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Les CCAS présentés dans la première partie de ce chapitre sont susceptibles de générer des différences génétiques sexe-spécifiques dont l’observation se fonde généralement sur des marqueurs uniparentaux, permettant un accès facile aux lignées féminines et masculines. Bien que leur utilisation soit moins intuitive, le chromosome X et les autosomes permettent également d’étudier des CCAS du point de vue génétique.

Marqueurs uniparentaux

Chromosome Y

Le chromosome Y, d’une taille de 57 Mb environ, est l’un des plus petits chromosomes humains et celui présentant la plus faible densité génique : il ne contient que 78 gènes codant pour des protéines, soit une densité de 1,3 gènes/Mb (Skaletsky et al. 2003) contre 7,1 sur le chromosome X (Ross et al. 2005). Il est composé à 5% de régions pseudo-autosomales télomériques recombinant avec le chromosome X, et à 95% d’une région non-recombinante, appelée NRY pour non-recombining region of the Y chromosome. Cette région est transmise à l’identique d’une génération à l’autre, de père en fils, aux seules mutations

de novo près, ce qui permet de retrouver facilement des liens généalogiques entre hommes, mais aussi de

retracer l’histoire des lignées masculines (Jobling et Tyler-Smith 2003).

ADN mitochondrial

Figure II.3 – Structure de l’ADN mitochondrial. En détail, la région non-codante dite de contrôle, contenant les séquences hypervariables HVS1 et HVS2. Figure 2.21 du livre de Jobling et al. (2013).

Cette molécule circulaire de 16,5 kb est présente en grand nombre dans chaque cellule humaine (entre 100 et 1000 copies). Elle contient 37 gènes codant pour des protéines, essentiellement impliquées dans la production d’énergie cellulaire ou participant à la structure de la mitochondrie.

Chapitre II – Diversité génétique et CCAS

se trouvent deux séquences hypervariables (HVS1 entre les positions 16024 et 16365 ; HVS2 entre les positions 73 et 340), dont le taux de mutation est élevé atteignant 1, 17 ∗ 10−5 par paire de base et par génération dans HVS1 (Heyer et al. 2001).

En symétrique du chromosome Y, l’ADN mitochondrial est transmis presque exclusivement par la mère à ses enfants (Giles et al. 1980 ; Schwartz et Vissing 2002), sans recombinaison, à l’identique aux mutations de novo près, et permet d’accéder facilement à des informations sur les lignées féminines. La taille efficace respective des chromosomes uniparentaux dépend uniquement de la taille efficace masculine (N eM) et féminine (N eF) (Hedrick 2007) : N eY = N eM et N eM t= N eF.

Haplogroupes

L’absence de recombinaison des ADN uniparentaux permet de regrouper les différents haplotypes en clades monophylétiques hierarchisés, appelés haplogroupes, définis sur la base de marqueurs à mutation lente (The Y Chromosome Consortium 2002 ; Karafet et al. 2008 ; van Oven et Kayser 2009). La répar-tition de ces haplogroupes a la particularité d’être très structurée dans l’espace, suivant les mouvements associés au peuplement de la Terre par notre espèce (voir en Annexe les Figures 31 & 32). Leur structu-ration géographique a notamment été utilisée lors d’études phylogéniques pour détecter des événements de migration et de métissage génétique, du point de vue des femmes et des hommes (Destro-Bisol et al. 2010 ; Vigilant et al. 1991 ; Voskarides et al. 2016). En particulier, plusieurs études rapportent des asy-métries entre sexes lors de tels événements (Wilkins 2006) : au Groenland, des chromosomes Y européens ont été retrouvés parmi un fond génétique très largement inuit (Pereira et al. 2015), alors qu’aucun ADN mitochondrial européen n’a été retrouvé (Bosch et al. 2003), ce qui suggère un métissage génétique entre des hommes européens et des femmes inuits locales. Un autre exemple célèbre est celui de la conquête des Amériques par des hommes européens, dont on retrouve les chromosomes Y associés à des ADN mitochondriaux amérindiens, mais à aucun ADN mitochondrial européen (Nuñez et al. 2010 ; Adhikari

et al. 2016). En Papouasie-Nouvelle-Guinée, les chromosomes Y sont principalement asiatiques alors que

les ADN mitochondriaux sont mélanésiens (Kayser et al. 2008) (Figure II.4). À une échelle plus locale, des métissages asymétriques entre sexes ont aussi été détectés dans cette région : les migrations féminines ont lieu exclusivement au sein des hautes terres tandis que les hommes migrent plutôt entre la côte et les montagnes (Kayser et al. 2003).

