer « une certaine déconcentration de l’enquêté par rapport au sujet de l’entretien » (p. 247). Postulant que les discours privés n’ont pas d’intérêt pour la recherche, je ne les ai pas transcrits. J’ai toutefois choisi de les mentionner dans les transcriptions en les symbolisant [EXT] (pour intervention extérieure), postulant qu’ils pourraient expliquer des ruptures dans les échanges ou certaines déstabilisations dans le discours de chacun des locuteurs.

9.3. Un traitement des entretiens pour éclairer d’autres données

Les transcriptions des entretiens des enseignants n’ont pas fait l’objet d’un traitement informatisé. Je les ai étudiés au fur et à mesure des besoins, sur la base de nombreuses lectures et relectures des transcriptions imprimées.

J’ai d’abord différencié les parties en fonction des disciplines abordées ainsi que les domaines, voire les contenus abordés. J’ai ensuite relevé les différentes thématiques pour compléter la construction de la modélisation et pour éclairer les questions soulevées lors des analyses des documents recueillis et des séances observées.

Tous les entretiens ont porté sur les modalités d’évaluation, les enseignants ont expliqué les différents types d’évaluations organisées, les dispositifs qu’ils mettent en place, et les différents modes de notation et de diffusion des résultats. Selon les maitres, certains points ont davantage été creusés, par exemple la conception des supports d’évaluation et les sources utilisées pour les construire, la préparation des évaluations en classe, les aménagements mis en place pour certains élèves, les différents usages des évaluations, le devenir des documents…

Les enseignants ont ponctué leurs discours de leurs difficultés, leurs doutes à propos de leurs pratiques et de la complexité à mettre en relation les pratiques d’évaluation avec les recommandations et les prescriptions. J’ai choisi de rendre compte de ce vécu des enseignants au fil de l’écriture de cette thèse, comme des commentaires ou interrogations sur les pratiques mises au jour.