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THERAPEUTIQUE; MEDECINE D'URGENCE; ADDICTOLOGIE

A) Le rétablissement expérientiel.

1. La présence, sa continuité et sa mise en intrigue.

L’identité ou encore la présence n’apparait pas comme une chose figée, mais comme quelque chose qui se définit par l’existence, se transforme au cours du temps, de la vie, comme « un être temporel » (10) au sens Heideggérien du terme.

Cette notion de présence, loin de réifier l’identité, apporte une ouverture vers d’autres possibles, notamment en insistant sur la temporalité de toute vie humaine. Le terme de présence qui, dans son sens originaire de prae sentia, signifie se tenir à l’avant de soi- même, insiste sur la modalité d’être de l’homme, à savoir qu’il a en permanence à devenir soi-même. Ainsi, l’identité des patients, souvent considérée comme déficiente, prend avec cette notion un tout autre aspect, en soulignant notamment la dynamique de toute constitution identitaire et nous laisse entrevoir la possibilité d’une modification dans les rapports à soi, aux autres et au monde pour notre patiente.

M. Heidegger a par ailleurs défini la temporalité comme « l’hors de soi originaire » comme ce qui empêche l’existant de se figer dans une identité statique avec lui-même :

« L’existence temporelle de l’homme implique qu’il ne soit plus ce qu’il était et ne cesse en un sens, d’échapper à lui-même » (129).

Dans Soi-même comme un autre (130), P. Ricoeur poursuit cette notion d’être temporel, d’identité sans cesse en mouvement, qui n’a de cesse d’unifier de multiples facettes de son existence pour pouvoir ensuite la remettre en intrigue. De manière plus précise, P. Ricoeur distingue tout d’abord deux pôles de l’identité humaine : la première est l’identité Idem qui renvoie « au quoi » de l’homme, à la mêmeté, à l’être de la « chose », à la permanence de traits constants (par exemple le sexe, l’âge…) ainsi qu’à notre caractère. Il désigne les rôles sociaux dans lesquels nous pouvons nous mouvoir et qui déterminent notre façon d’apparaître à autrui.

La deuxième est l’identité Ipse qui correspond « au qui » de l’homme et renvoie à une «promesse tenue », celle de « la promesse que chacun se fait d’être fidèle à soi-même en

dépit des changements, de nos opinions, de nos désirs et circonstances de notre vie » tel que

le reprend P. Bovet (131). C’est ce qui assure la continuité de chacun, la permanence de la subjectivité. C’est l’être de l’homme, ce « toujours là », « même lorsque le reste aurait

pu changer »(132). Notre « Soi » est constamment remis en jeu à travers l’imprévisibilité

nouvelles expériences sans craindre de se « perdre » (132). Il désigne le cadre, stable, de l’expérience humaine, toujours identique à lui-même (dans sa temporalité, sa spatialité.. etc) dans lequel le sujet se reconnaît. Et si l’ipséité demande une conscience préréflexive de soi-même, elle la dépasse en tant qu’identité dynamique, qui « laisse advenir l’inconnu

et l’inattendu, l’autre et l’ailleurs »(132). Et pour qu’il y ait une identité proprement

humaine, c’est à dire une permanence que l’homme puisse dire sienne, « il doit être à

tout moment à peine plus ce qu’il était jusque-là, soit son passé, et à peine moins que ce qu’il va être, comme Soi futur » et « Je dois être Autre sans pour autant se confondre avec autrui » (86). Cette dialectique complexe entre permanence et changement est rendue

possible selon P. Ricoeur par l’identité narrative (130). Entre ces deux pôles de notre soi se déploie l’identité narrative qui permet la mise en histoire de nous-même. La possibilité d’osciller entre l’ipséité et la mêmeté vient de la présence de cette identité narrative. Par sa fonction de « synthèse de l’hétérogène » l’identité narrative permet de vivre « soi-même comme un autre »(133). L’identité narrative assure le sentiment d’une existence continue, intégrant les changements incessants auxquelles nous sommes confrontés, en réactualisant sans cesse notre histoire de vie. Le soi narratif est en quelque sorte une représentation de soi étendue dans le temps, à l’échelle de sa vie, de son histoire. Pour reprendre les termes de P. Bovet (134) : le sujet met son histoire en intrigue comme un récit qui donne à cette histoire une unité; l’intrigue est ce qui permet le déroulement de sa propre existence. L’identité du soi est alors à assimiler à l’identité d’une histoire, la notion d’identité narrative illustrant un aspect essentiel de l’identité, dans la possibilité d’être raconté : « c’est à l’échelle d’une vie entière que le soi cherche son

identité »(130). L’identité narrative est « comme un montage auto interprétatif et cohérent de notre propre vie, ce n’est pas une histoire objective mais l’histoire que chacun raconte de sa propre vie » (132). Pour W. Schapp (135), on advient à soi et on ne revient

sur soi que dans une histoire, et comme une histoire: « Par ces histoires nous rentrons en

contact avec un soi, l’homme n’est pas l’homme en chair et en os; à sa place s’impose son histoire comme ce qu’il a de plus propre ». Il ressort pour cet auteur, que l’être, « notre être le plus propre ne se manifeste qu’à travers les histoires où il s’inscrit »(132). Ainsi, par

l’identité narrative, nous sommes amenés à tisser un sentiment de continuité en intégrant les multiples facettes de notre identité et à remettre sans cesse notre identité en mouvement en déployant les possibilités à venir.