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La question de l’identité dans les troubles du spectre schizophrénique.

THERAPEUTIQUE; MEDECINE D'URGENCE; ADDICTOLOGIE

A) Le rétablissement expérientiel.

2. La question de l’identité dans les troubles du spectre schizophrénique.

Les maladies psychiatriques, si elles peuvent être expliquées comme des maladies cérébrales, n’en sont pas moins des maladies de l’existence, et c’est bien le sens de la vie, de son identité, des questions donc de l’être humain en général, qui envahissent nos entretiens.

Nous avons réalisé plusieurs entretiens, tournés le plus possible sur les ressentis, les expériences de Mme P. pour tenter d’y voir autre chose qu’une « évolution déficitaire » ou que des « idées délirantes ».

Mme P. est ainsi revenue sur ses difficultés et sur ses ressources propres, décrites cette fois ci en première personne.

« Des fois, c’est comme si mes pensées venaient d’ailleurs… parfois, c’est comme si on avait

pris mon âme et mis quelque chose à la place…Comment dire…comme si elles ne m’appartenaient pas ».

« Maintenant, on ne peut plus me changer…mais à présent je souffre avec mon propre je

qui n’avance plus ».

« C’est comme si j’étais dans un livre, avec des chapitres différents qui se ferment et qui ne

s’ouvrent plus … Tout change tellement vite ».

« On a en nous ce qu’on est mais si on n’est pas ce que l’on est on souffre…comment

dire…c’est pour ça que j’ai tellement souffert ».

« J’aurai voulu être comme vous (…) pour vous, y’a rien à penser, le monde est tout ça tout

ça, vous, vous évoluez, mais pour vous y’a pas beaucoup de différence, vous changez mais par exemple sur les photos vous gardez toujours le même visage, tandis que moi je vois une petite, puis une autre personne, pas le même visage, pas la même personne ».

« Beaucoup de choses sont de nouveau possibles…le ménage, la cuisine…j’ai repris ma coiffure d’avant… pourtant j’ai l’impression que ma vie est finie ».

Ce que Mme P. a traversé, quelles qu’en soient les explications d’ordre neuro biologiques, n’en est pas moins une remise en question de sa présence en devenir.

Ce dont notre patiente nous parle, c’est d’une difficulté à se réapproprier son histoire, à se retrouver en propre dans son identité pour pouvoir ensuite remettre en intrigue celle-ci.

La maladie semble avoir amené un sentiment de discontinuité dans sa propre identité. Et à présent il lui est difficile de reprendre le cours, la dynamique de son existence. Ce

que notre patiente nous montre au fond, c’est la difficulté de tout homme: rester le même tout en devenant un autre.

Pour certains auteurs, tel que A. Tatossian (35), le problème des psychoses peut ainsi se comprendre en tant que trouble de la dialectique Ipse/Idem : suite à l’atténuation de son délire, Mme P. montrerait une difficulté à se dégager du prisme délirant et à s’engager dans un nouveau rôle, laissant ainsi « une ipséité mise à nue » (35). Il s’agit en effet de réussir à articuler les deux pôles de l’identité et pour ce faire, nous avons besoin d’un espace médiateur : l’identité narrative, qui permet de mettre du sens et de la continuité dans nos histoires de vie. Mme P. le dit : « Le plus dur, c’est tous ses changements, il y a

trop eu de changements pour me reconnaître ».

De récentes études sont en faveur d’une altération de l’identité narrative dans les troubles du spectre schizophrénique (42)(136)( à noter toutefois que cette altération semble non spécifique aux troubles schizophréniques) et un lien entre la cohérence du récit personnel dans la schizophrénie et le pronostic évolutif a été évoqué (137).

Une altération du sentiment de continuité de soi à travers le temps (138) a été notamment retrouvée chez les patients ayant une difficulté à se projeter à la fois dans des situations futures possibles (139)(140) et à se reconnaître dans des événements passés mettant en jeu des souvenirs autobiographiques (J-M. Danion et al (141) ont mis ainsi en avant l’hypothèse d’une altération de la mémoire autobiographique épisodique consciente). Par exemple, les patients seraient en difficulté pour intégrer des expériences marquantes de leur vie au sein de leur identité et pour identifier comment ces expériences ont une influence sur eux-mêmes (142) (143). En tentant un rapprochement entre phénoménologie et sciences cognitives, S. Gallagher (144) suppose ainsi que quatre dimensions cognitives, permettant la formation d’une identité narrative, seraient diversement atteintes dans la schizophrénie : la capacité d’intégrer la dimension temporelle d’une information ; le sentiment basal de soi ; les capacités d’encodage et de récupération de la mémoire épisodique-autobiographique ; et enfin les capacités réflexives et métacognitives. Ces aspects font écho aux conceptions dialogiques du Soi amenées par les analyses littéraires de Dostoïeski par Bakhtin (145) dont Lysaker (128) développe une théorisation dans la schizophrénie. Dans cette optique, le soi est considéré comme une constellation de différentes facettes qui interagiraient entre elles. Il émet ainsi l’hypothèse d’une perturbation d’un dialogue « interne » entre ces différentes positions de Soi ; trois formes de dialogue « perturbé »

pourraient être identifiées (137) : le dialogue monologique présent dans la forme paranoïde du trouble où une facette de soi domine et commande l’expérience (par exemple « le soi danger ») , le dialogue « stérile » pour la forme déficitaire avec une suspension de la capacité dialogique où aucune facette n’est capable d’interagir , et le dialogue « cacophonique » pour la forme hébéphrénique avec un discours très désorganisé.

Autrement dit, il s’agit à présent pour Mme P., et comme pour toute existence humaine, de rattacher « un passé accepté à un futur espéré » : le processus narratif pourrait ainsi permettre de redéployer « les horizons d’avenir par la conscience et l’acception d’une

pluralité d’expériences vécues » (133).