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Différences de diversité génétique et CCAS

De nombreuses études de génétique des populations fondées sur l’analyse parallèle des marqueurs uniparentaux rapportent des différences de diversité génétique pour les lignées masculines et féminines (Destro-Bisol et al. 2004 ; Nasidze et al. 2004).

Ces différences sont probablement causées par des CCAS mais, dans la plupart de ces études, le CCAS responsable n’est pas formellement identifié. En effet, associer les différences génétiques observées à un comportement culturel en particulier n’est pas toujours chose aisée, notamment car cela suppose de connaître les populations sur un plan ethno-démographique. D’autre part, plusieurs CCAS peuvent avoir cours dans les populations étudiées : en Papouasie-Nouvelle-Guinée, des différences génétiques sexe-spécifiques sont observées chez des populations à la fois patrilocales, patrilinéaires et pouvant présenter des asymétries entre sexes de transmission du succès reproducteur ou de mortalité du fait d’affrontements entre sociétés (Kayser et al. 2003). D’autres études ne prennent pas de telles précautions et imputent les différences observées à un CCAS particulier, sans envisager un effet combiné de plusieurs CCAS : chez des populations de la péninsule du Sinai, la polygynie est tenue pour responsable la diversité génétique du chromosome Y 14 fois inférieure à celle de l’ADN mitochondrial (Salem et al. 1996). Cela semble être un effet trop fort pour la seule polygynie : dans des cas de polygynie extrême, les tailles efficaces féminines ne valent que le double des tailles masculines (Heyer et al. 2012).

Afin d’identifier l’effet d’un CCAS précis sur la diversité génétique, certaines études choisissent d’étu-dier conjointement des populations différant pour ce CCAS, sous l’hypothèse qu’elles sont identiques toute chose égale par ailleurs. Cela suppose donc une connaissance ethnologique détaillée des populations mais aussi de travailler à une échelle géographique locale pour avoir des conditions environnementales et de peuplement comparables. Notons que des études menées à des échelles plus larges ont aussi observé des différences génétiques sexe-spécifiques sur lesquelles nous revenons à la fin de ce chapitre.

Ainsi, l’étude de la règle de résidence a été particulièrement étudiée en Thaïlande, où des popula-tions matri et patrilocales cohabitent. La comparaison de leur diversité génétique confirme les attendus théoriques : les populations matrilocales sont plus diverses pour le chromosome Y que pour l’ADN mi-tochondrial, tandis que l’observation inverse est réalisée pour les populations patrilocales, et que des différences de diversités sexe-spécifiques sont observées entre les groupes (Oota et al. 2001 ; Besaggio

et al. 2007) (Figure II.7).

Figure II.7 – Diversité génétique de populations matrilocales et patrilocales de Thaïlande. Les populations matrilocales présentent une diversité mitochondriale réduite par rapport à la diversité du chromosome Y, et le schéma opposé est observé chez les populations patrilocales. Figure 1 de Oota et al. (2001).

Chapitre II – Diversité génétique et CCAS

Cependant, des analyses Bayésiennes ont montré que la matrilocalité et la patrilocalité ne seraient pas des CCAS exactement symétriques : les migrations sont plus asymétriques entre les sexes pour les sociétés thaïlandaises patrilocales que pour les matrilocales. Les femmes sont légèrement moins nombreuses (d’un facteur 0,79) que les hommes à migrer dans les sociétés matrilocales, alors que dans les populations patrilocales, les hommes migrants sont 15 fois moins nombreux que les femmes migrantes (Hamilton

et al. 2005) (Figure II.8).

Figure II.8 – Nombre d’hommes et de femmes migrant par génération entre des sociétés patri-locales ou matripatri-locales de Thaïlande. Figure 1 de Hamilton et al. (2005).

Selon le même principe que pour les règles de résidence et en s’appuyant sur des données ethnologiques, il est possible d’estimer l’impact de certaines barrières sur la diversité génétique et éventuellement détecter des asymétries entre sexes, en mesurant la différenciation entre des populations de part et d’autre de cette barrière. Pour la barrière de la langue, une étude s’intéresse à des populations africaines de quatre groupes linguistiques majeurs, et trouve une corrélation entre les distances génétiques mesurées pour le chromosome Y et les distances linguistiques, sans voir de structuration spatiale (Wood et al. 2005). Pour l’ADN mitochondrial, par contre, la langue et la génétique ne sont plus corrélées, suggérant des migrations de femmes entre des groupes de langues différentes. De même, dans l’est de l’Inde, les familles linguistiques sont différenciées pour le chromosome Y mais pas pour l’ADN mitochondrial (Sahoo et Kashyap 2006).