Figure II.4 – Ascendances mélanésienne (en rouge) et asiatique (en bleu) mesurées pour différents marqueurs dans les îles de l’Amirauté en Papouasie Nouvelle-Guinée. Figure 13-26 de Jobling et al. (2013), à

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Utilisation couplée des chromosomes autosomaux et X

Outre les chromosomes uniparentaux, le chromosome X, au cœur du système de détermination sexuelle humain, peut être utilisé pour étudier des CCAS car il présente des asymétries entre les sexes. En effet, il est diploïde chez les femmes mais haploïde chez les hommes, le sexe hétérogamétique, dont l’unique chromosome X est hérité de leur mère. Ce mode de transmission, différent de celui des autosomes, leur confère une taille efficace valant 3/4 de celle des autosomes si le sex-ratio est équilibré, mais cette valeur dépend du sex-ratio de la population et donc des CCAS ayant cours. En effet, la taille efficace du chromosome X, contrairement à celle des autosomes, est sensible aux différences d’effectifs efficaces entre les hommes et les femmes présents dans la population et soumis aux effets des CCAS (Hedrick 2007 ; Schaffner 2004) : N eX= 9N eF ∗ N eM 2N eF+ 4N eM (II.1) N eA= 4N eF∗ N eM N eF+ N eM (II.2) N eX N eA = 9 8(1 + N eM/(N eF+ N eM)) (II.3)

Figure II.5 – Diversité génétique des chromosomes X, Y et mitochondrial rapportée à celle des autosomes. La diversité est calculée comme π = 2N eµ, où le taux de mutation est noté µ et N e est la taille efficace de chaque chromosome. Le taux de mutation étant supposé constant sur l’ensemble du génome, le ratio des diversités correspond au ratio des tailles efficaces des chromosomes, et varie en fonction du sex-ratio de la population. Les Neutral expectations sont données pour un sex-ratio équilibré. Figure 1 a & c de Webster et

Wilson Sayres (2016).

Dans la pratique, les tailles efficaces sont accessibles à travers des analyses assez poussées et pour étudier les CCAS on peut mesurer de manière plus directe la différenciation génétique entre deux popu-lations indépendamment pour le chromosome X et pour les autosomes. Le ratio des FST permet alors d’inférer conjointement les tailles efficaces masculine et féminine de la métapopulation et les taux de migration sexe-spécifiques (Ségurel et al. 2008) :

Chapitre II – Diversité génétique et CCAS 1 − 1/FX ST 1 − 1/FA ST = 3(1 + mF/m) 4(2 − N eF/N e) (II.4) soit FSTX = 4F A ST 4FA ST − 3(FA ST − 1)( 1+mF/m 2−N eF/N e) (II.5)

où mF/m représente la proportion de femmes migrantes parmi le nombre total de migrants par génération

et N eF/N e la proportion féminine de la taille efficace de la métapopulation.

Le cas FSTA > FSTX est particulièrement informatif car il permet de découpler l’information de taille efficace et de migration : il n’est observé que si la taille efficace féminine est plus grande que celle des hommes, pour n’importe quel taux de migration (Figure II.6). L’autre cas de figure, FSTA < FSTX, ne permet pas de conclure à des différences de taux de migration et de tailles efficaces entre sexes, ni de découpler leur estimation, et on ne pas tirer de conclusion en terme de CCAS de cette observation.

Figure II.6 – Comparaison des FST obtenus pour les chromosomes autosomaux et X en fonction de la taille efficace et du taux de migration des femmes, rapportés à ceux de la métapopulation. En particulier, le triangle rouge illustre le cas où FSTA > FSTX est causé par une taille efficace féminine plus grande que celle masculine. Figure 2 de Ségurel et al. (2008).

Cette approche comparative entre le chromosome X et les autosomes peut également être appliquée à des données d’ADN ancien afin d’estimer si les contributions d’une populations source à une population métissée étaient symétriques ou asymétriques entre les sexes. En effet, le ratio des FST mesurés entre la population "source" et la population "métissée" pour le chromosome X et les autosomes renseigne sur le sex-ratio de cet événement de métissage (Goldberg et al. 2017).

