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I. INTRODUCTION ET PROBLEMATIQUE DE RECHERCHE

1.2 Problématisation

1.2.2 Questionnement et hypothèses de recherche

À partir de la formulation générale d’une problématique centrée sur la dimension sociale des choix techniques de viticulteurs, c'est-à-dire en repérant le rôle joué par leurs échanges dans ces décisions, nous avons défini des questions plus spécifiques liées aux présupposés évoqués. Ce questionnement a donné lieu à la formulation des hypothèses, dans un exercice de problématisation réalisé en deux temps. Une proposition initiale de questions et d’hypothèses fut réalisée à partir des informations extraites des premiers entretiens auprès des viticulteurs, des lectures et des discussions avec l’équipe de chercheurs participant au projet GeDuQue. Ensuite, la définition finale a été atteinte une fois finalisé le travail de terrain, lors de nos analyses sur les données recueillies39.

Les hypothèses formulées constituent des propositions de réponses à trois questions générales, dont chacune est basée sur la précédente, en suivant une logique qui peut être résumée de la façon suivante : premièrement, nous nous intéressons à la place des dynamiques collectives dans le cadre du travail de viticulteur, tout en sachant qu’il est en principe individuel. Ceci équivaut à s’interroger de manière générale sur le rôle joué par les échanges professionnels dans la réalisation de leur métier. Deuxièmement, nous nous sommes questionnés plus spécifiquement sur l’existence d’un rapport entre certains choix techniques des viticulteurs et leurs échanges, c’est-à-dire, entre la morphologie de réseaux professionnels et les pratiques mises en œuvre. Troisièmement, nous nous interrogeons sur les caractéristiques des dynamiques relationnelles qui agissent sur

39 Cette problématisation « progressive » se justifie par deux raisons, l’une méthodologique et l’autre d’ordre pratique. Premièrement, nous avons voulu suivre une démarche fondamentalement inductive, dans le sens d’intégrer nos premières observations à la problématisation de la recherche (voir chapitre 3.1.3). La deuxième raison est liée au contexte de réalisation de cette étude. Notre participation dans le projet de recherche GeDuQue nous a mené à travailler d’abord sur les questions de cette étude pour, dans un deuxième temps, formuler une problématique originale guidant cette thèse.

les décisions autour de l’adoption d’une certaine technique, permettant d’expliquer les rapports repérés entre les configurations de relations professionnelles et les choix techniques. Ces questions ont donné lieu à des hypothèses guidant nos analyses des données recueillies. Elles sont présentées ci-dessous, avec une description sommaire de l’approche analytique mobilisée pour les développer.

- Hypothèse 1 : La capacité des viticulteurs à maîtriser leur métier -ce qui inclut la

mise en œuvre de techniques alternatives à celles jusqu’à présent utilisées-, est fortement liée à leur possibilité d’accéder à des ressources cognitives et sociales pertinentes, inscrites dans un espace d’échanges sociaux basés sur le don.40

Cette hypothèse propose une réponse à différentes questions sur la dimension collective du travail de viticulteur. En effet, quel rôle jouent les échanges professionnels dans le travail de viticulteur ? Comment caractériser ces échanges ? Quelles raisons amènent les viticulteurs à s’investir dans ces relations professionnelles ? Quelle est la nature des interactions observées? Pour une recherche visant à établir l’importance des dynamiques sociales dans les processus décisionnels sur les techniques appliquées au vignoble, un point primordial consiste à explorer les fondements et la nature de ce système collectif d’échange, surtout dans le cadre d’une activité qui n’est pas développée au sein d’une organisation formelle. Dans ce contexte, nous focalisons notre attention sur les échanges professionnels entre viticulteurs, en interrogeant sur les motivations de ces derniers pour y participer, ainsi que sur l’importance de ces relations par rapport au travail viticole. Mettre en exergue les caractéristiques et la place des relations professionnelles41, ainsi que les raisons menant les viticulteurs à s’engager dans ces rapports, apparaît alors comme une condition préalable pour proposer, ensuite, des

40

Cette hypothèse s’inspire directement de celle formulée par C. Compagnone (2004, op.cit) et elle a guidé aussi la réalisation du projet de recherche GeDuQue (Valdivieso et Compagnone,

op.cit.). Prenant cette idée d’un rapport entre la maîtrise du métier et l’accès à des ressources cognitives et sociales nous voulons montrer, dans le cadre de cette thèse, comment les échanges par lesquels circulent ces ressources sont fondés par le don.

