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membres de l’équipe Yawenda auprès desquels j’ai conduit ma recherche de façon hebdomadaire à raison de sept heures par semaine sur une période s’échelonnant de septembre 2010 à juin 2012. Au cours de cette période, j’ai assisté à leur formation, aux séances de planification, aux ateliers et conférences, ainsi qu’à plusieurs cours de langue wendat. J’ai ainsi participé à une série de conversations, formelles et informelles, portant sur la langue wendat, sa revitalisation et sa transmission. Bien que cette période se soit révélée très utile pour bâtir un lien avec mes participants et pour comprendre l’ensemble des enjeux liés à mon sujet d’étude, c’est principalement sur le corpus de données constitué par six entretiens avec les membres du projet Yawenda, ainsi que sur une série d’observations en salle de classe s’échelonnant du 15 mars au 3 mai 2012, que se base la présente recherche. Des journaux de bord des enseignants et mon journal de recherche ont toutefois servi à amasser des informations avant cette période principale de collecte de données et sont utilisés dans une logique de validation triangulaire des résultats.

2.1 Entretiens

De septembre 2010 à juin 2012, j’ai travaillé, à titre d’auxiliaire de recherche, avec l’équipe Yawenda. Cette équipe, composée de membres de la communauté huronne-wendat, rassemblait des individus issus de plusieurs strates de la communauté (âge, sexe, famille, travail et occupation) tous liés par leur passion pour la culture de leur peuple et par la volonté de réapprendre la langue wendat et de réintroduire son usage à Wendake. C’est auprès de ce petit groupe de gens, ce « good solid group of people », pour emprunter le terme employé par Jenanne Ferguson (2009) pour définir ce noyau de personnes au cœur des processus de revitalisation des langues autochtones, que j’ai conduit mes entretiens. Au total, j’ai fait six entrevues en profondeur, de 37 à 100 minutes chacune, dont cinq en présentiel et une par téléphone. La population d’enquête comprend les membres actifs du projet Yawenda (lors de mon terrain au printemps 2012) impliqués dans l’enseignement de la langue wendat. La taille restreinte de l’équipe d’enseignants de wendat m’a poussée à opter pour un échantillonnage à 100 %. Le but de ces entretiens était de dégager les idéologies linguistiques des membres de l’équipe Yawenda. Plus précisément, les questions portaient sur leurs motivations ainsi que sur la perception qu’ils avaient de leur rôle dans la transmission et l’enseignement de la langue wendat; sur leurs

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connaissances et leurs perceptions au sujet des apprenants et des besoins de ces derniers; sur leurs croyances et attitudes concernant l’apprentissage de la langue wendat, des langues autochtones et des langues en général; et finalement sur leurs expériences d’enseignement de la langue wendat (à l’école Ts8taïe principalement, mais aussi au CDFM et par le biais d’activités communautaires). Le schéma d’entretien13 a servi de guide pour la conduite d’entrevues semi-dirigées au cours desquelles les

participants étaient libres de déroger du cadre ou bien de se concentrer sur les aspects qu’ils trouvaient plus importants. Tous les entretiens ont été enregistrés et transcrits sous forme de verbatim afin de créer un corpus de données discursives. De nombreux extraits ont été insérés dans le présent document afin d’assurer un maximum de transparence. Le tableau ci-dessous présente les caractéristiques des entretiens. On remarquera que l’âge et le sexe ne sont pas mentionnés comme attributs. Je reconnais qu’il s’agit là de marqueurs sociaux importants qui pourraient servir d’éléments d’analyse, toutefois, dans le souci de maximiser l’anonymat des participants, facilement reconnaissables par leur petit nombre et leur haut niveau d’implication au sein de la communauté, j’ai choisi de garder ces informations confidentielles. Ainsi, bien que la population d’enquête soit mixte (hommes et femmes) le masculin sera utilisé pour tous les participants. Les pseudonymes représentent de véritables mots wendat qui ont été attribués de façon aléatoire14.

