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1. Ruptures idéologiques entre l’école Ts8taïe et l’équipe Yawenda

1.3 Quelle place pour la langue dans l’école?

J’ai déjà cité Awen’ qui soulignait l’importance de « faire de la place » à la langue wendat dans le curriculum. L’école Ts8taïe reconnait aussi ce besoin et souhaite non seulement « poursuivre l’enseignement de la langue wendat (École Ts8taïe, 2011, p.15) », mais bien d’« insérer, dans le programme d’apprentissage primaire, un programme d’apprentissage de la langue wendat (idem). » Il convient pourtant d’analyser les caractéristiques de l’espace spatiotemporel mis à la disposition des cours de langue wendat au sein de l’école. Tel que présenté en section 3.2 du chapitre précédent, les participants excluent majoritairement l’école des lieux considérés comme significatifs pour l’enseignement, l’apprentissage et l’usage de la langue, lui préférant un contexte plus ancré dans les traditions huronnes-wendat, telles les cérémonies à la Maison longue ou encore les activités se déroulant sur le territoire. Pourtant, tel que mentionné ci-haut l’école Ts8taïe a annoncé son désir de développer plus d’activités de ce genre. J’analyserai donc ici les autres ruptures saillantes entre l’idéologie des lieux significatifs et les caractéristiques spatiotemporelles de l’espace scolaire.

Tout d’abord, les participants s’entendent pour dire qu’ils sont insatisfaits de la place accordée au cours de wendat dans l’école :

Ben c’est sûr que c’est contraignant, mais aussi il y a le temps, le nombre de matières qu’il faut qu’on voie, il y a l’état des élèves là-dedans aussi qui rentre en compte, parce qu’on s’entend que l’heure du diner eux autres sont à une période de fun la, eux autres ils voyaient les cours comme une récréation... ben pas comme une récréation là, mais un peu là (Awen’).

C’est pas du tout le moment le plus propice, le contexte le plus propice, pour leur apprentissage approfondi (Söndakwa).

La période où la langue se donne ça devrait pas être cette période-là. Pis ça fait, je trouve que ça augmente sur nous de la pression de faire en sorte que la langue soit perçue comme intéressante pis le fun (Yo’kho’).

En plus de nuire à la valorisation de langue, la place qui lui est allouée, soit 45 minutes pendant l’heure du diner, engendre de la frustration de la part des membres de l’équipe Yawenda. Anderson (2009) souligne l’importance de décoloniser les établissements scolaires. En effet, selon ce dernier, la majorité des écoles autochtones correspondent à des espaces qui ont été réoccupés avec succès par les communautés autochtones. Ces écoles cependant n’ont jamais été « revernacularisées », c’est-à-dire que le cadre spatiotemporel de ces établissements suit toujours la norme établie par la société hégémonique : « Genuine self-governance has aimed to decolonize and indigenize social space-time

63 within reservation boundaries. While successful to some extent in reclaiming some time-space zones for local political, economic, and religious agency, language renewal has largely failed to revernacularize social space-time (Anderson, 2009, p.75). » Cette citation nous permet de comprendre comment les écoles autochtones qui sont maintenant sous la responsabilité d’une Nation, telle l’école Ts8taïe dont la direction et la majorité du personnel sont des Hurons-Wendat, restent toujours sous l’emprise du néocolonialisme. Les membres de l’équipe Yawenda, qui souhaitent enseigner la langue en accord avec les principes, les valeurs et la philosophie wendat, semblent résister à ce cadre formel et institutionnalisé, qui ne représente pas, selon leurs standards, un lieu significatif pour l’apprentissage de la langue wendat. Pour les membres du projet Yawenda, qui souhaitent utiliser l’école comme plateforme pour véhiculer les valeurs propres à la communauté et promouvoir la revitalisation linguistique et culturelle, le cadre imposé dans lequel ils doivent enseigner pose problème.

Fishman (2001) souligne l’importance de transmettre la langue hors du contexte scolaire, qui entre selon lui en conflit avec les modes traditionnels de transmission de la langue maternelle. Il se base sur deux facteurs : la formalité et la continuité. Ainsi, la transmission en milieu scolaire est formelle et discontinue, alors que la transmission d’une langue maternelle est un processus essentiellement informel et continu. Dans le cas du wendat cependant, seul le critère de formalité peut être pris en compte, puisque la revitalisation d’une langue endormie constitue un processus de nature discontinue. En effet, dans de tels cas, la langue est transmise comme langue seconde plutôt que comme langue maternelle. Bien qu’il soit beaucoup plus commun de transmettre une langue seconde dans un contexte formel, ce cadre semble tout de même gêner les participants comme en témoigne Yo’kho’ :