41 Dans le cadre de cette recherche, par « relations professionnelles » nous signifions les liens et

les échanges entre viticulteurs. Donc ce terme n’est pas compris ici dans le sens donné par la sociologie des professions. Pour cette dernière, les relations professionnelles ont un rapport avec la codification des relations au travail, les règles structurant les rapports entre salariés, institutions et syndicats, et les conditions pour le conflit et la négociation autour l’emploi, entre autres sujets (Bevort et Jovert, 2008 ; Lallement, 1996).

liens plus spécifiques entre certaines dynamiques sociales et la prise de décisions techniques. Nous cherchons, donc, à confirmer la présomption que la maîtrise du travail viticole s’appuie significativement sur l’accès des viticulteurs à des ressources cognitives, matérielles et sociales circulant dans un espace d’échanges. Selon cette hypothèse, face à l’absence d’une stabilisation de pratiques et en considérant les contraintes propres d’un travail individuel, les viticulteurs seraient obligés d’avoir recours aux pairs pour gérer les transformations affectant leur métier. Cela nous mène à accorder de l’attention à la caractérisation et l’analyse des relations concrètes engagées entre les acteurs, en supposant que la capacité des viticulteurs à s’impliquer largement et de manière maîtrisée dans la mise en œuvre de pratiques alternatives à celles jusqu’à présent utilisées serait liée à leur possibilité d’accéder à de nouvelles ressources circulant dans ce circuit d’échanges. De même, l’hypothèse propose des pistes sur la nature des liens où s’inscrivent ces échanges, en essayant de donner une vision globale sur les caractéristiques des rapports observés et leurs conséquences sur le travail viticole.

Dans ce cadre, pour l’analyse de cette première hypothèse nous avons adopté une approche qui peut être qualifiée à la fois de compréhensive et de

contextualisante. Nous avons voulu saisir le sens général des échanges entre les

viticulteurs, tout en les mettant en rapport avec le contexte plus large où s’inscrivent ces interactions. Pour cela, nous nous sommes centrés notamment sur le discours des interviewés. Bien que nous ayons tenu à respecter le plus fidèlement les formes d’expression des viticulteurs, nous avons procédé à une analyse heuristique de l’information obtenue lors des entretiens, pour sortir de la simple description et avancer vers une interprétation plus globale sur la portée des relations professionnelles, la nature des liens tissés par les viticulteurs et leurs motivations pour s’engager dans ces rapports. Théoriquement, cette réflexion s’est appuyée sur des notions théoriques provenant de la sociologie économique, des études sur la ruralité et des travaux inspirés par la théorie du don, entre autres sources.

- Hypothèse 2 : Le choix d’une technique correspond aussi à l’alignement autour

d’une norme pratique jouant un rôle sur les relations entre les viticulteurs, ce qui explique le rapport entre le type de pratiques phytosanitaires et de désherbage et les caractéristiques des réseaux des relations professionnelles.

Cette hypothèse essaie de répondre à la question d’un éventuel rapport entre les caractéristiques des configurations d’échanges professionnels des viticulteurs et leurs choix techniques relatifs à des pratiques phytosanitaires et de désherbage. Alors que la première hypothèse vise à saisir l’importance générale des échanges professionnels pour le travail de viticulteur, celle-ci questionne l’existence de liens plus spécifiques entre ces échanges et certains choix techniques. De ce point de vue, nous cherchons à confirmer le lien entre les formes observées des échanges entre les viticulteurs et leurs décisions d’adopter, mais aussi de rejeter, l’application de certaines techniques au vignoble.

Pour l’examen de cette hypothèse, nous avons centré notre attention sur deux dimensions. D’une part, il nous a paru nécessaire de connaître de manière exhaustive les pratiques appliquées au vignoble, ainsi que les raisons amenant les viticulteurs à adopter ou non d’autres alternatives techniques. Cet examen ne peut se limiter au recensement de pratiques, car la compréhension du raisonnement derrière chaque choix technique, à partir du discours des viticulteurs, est fondamentale pour dimensionner le poids des arguments agronomiques, économiques ou autres à la base de la décision. Sans cette information, le chercheur court le risque de biaiser les observations vers des explications davantage relationnelles sur les décisions, au détriment d’autres raisons. D’autre part, nous avons donné une attention particulière aux échanges langagiers entre acteurs sur des thématiques liées à l’activité, afin de rendre compte de l’existence ou de l’absence d’échanges fréquents entre pairs. Ceci est sous-tendu par l’idée que ces échanges se déroulent dans un réseau de relations professionnelles qui -bien que ce ne soit pas pensé ainsi par les viticulteurs-, peut jouer sur leurs décisions techniques et, de façon plus large, sur le changement de pratiques (Compagnone, op.cit)42. Pour

42

La discussion autour de la notion de réseau mobilisée dans ce travail est plus développée dans le chapitre 3.2.2.3. Nous précisons ici que nous comprenons ces derniers comme une façon de représenter une configuration sociale, dans le sens le plus large donné par Elias (1991a ; 1991b,

confirmer si ces réseaux jouent effectivement un rôle dans des processus décisionnels sur les techniques phytosanitaires ou de protection phytosanitaire, nous nous sommes intéressés à deux niveaux d’analyse : un collectif, en examinant les logiques et la morphologie des réseaux repérés, et un autre plus individuel, centré sur la position « pratique » de chaque viticulteur.