Données autosomales

Les données génétiques autosomales transmises par les deux parents à leurs descendants sont a priori peu informatives dans l’étude des CCAS. Cependant, en contrastant des mesures de diversité génétique obtenues séparément chez des hommes et des femmes, on peut inférer des différences entre sexes, im-putables à des CCAS. Dans le cadre de migrations sexe-spécifiques où les individus d’un sexe migrent entre différentes communautés tandis que ceux de l’autre sexe demeurent à l’endroit où ils sont nés, c’est-à-dire sont philopatriques, on s’attend à une différenciation entre les communautés plus faible pour le sexe migrant que pour le sexe philopatrique. Cela va de pair avec un apparentement entre individus d’une même communauté plus fort pour le sexe philopatrique que pour le sexe migrant (Prugnolle et

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de Meeus 2002).

De plus, les données autosomales apportent, en théorie, des informations sur le déséquilibre de sex-ratio survenu lors d’événements de métissages génétiques ponctuels (Goldberg et al. 2014) : les niveaux de métissage retrouvés chez les individus de la population métissée sont plus homogènes si les nombres d’hommes et de femmes d’une même population source ayant contribué au métissage sont très différents. En effet, dans le cas d’un sex-ratio complètement déséquilibré où des femmes d’une population source A se reproduisent exclusivement avec des hommes d’une autre population source B, la variance des niveaux de métissage est nulle et tous les individus métissés sont A à 50% et B à 50 %. Mais si des femmes A s’unissent à des hommes originaires de populations A et B, certains de leurs descendants sont uniquement A et d’autres A & B à 50%, ce qui crée de la variance dans les métissages observés.

Avantages et limites de chaque marqueur

Du fait de leur transmission et absence de recombinaison, les marqueurs uniparentaux sont une manière simple d’accéder à l’histoire des lignées masculines et féminines et à des informations sexe-spécifiques, au contraire du chromosome X qui n’est informatif que lorsqu’il est comparé aux autosomes. Par leur transmission asymétrique entre sexes, les chromosomes X, Y et mitochondriaux capturent des différences de diversités génétiques sur plusieurs générations alors que les données autosomales ne rendent compte que de différences survenues à la génération étudiée, puisque le signal est perdu à chaque nouvelle génération par le mélange des chromosomes des pères et des mères.

L’absence de recombinaison des ADN uniparentaux peut cependant être un inconvénient : tous leurs marqueurs sont liés, sont donc soumis à la même pression de sélection et ne témoignent de l’histoire que d’un seul ancêtre. Au contraire, le chromosome X est porteur de plusieurs loci indépendants, ce qui permet de moyenner les effets de la sélection, mais aussi d’accéder à des informations héritées de plusieurs ancêtres.

Le fait de contraster la diversité de chromosomes différents peut également être problématique. Tout d’abord, ces différents chromosomes, voire les régions de ces chromosomes, ont des taux de mutation différents et certains accumulent donc plus de mutations que d’autres pendant le même laps de temps. En particulier, l’utilisation de HVS1 dont le taux de mutation est très élevé conduirait à sous-estimer la différenciation entre populations, par rapport à ce qui est observé avec le chromosome Y (Wilder et al. 2004). Un moyen de dépasser ce biais serait d’utiliser des marqueurs portés par les segments homologues des chromosomes X et Y qui ont des taux de mutation comparables (Balaresque et al. 2006).

De plus, la sélection n’agit pas de manière comparable pour tous ces chromosomes : les mutations récessives délétères portées par le chromosome X sont systématiquement exposées chez les hommes et donc soumettent ce chromosome à des pressions de sélection plus fortes que les autosomes. Cela limite le maintien de nouvelles mutations et entraîne une diminution de la diversité génétique de ce chromosome. De plus, par sa taille efficace, le chromosome X est aussi soumis à plus de dérive que les autosomes et est donc moins diversifié. Cette petite taille modifie aussi sa réaction lors de changements démographiques : lors d’une réduction de taille de la population, la dérive de ce chromosome est majorée et sa diversité est encore plus faible relativement à celle des autosomes. Au contraire, dans le cas d’une expansion, la diversité du chromosome X retrouve plus rapidement son équilibre que celle des autosomes (Pool et Nielsen 2007) ce qui pourrait expliquer certains cas de figures observés dans la littérature, par exemple par Yang et al. (2010).

Chapitre II – Diversité génétique et CCAS