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PARTIE I - CLINIQUE

B) Le corporel et le psychique

1) Quelques autres grands thèmes psychomoteurs

Dans la partie précédente, nous avons souligné le caractère primordial pour la psychomotricité du développement et de la relation. Il existe à côté de ça un certain nombre de cours suggérant d’autres centres d’intérêt majeur pour le psychomotricien.

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a) La pédagogie

Les cours de pédagogie portent sur l’histoire de l’instruction et de l’éducation des enfants ; le système d’éducation français et la place que celui-ci accorde au corps ; sur les problématiques de la pédagogie (le rapport maître-savoir-élève), de la didactique (la transformation des savoirs en vue de leur transmission), de la docimologie (les moyens d’évaluation) ; sur les théories de nombreux pédagogues : Jean-Baptiste Rousseau (le besoin de l’enfant est moteur de l’apprentissage), Ovide Decroly (l’enseignement dans la nature), Maria Montessori (approche ludique et développement de l’autonomie), Célestin Freinet (apprentissage en groupe et par tâtonnement expérimental), John Dewey (pédagogie du projet à partir d’une situation-problème), Fernand Oury (enjeux de l’inconscient dans l’apprentissage). Il introduit également au concept fondamental de « zone proximale de développement », formulé par Lev Vigotsky, pédagogue russe, qui préconise que l’apprentissage de l’enfant doit se faire, avec aide, dans la zone intermédiaire entre les tâches que l’enfant peut réaliser facilement sans aide, et les tâches que l’enfant ne peut réaliser sans aide, car trop dures.

Ces cours, outre qu’ils nous donnent un recul suffisant pour commencer à penser les enjeux de la pédagogie, suggèrent que la psychomotricité a un rapport fondamental avec l’enfant, l’apprentissage, la transmission. Ils ouvrent également à la réflexion sur le problème de la transmission des valeurs, et de la norme, laquelle est abordée lors des cours suivants.

b) L’anthropologie

Ces cours abordent l’histoire de la notion de handicap et de son statut dans la société, ainsi que les différentes conceptions historiques et anthropologiques de la maladie. Ils apportent également une lecture plurielle du phénomène de la violence, à travers l’éthologie (L’agressivité selon Konrad Lorenz), la neurobiologie (le fonctionnement triunique du cerveau, théorie de Paul McLean), l’anthropologie (dynamique du phénomène de bouc émissaire et de recyclage de la violence, tels qu’étudiés par René Girard).

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Ils incitent à une réflexion sur le normal et le pathologique. Selon notre point de vue, Olivier Grim a formulé un pense-bête ou garde-fou définitif quand il a écrit : « Ne pas tomber dans le piège funeste du rapport à la norme […] Il s’agit d’évaluer un degré de souffrance d’être au monde et d’apporter à la suite des réponses et des solutions pour réduire cette douleur car c’est à cela que nous avons affaire : à des êtres qui souffrent et non pas à des machines mal construites ou endommagées qu’il convient de réparer avec trois bouts de ficelle ou un faisceau laser ».77

En 1982, Julian de Ajuriaguerra écrivait : « La question du normal et du pathologique est une question qui préoccupe plus le philosophe que le médecin […] Si cette attitude pragmatique se justifie dans le domaine de la médecine somatique, il n’en va plus de même dans le champ de la psychiatrie, champ bordé de tous côtés par les problèmes éthiques, culturels, sociaux, politiques entre autres, etc… ».78 Si nous sommes en désaccord sur un point, à savoir que le médecin lui aussi devrait se préoccuper de ces questions, nous pensons également que cette recommandation peut s’étendre au psychomotricien car, en tant que praticien de santé abordant le corps, son champ est également « bordé de tous côtés par les problèmes ». Cette situation délicate de la psychomotricité implique et justifie de facto les cours suivants.

c) La méthodologie

Les cours de méthodologie visent à l’acquisition des méthodes de travail universitaire. Ils incitent à articuler la théorie à la clinique, développer l’esprit critique, réfléchir à l’épistémologie de la discipline et répondre à la question « qu’est-ce que la psychomotricité ».79 Ils amorcent - conjointement aux cours de lecture de textes, à la consigne de prise de notes régulières sur nos pratiques et nos stages, aux groupes d’analyse des pratiques - les processus essentiels qui vont conduire à la rédaction des rapports de stages, des dossiers, et pour finir du mémoire.