Participants Pseudonyme Date Mode Durée

A Awen’ 15/03/2012 Présentiel 37 min.

B Söndakwa 22/03/2012 Présentiel 73 min.

C Ora’ 20/03/2012 Présentiel 97 min.

D Yo’kho’ 05/04/2012 Présentiel 100 min.

E Yatie’ 02/05/2012 Téléphonique/ Skype

61 min.

F Otsi’tsa’ 07/05/2012 Présentiel 91 min. Tableau 1 : Entretiens avec les participants

13Voir annexe III.

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2.2 Analyse thématique du contenu

Les données du corpus discursif ont par la suite été soumises à une analyse de contenu thématique dans le but de déceler les idéologies partagées par les participants et de les définir. L’Écuyer (1987) définit cette technique d’analyse comme une « méthode de classification ou de codification dans diverses catégories des éléments du document analysé pour en faire ressortir les différentes caractéristiques en vue d’en mieux comprendre le sens exact et précis » (p.50). Après plusieurs lectures approfondies du corpus de données, trois catégories, correspondant aux idéologies linguistiques partagées par les participants ont émergé des données. Il s’agit de la « valeur de la langue wendat », du lien entre « langue et identité », ainsi que de la nécessité de trouver des « lieux significatifs » pour la transmission et l’usage de la langue wendat. À partir de ces trois « nœuds » principaux, j’ai procédé à une codification des données. On peut qualifier l’approche utilisée « d’hybride », la démarche de catégorisation n’étant ni fermée ni complètement ouverte (L’Écuyer, 1987; Paillé & Mucchielli, 2003).

Le caractère partagé des idéologies a été déterminé par la fréquence et la saillance des énoncés à travers le corpus. Ainsi, certaines idéologies linguistiques ont été écartées de l’analyse parce qu’elles étaient articulées par un ou deux participants seulement. Par exemple, Awen’ a mentionné que la langue wendat était d’après lui trop difficile pour être enseignée ou pour être acquise comme langue seconde. Selon ce participant, la langue wendat, en raison de sa structure, nécessitait un processus de transmission naturel de langue maternelle. Bien qu’il s’agisse là d’une construction idéologique fort intéressante au niveau de la transmission de la langue wendat, l’analyse du corpus dans son ensemble, ainsi que des actions de l’équipe Yawenda, indique qu’il s’agit là d’une vue plutôt isolée.

2.3 Observation en salle de classe

Afin d’analyser les ruptures idéologiques entre les idéologies et la pratique au niveau de l’enseignement de la langue wendat, ma collecte de données comportait aussi un volet d’observation participative. Les idéologies imbriquées dans la pratique éducative sont selon moi plus basses dans l’échelle de conscience. Ces idéologies de conscience pratique (Kroskrity, 2009) sont bien souvent perçues comme des connaissances et pratiques neutres par les acteurs. En sociologie du curriculum15,

on utilise le concept de curriculum caché (Eisner, 1995) pour faire référence à de telles idéologies, généralement transmises et reproduites de façon inconsciente par la pratique enseignante. En ce sens, une telle approche ethnographique permet de réellement comprendre le vécu des élèves et des enseignants et de pousser l’analyse au-delà de l’étude des programmes et projets éducatifs. Joseph (2011) en commente les avantages: « Ethnography enables us to look beyond planned outcomes,

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purposes, or instructional strategies to see how curriculum is manifest as culture through rituals, customs, values, and the implicit beliefs of folk pedagogies (p.28). »

Ainsi, grâce à la collaboration de la direction de l’école Ts8taïe, j’ai pu assister à 20 cours de langue wendat au sein de l’établissement au printemps 2012. À cette époque, quatre classes de l’école recevaient des cours de wendat. Il s’agissait des deux classes de maternelle (5 ans), de la classe de 1ere

année et de celle de 2e année. La méthode de collecte de données sélectionnée est une ethnographie

qualitative de type « sélective » (Day, 1990, p.47) centrée sur le curriculum caché et sur les ruptures idéologiques entre le discours et la pratique des enseignants de langue wendat. Il ne s’agissait pas ici de recueillir le verbatim des cours ou encore une ethnographie complète de ceux-ci. Combinées au corpus de données principal (constitué de six entretiens), les données recueillies pendant les séances d’observation ont surtout servi à situer et à valider l’analyse à l’aide de données ethnographiques.