Ce que j’essaie d’expliquer c’est qu’il faut pas faire la langue juste au niveau de la tête. C’est qu’il faut la vivre à un autre niveau. Pis pour ça des fois le contexte scolaire ou la manière que le contexte de l’école est, je dis pas l’école ici parce qu’elle est pas bonne ou autre, c’est pas ça que je veux dire, mais le contexte dans lequel on bâtit nos écoles qu’ils se vivent présentement, c’est difficile de pouvoir vivre ça de la façon dont j’en parle ou j’essaie de le décrire. C’est plus à travers des activités journalières ou d’autres activités qu’on créerait où les gens se retrouvent dans un autre contexte qu’être entre quatre murs pis qu’être au bout d’une table avec des feuilles pis du papier. Se retrouver dans un autre contexte : celui de la nature, se retrouver sur notre territoire. De faire des activités coutumières ou des activités contemporaines, mais où est-ce qu’on se retrouve pis que la langue est utilisée à un autre niveau. Pis je me dis que c’est ça qu’il faut essayer d’ajouter à ce qu’on fait présentement. Pis aux adultes, c’est pour ça que j’aime ça. Parce qu’on se rapproche plus de ça. Pis je pense que j’ai de la difficulté à l’école primaire à cause de tout ce qui est imposé autour. C’est comme si y’avait plusieurs... c’est normé à tous les points de vue. Pis c’est difficile de sortir de ces normes-là. Pis on reste trop dans le domaine intellectuel de ce qu’on fait. Pis c’est ça que j’ai de la difficulté. Pis que ça se vive autre chose qu’au point de vue mental. C’est correct que ça se fasse, je veux pas enlever ça. Mais il faut aller au-delà de ça aussi. Y faut faire plus que ça. (Yo’kho’)

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Söndakwa argumente aussi dans ce sens en déplorant la qualité de la communication dans un tel cadre formel :

Söndakwa : Ouais, ouais effectivement je voulais mettre l’accent aussi sur l’expression. Chercheur : Ouin s’exprimer c’est important

Söndakwa : Ouin parce que les cours que je viens assister, les cours normaux réguliers, les jeunes au primaire, c’est beaucoup structuré.

Chercheur : Il y a moins cet espace-là de communication? Söndakwa : C’est ça il y a moins cet espace, exact.

Chercheur : Interpersonnel peut-être...?

Söndakwa : Oui, ils ont moins le… cette tribune-là, cette tribune-là n’existe pas...

Ainsi, le milieu scolaire ne semble pas laisser d’espace pour vivre et ressentir la langue et la culture, parce que ce milieu est trop centré sur la dimension intellectuelle de l’apprentissage, en d’autres termes sur les connaissances déclaratives plutôt que sur les aspects émotifs, sociaux et spirituels liés à la langue. De plus, le cadre formel semble étouffer la « vraie » communication comme l’entend Söndakwa qui reproche aux cours d’être trop structurés. Ce participant estime aussi avoir réussi à créer cet espace pour la communication ou cette « tribune pour s’exprimer » dans ses cours de wendat. Il serait donc possible de créer cet espace à l’intérieur du contexte scolaire en dérogeant toutefois à la structure habituelle de cours. Ainsi, les participants ne peuvent pas espérer enseigner le wendat de façon significative simplement en introduisant le wendat à l’intérieur du cadre préétabli de cours. Il convient de transformer l’espace afin de le rendre significatif; le cours de wendat doit devenir un lieu d’expression de l’identité et de la culture.

Un autre problème qui empêche l’école d’agir en tant que lieu significatif pour la langue, c’est que l’école est essentiellement un espace clos. Il n’est pas possible pour un observateur de tout bonnement y entrer afin d’assister ou de participer aux cours (Anderson, 2009) de langue wendat. Ceci limite le rayonnement de la langue dans la communauté. J’ai d’ailleurs remarqué, pendant les cours de wendat, que certains parents, qui venaient chercher leur enfant plus tôt à l’école, en profitaient pour observer le cours pendant quelques minutes. Yo’kho’ souligne d’ailleurs vouloir « intégrer la langue, mais sous d’autres formes que la forme scolaire » afin de « rendre la langue plus visible et utilisable de façon quotidienne (Yo’kho’). » Selon Anderson (2009) les institutions formelles d’enseignement ont été conçues selon l’idée et dans le but de créer une scission entre la communauté et l’école : « The aims of formal education and other social institutions have been to create a spatiotemporal break from family and real communities through sequestration of education from lived language and culture. (p.66.) »

65 Yatie’ et certains autres participants déplorent aussi le manque de soutien et d’implication de la part de certains membres du personnel enseignant à l’école Ts8taïe. En fait, l’équipe Yawenda souhaiterait que la langue wendat soit vécue dans l’ensemble de l’école (et à l’extérieur de celle-ci) et non pas seulement dans une salle de classe pendant les 45 minutes allouées hebdomadairement à son enseignement. Le personnel enseignant joue ainsi à ses yeux un rôle clé (ou pourrait le jouer) en assurant le réinvestissement de la langue wendat dans les autres matières scolaires.

Comme on se disait tantôt si c’est pas réinvesti, ou les professeurs, ou après ça, ça tombe, ben ok c’est beau ça reste une activité : on apprend la langue wendat 1 heure par semaine, pis après ça on lui touche pu. Idéalement aussi comme on avait parlé, on retrouve les chiffres dans les cours de math ou retrouve ça en histoire, les mots quand on fait une présentation, ça, c’est génial de réutiliser les mots. Pis oui, ça pourrait être même, sincèrement, amener les jeunes à la maison longue, mais la maison longue traditionnelle. On n’en voit pas tant que ça des enfants qui y vont. (Otsi’tsa’)

Bref, les participants doivent à la fois se réapproprier l’espace scolaire afin de transformer la salle de classe en lieu significatif pour la transmission de la langue, mais aussi permettre à la langue de sortir de l’école. C’est-à-dire de faire de la place à la langue dans la communauté.