En considérant ces dimensions sociale et pratique, nous avons choisi une approche qui constitue une sorte de superposition de deux « cartes » : l’une indiquant les choix techniques de chaque viticulteur (la position pratique) et l’autre illustrant les positions des viticulteurs au sein du réseau d’échanges professionnels (la position sociale)43. Dans une logique comparative, nous allons observer les similitudes et les différences observées entre ces deux représentations. Cette démarche renvoie à une approche structurale dans un sens large, orientée vers la mise à jour des régularités dans les échanges professionnels44. De cette manière, nous cherchons à décrire le type d’agencement relationnel où s’inscrivent les rapports professionnels, tout en regardant les coïncidences et divergences sur les choix techniques mis en œuvre pour chaque acteur. Le panorama synoptique des liens et des pratiques ainsi construit, est censé permettre de vérifier empiriquement le rapport entre les configurations d’échanges, donc des dynamiques relationnelles, et certaines décisions techniques.

op.cit.). Ceci explique l’utilisation indistincte de ces deux termes, surtout dans la formulation de la problématique. Aussi, dans cette section et ailleurs nous parlons à différentes reprises de réseaux (ou configurations) de « relations », « d’échanges » ou de dialogues ». Quoique ces concepts se superposent, nous privilégions le terme de « relations » pour mettre en exergue la structuration ou la morphologie des liens entre les viticulteurs, alors que nous utilisons le mot « échanges » pour souligner les ressources circulant à travers ces liens. Enfin, nous nous servons de l’idée de « dialogues » à la fois comme une forme observable de relation, un type de ressource (l’information), mais aussi comme un repère, pour le chercheur, sur l’absence ou la présence de relation entre deux acteurs.

43 C.f. chapitres 3.2.2.3 sur le recueil et analyse des données et l’examen de la « triple position »

des viticulteurs (Compagnone op.cit.). Voir aussi le chapitre 3.2.2.3 sur le traitement des données.

44

Or cette analyse structurale ne s’adresse pas à la recherche de structures formelles mais à l’explicitation des analogies configurationnelles définies à la fois par des éléments structuraux et par des relations comparables entre éléments comparables (Paillé et Mucchielli, 2008).

- Hypothèse 3

En renforçant et en exprimant une déterminée identité professionnelle, l’adoption ou le refus de nouvelles techniques est une action susceptible d’entraîner des conséquences pour les viticulteurs en termes de participation au réseau d’échanges professionnels et, donc, d’accès aux ressources nécessaires pour le travail, ce qui a une incidence significative sur les processus de changement de pratiques.

Est-il possible d’identifier et de caractériser les dynamiques sociales participant à l’adoption ou au rejet d’une technique? Après s’interroger sur le rôle des échanges professionnels dans le développement de la viticulture et d’explorer plus spécifiquement le rapport entre les choix techniques individuels et ces configurations d’échanges, nous centrons notre intérêt sur les caractéristiques des dynamiques collectives participant à ces décisions. Ce questionnement vise plus directement à comprendre l’adoption d’une technique et, à terme, le changement de pratiques. Guidés par cette interrogation, nos enquêtes s’intéressent aux processus de normalisation du travail, aux processus d’innovation en matière de méthodes de production en cours et aux définitions identitaires des viticulteurs. Nous prêtons notamment attention aux arguments exprimés par les viticulteurs pour justifier leurs choix techniques, à leur récit sur le processus de décision d’une nouvelle technique et aux éventuelles conséquences pratiques et sociales liés à ces changements. Par cette approche à la fois actancielle et processuelle, nous espérons identifier la place de ces phénomènes collectifs dans le contexte d’autres raisons (i.e. économiques ou agronomiques) considérées par les acteurs dans leurs décisions pratiques. Ceci, dans le cadre plus large de processus d’innovation de méthodes de production qui favorisent l’émergence ce nouvelles formes identitaires. Dans la construction de cette hypothèse, nous nous sommes appuyés sur des notions empruntées notamment à la sociologie de l’innovation, à la Théorie de la Régulation Sociale et aux perspectives théoriques sur l’identité professionnelle.

Dans l’ensemble, les trois hypothèses présentées correspondent à trois niveaux d’analyse de notre objet d’étude, différents mais complémentaires. De

l’examen d’un phénomène plus global, tel que le rôle du collectif dans le travail viticole, nous allons aborder le rapport entre les configurations d’échanges professionnels et les choix techniques, pour finir par l’examen plus spécifique des dynamiques expliquant ce rapport. C’est de cette façon que nous pouvons résumer la logique générale de notre étude, logique qui s’exprime aussi dans l’organisation de cette thèse, comme nous la décrivons dans la section suivante.

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