77 Grim (2017) p.253

78 Ajuriaguerra, Marcelli (1982) p.45 79 Livret d’accueil, p.29

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C’est le seul cours ressemblant à un cours universitaire, dans le sens où il invite à un rapport critique au savoir. La production d’écrits de qualité est un facteur essentiel dans l’évolution du métier, et ce cours y apporte une contribution majeure. Il faut saluer l’initiative de la directrice de la formation d’intégrer ces cours au cursus80 et déplorer en même temps qu’ils n’aient encore, au sein de la formation, qu’un statut clandestin. En effet, il n’est pas - avec les cours d’anthropologie - au programme officiel de la formation et, bien que les travaux méthodologiques soient notés, ils ne comptent pas dans la moyenne.

Conformément à notre démarche - qui rappelons-le est de prendre la formation « à la lettre » dans l’optique de dégager une image nouvelle du métier - nous extrayons les qualités suivantes : acquisition d’une perspective critique, maniement a minima du concept, capacités d’exprimer ses idées.

d) La philosophie

Les cours de philosophie reviennent sur les racines philosophiques et historiques de la psychomotricité. Nous y évoquons - pour l’histoire - les noms d’Itard et le sauvage de l’Aveyron, Pétat et l’adolescent pithiatique, Wallon et l’enfant turbulent, Guilmain et le jeune délinquant. Nous y apprenons l’effort de synthèse effectué par Julian de Ajuriaguerra, qui a conduit à la création de la psychomotricité. C’est dans ces cours que nous est prononcée la phrase « La rééducation psychomotrice est une thérapie originale, neurophysiologique et psychophysiologique dans sa technique, psychologique dans son but, destinée à agir par l’intermédiaire du corps sur les fonctions mentales perturbées ».81 Phrase faisant preuve, au demeurant, d’un dualisme consommé, et matrice, selon nous, de toutes les définitions en forme de carrefour. Serge Fauché ajoute : « il s’agit, on le voit, d’un résumé historique plutôt que d’une notion heuristique ».82

Ces cours apportent les premiers jalons pour comprendre notre histoire. Mais ils demeurent insuffisants et ne reflètent pas la richesse et la complexité de l’évolution de la psychomotricité. L’histoire de la psychomotricité n’est pas linéaire, mais, à l’instar de la phylogenèse humaine, buissonnante. Elle est travaillée par un enchevêtrement de

80 Vachez-Gatecel (2018) p.332

81 Joël Defontaine, cité par Serge Fauché (1993) p.301 82 Ibid. p.301

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paradigmes très différents les uns des autres, et des enjeux idéologiques et institutionnels forts.83 Il va sans dire que, bien qu’occultés, et sans doute parce qu’occultés, ces problèmes touchent de plein fouet les étudiants, provoquant une véritable paralysie de l’esprit.

Cela rend d’autant plus nécessaire la formation à une réflexion autonome sur les modèles philosophiques du corps et de l’esprit. En cours nous effectuons un survol des concepts de corps et d’esprit et la façon de penser leur unité ou leur union, à travers trois grands noms : René Descartes, Baruch Spinoza, et Maurice Merleau -Ponty.

Par-delà la connaissance de sa propre histoire, ces cours indiquent donc que le psychomotricien doit se doubler d’un philosophe connaissant les différentes conceptions du corps et de l’esprit à travers les âges.

Plusieurs auteurs soulignent l’importance d’un rapprochement de la psychomotricité avec la philosophie spinoziste.84 Outre que les intuitions de cette dernière se sont vues récemment confirmées par les neuro-sciences85, ce modèle permet de subsumer les catégories du corps et de l’esprit dans les notions pleinement monistes de conatus (« tendance à persévérer dans l’être ») et de puissance d’agir (qui appartient autant à l’esprit qu’au corps puisque le premier est défini comme « idée du corps existant en acte »). Ces deux aspects sont déjà suffisamment soulignés par ces deux auteurs.

Nous nous permettons d’ajouter que le rapprochement avec Spinoza nous permet de penser les phénomènes de volition d’une façon tout à fait inédite (à l’opposé de la perspective volontariste utilisée par la psychomotricité au début du vingtième siècle) car pour lui ils ne sont pas à voir comme l’exercice d’une volonté absolument libre et transcendante, mais comme le reflet d’une puissance d’agir. Autrement dit : l’homme fait ce qu’il peut, non ce qu’il veut. La volonté n’est pas distincte d’une liberté d’agir qui n’est pas innée, mais acquise.86

83 Sur ces aspects hautement polémiques, nous renvoyons à la lecture de l’ouvrage de Serge Fauché, Du corps au psychisme, notamment le chapitre 7, intitulé « Des dérives épistémologiques à la perte d’une identité » (p.255) ainsi qu’au mémoire de Anne Coutant, p.17.

84 Giromini (2015) p.279 ; Meurin (2016) p.100 85 Damasio (2003)

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Nous touchons maintenant aux matières concernant ce qui est généralement rangé dans la catégorie « savoir-faire » des psychomotriciens.