2.4 Journaux de bord des enseignants de wendat

Afin d’aider les membres de l’équipe Yawenda à cheminer dans leur enseignement de la langue wendat, j’ai créé un outil de réflexion : le journal de bord. Les membres de l’équipe étaient fortement incités à remplir une fiche à la fin de chaque leçon. Ces journaux contiennent des informations factuelles sur la leçon (titre, date, niveau, etc.), mais aussi des réflexions de l’enseignant sur ce qui a bien fonctionné et ce qu’il voudrait modifier. De plus, l’enseignant pouvait décrire comment il se sentait à la fin de la leçon et commenter le comportement et l’attitude des élèves pendant celle-ci. Finalement, un espace était réservé aux notes pour le prochain cours. J’ai recueilli les journaux de bord des enseignants qui ont accepté de me les donner. Au total, 3 participants sur 4 m’ont donné une partie de leurs journaux de bord, les participants B (Söndakwa) et E (Yatie’) ne donnaient pas de cours à ce moment et n’en ont donc pas rempli. Le tableau suivant répertorie les journaux de bord recueillis :

Journal de bord # Participant Date Journal de bord # Participant Date

1 Awen’ 03/11/2011 8 Ora’ 16/02/2012 2 Awen’ 10/11/2011 9 Ora’ 22/03/2012 3 Awen’ 17/11/2011 10 Otsi’tsa’ 03/11/2011 4 Ora’ 03/11/2011 11 Otsi’tsa’ 10/11/2011 5 Ora’ 10/11/2011 12 Otsi’tsa’ 17/11/2011 6 Ora’ 17/11/2011 13 Otsi’tsa’ 08/12/2011 7 Ora’ 09/02/2012 14 Otsi’tsa’ 23/02/2012

31 Neuf de ces documents ont été sélectionnés pour former un corpus de données secondaire. Il s’agit des journaux de bord 1, 2, 3, 5, 6, 9, 11, 12 et 13 (en gris dans le tableau). L’échantillonnage a été déterminé de façon à assurer une représentation égale de chaque participant, puisque les réflexions de ceux-ci font ressortir leurs propres préoccupations. Pour les participants Ora’ et Otsi’tsa’ qui avaient fourni plus de trois journaux de bord, ceux retenus dans l’échantillonnage ont été pigés au hasard. L’analyse de ces journaux de bord permet de mieux comprendre le vécu des enseignants. Elle permet aussi de situer et de valider l’analyse faite à partir du corpus de données principal.

2.5 Journal de recherche

J’ai tenu un journal de recherche personnel, sous forme de blogue privé, pendant une grande partie de la durée de mon contrat de travail au sein du projet Yawenda (septembre 2010 à juin 2012). Au total, j’ai effectué 15 entrées au journal sur une période s’échelonnant du 16/11/2010 au 09/02/2012. Il ne s’agit donc pas d’une prise de notes systématique. En effet, les entrées servaient plutôt à résumer des rencontres, des formations ou des visites importantes comme la visite du centre culturel de Kahnawake (16/11/2010), la rencontre avec le comité-école (03/02/2011), la formation avec Mary McDonald, enseignante de langue mohawk (03/02/2011), la formation First Voices animée par Peter Brand (26/05/2011), ainsi que des rencontres importantes avec l’équipe Yawenda ou la direction de l’école. Un usage plus intensif et plus rigoureux du journal de recherche aurait été souhaitable afin de documenter les discussions et les réflexions qui ont eu lieu hebdomadairement pendant les séances de formation de l’équipe Yawenda auxquelles j’assistais normalement.