Outre ces barrières, d’autres facteurs peuvent intervenir à la suite des mariages compliquant les es-timations réalisées au moyen des données génétiques. Un exemple passionnant a été documenté dans l’ouest de l’Afrique centrale où des événements asymétriques de métissage génétique sont recensés entre des populations agricultrices non-pygmées et pygmées, en lien avec des barrières culturelles. Ethnologi-quement, des unions entre des femmes pygmées et des hommes non-pygmées ont été observées, associées à un départ de ces femmes dans le groupe de leur époux, tandis que les unions entre des hommes pygmées et des femmes non-pygmées semblent proscrites.

Génétiquement, comme attendu, aucun chromosome Y pygmée n’est retrouvé chez les non-Pygmées mais de façon plus surprenante, une introgression de chromosomes Y non-pygmées est observée chez les Pyg-mées et aucun échange d’ADN mitochondrial n’est détecté entre les groupes (Berniell-Lee et al. 2009 ; Marks et al. 2015 ; Quintana-Murci et al. 2008). Ces observations, quelque peu surprenantes d’après la règle de patrilocalité et le type d’unions observées, seraient expliquées par une discrimination sociale contre les Pygmées (Verdu et al. 2013) : les mariages mixtes pygmée/non-pygmée conduisent souvent à

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cas de séparation ou de décès de l’époux. Cette arrivée des enfants génétiquement mélangés dans la po-pulation pygmée, en particulier les petits garçons, expliquerait la présence dans la popo-pulation maternelle de marqueurs non-pygmées hérités de leur père.

Figure II.9 – Modèle de métissages asymétriques entre des populations pygmées et non pygmées voisines. Figure 7 b (Verdu et al. 2013).

Transmission du succès reproducteur

L’effet de migrations entre populations sur les diversités génétiques a été étudié à de nombreuses reprises mais ne serait cependant pas suffisant pour expliquer certaines différences sexe-spécifiques ob-servées, comme les expansions ciblées du chromosome Y sur tous les continents à des périodes différentes (Poznik et al. 2016). On peut expliquer ces expansions de quelques lignées par le succès reproducteur de quelques hommes ou femmes d’une population pendant plusieurs générations, c’est-à-dire une transmis-sion du succès reproducteur assimilée à un CCAS (Balaresque et al. 2015).

Deux exemples asiatiques pour le chromosome Y ont particulièrement retenu l’attention : l’une de ces deux lignées (haplogroupe C3c - motif dit "Mandchou") est assez fréquente à l’heure actuelle en Mon-golie et dans le nord de la Chine, incluant 3% des hommes d’Asie de l’est. Elle aurait été propagée par les descendants de Giocangga, fondateur de la dynastie Qing, il y a 590 ans (± 340) (Xue et al. 2005 ; Balaresque et al. 2015). L’autre lignée (anciennement dite C3*, actuellement notée C2-M217) atteint une fréquence de près de 30% chez certaines ethnies d’Asie intérieure comme les Kazakhs, Mongols et chez les Hazaras du Pakistan. Elle aurait émergé en Mongolie il y a 1 000 ans et est attribuée à Genghis Khan ou plus généralement au clan Keraït auquel il aurait été rattaché par sa lignée paternelle (Abilev et al. 2012 ; Zerjal et al. 2003). En Europe, actuellement, 64% des haplogroupes du chromosome Y appartiennent à trois lignées (I1, R1a, R1b), apparues il y a 7 500 à 3 500 ans et dont l’expansion serait survenue à l’âge du Bronze, il y a 4 200 à 2 100 ans (Batini et al. 2015).

Un cas a aussi été documenté pour les haplogroupes mitochondriaux : l’haplogroupe H s’est répandu en Europe, remplaçant l’haplogroupe "paléolithique" U, au moment de la transition néolithique et est porté par 40% des Européens actuels (Barbujani 2012).

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