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3 Un quatrième pilier de protection sociale à deux niveau

Avant la loi de 2006, la sécurité sociale organisée par l’Etat central prenait déjà en charge certaines situations relevant de la dépendance : cas d’invalidité permanente (personnes nécessitant des soins personnels pour les besoins de la vie quotidienne) ; grande invalidité ; autres prestations en relation avec l’incapacité (maladie) ; compléments d’aide à tierce personne liés à la pension d’invalidité non contributive. Certaines de ces prestations sont

directement versées à la famille de la personne dépendante. Toutefois, la dépendance n’était pas appréhendée de manière globale comme un « risque assuré ». Quant à la prise en charge des personnes dépendantes dans le cadre de l’aide sociale, qui relève de la compétence des Communautés autonomes, elle était insuffisante, non coordonnée et caractérisée par des différences importantes d’une Communauté autonome à l’autre. On était alors assez proche de la situation britannique.

La nouvelle législation en vigueur depuis janvier 2007 constitue une réponse générale apportée à un risque social aujourd’hui reconnu comme tel (notion de contingencia)42. Elle a vocation à couvrir quelques 1 200 000 personnes. Elle consacre au profit des citoyens un droit subjectif à la protection en cas de dépendance43. Cela implique, notamment, que les citoyens peuvent invoquer ce droit devant les tribunaux. Pourtant, à la différence de l’Allemagne ou du Luxembourg, cette reconnaissance n’a pas donné lieu à la création d’une assurance sociale. Le choix du législateur espagnol a été de créer de nouveaux instruments universels, distincts de la couverture directe offerte par la sécurité sociale, et éventuellement complétés par les dispositifs d’assistance sociale ou par les services sociaux au niveau des Communautés autonomes. D’après certains commentateurs44, il aurait été constitutionnellement possible d’inclure la dépendance dans la sécurité sociale. La sécurité sociale espagnole est en effet une fonction de l’Etat, qui a évolué avec une tendance universaliste (la santé) et qui inclut des prestations non contributives au sein desquelles auraient pu prendre place les prestations dépendance. Cela n’aurait d’ailleurs pas empêché les Communautés autonomes d’exercer leurs compétences pour couvrir les situations de besoin non couvertes par la sécurité sociale. Il y a toutefois eu consensus pour estimer que la protection de la dépendance dépasse la fonction usuelle de la sécurité sociale qui consiste à garantir un revenu de remplacement au travers de prestations en espèces. Le système établi par la loi consiste donc en une protection universelle financée par l’impôt, en dehors du système de la sécurité sociale. Ce système est moins fondé sur l’octroi de prestations en espèces que sur l’octroi de services aux personnes dépendantes qui en ont besoin ; il fait place, toutefois, aux prestations en espèces mais aussià la technique du ticket modérateur, car la loi pose le principe d’une participation financière des bénéficiaires45.

Du point de vue de l’organisation du système, la loi a créé, comme indiqué plus haut, un nouveau pilier de la protection sociale universelle : le système d’autonomie personnelle et de prise en charge des personnes en situation de dépendance (SAAD – Sistema para la

Autonomia y Atención a la Dependencia). Ce système comprend en réalité deux niveaux. Il

garantit un niveau minimum de prise en charge, homogène sur l’ensemble du territoire, défini et financé par l’Etat central et ouvre la possibilité à chaque Communauté autonome d’adapter le cadre général étatique, le compléter et financer un niveau complémentaire. On a donc un

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Même si la dépendance ne fait pas l’objet d’une assurance sociale, comme en Allemagne ou au Luxembourg, le fait de la considérer comme un risque social a des conséquences juridiques. Ainsi, par exemple, la législation espagnole de 2007 sur les plans de pensions privés (les retraites complémentaires) considère désormais les cas de « dépendance sévère » et de « grande dépendance », tels que définis par la loi 39/2006, comme des contingences susceptibles d’ouvrir le droit à la liquidation de la pension complémentaire, au même titre que la mise à la retraite ou l’incapacité permanent totale.

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La titularité du droit, selon la loi, n’est soumise qu’à deux conditions : se trouver en situation de dépendance ; résider sur le territoire espagnol depuis cinq ans avant la demande de prise en charge.

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M. Rodríguez-Piñero, précit.

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mode d’organisation de type « multilevel », ce qui ne manquera pas de poser des problèmes de gouvernance. Il s’agit en effet d’un modèle intégré qui suppose une coordination des différentes administrations publiques aux différents niveaux, un peu comme cela a dû se réaliser avec la mise en place du système national de santé en 198646.

Théoriquement, s’établit une articulation entre niveau étatique et niveau régional (les Communautés autonomes) fondée sur le principe de subsidiarité propre aux organisations étatiques fédérales. L’Etat garantit la protection de base, mais sur ces bases doivent s’exercer les compétences des Communautés autonomes : évaluation concrète de la dépendance, établissement des plans individuels de soins, gestion des prestations, inspection et évaluation du dispositif. En d’autres termes, l’Etat se contente de fixer le « contenu primaire du droit », selon les préceptes établis par la jurisprudence du Tribunal constitutionnel. Un peu à l’image de l’organisation des compétences, notamment en matière de politiques sociales, qui prévaut dans le cadre institutionnel de l’Union européenne, le schéma qui se présente ici est celui des « compétences partagées » entre l’Etat central et les C.A. Le fait que ces dernières disposent d’une marge leur permettant de compléter le système et d’introduire donc des éléments de différenciation n’est pas contraire à la Constitution espagnole qui n’exige pas l’uniformité absolue.

Sur le plan du financement, le système se révèle assez complexe car la loi prévoit en réalité trois modalités d’intervention des pouvoirs publics, correspondant en fait à trois degrés de protection sociale :

- un degré minimum garanti et financé part l’Etat espagnol ;

- un degré intermédiaire, en régime de coopération supposant des financements croisés entre l’Etat et les Communautés autonomes, ce régime fonctionnant sur la base de conventions ; à ce niveau d’intervention, il est prévu par la loi que les ressources allouées par les C.A. au financement de la prise en charge de la dépendance doivent être au moins égaux à ceux de l’Etat qui fixe une contribution par personne dépendante.

- un degré additionnel, laissé à la totale compétence et initiative des Communautés autonomes pour assurer des prestations au-delà du minimum garanti, et donc financé par les seules ressources des mêmes Communautés autonomes.

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En matière de santé et de protection sociale face au risque maladie, l’Espagne est en effet passée d’un système reposant sur l’assurance sociale, de gestion étatique, à un système universel d’accès aux soins fortement décentralisé.

La contribution de l’Etat

Pour chaque personne dont la dépendance a été reconnue, la contribution mensuelle minimale de l’État, fixée par voie réglementaire, s’établit ainsi :

2010 2011 DEPENDANCE GRAVE Niveau 2 266,57 € 266,57 € Niveau 1 181,26 € 181,26 € DEPENDANCE SEVERE Niveau 2 103,02 € 103,02 € Niveau 1 70,70 € 70,70 € DEPENDANCE MODEREE Niveau 2 néant * 60,00 €

Niveau 1 néant * néant *

* Entrée en vigueur progressive de la loi

La coopération entre l’Etat et les C.A. est assurée par le Conseil Territorial du SAAD, chargé de la mise en place du Plan d’Action Intégrale. C’est le Conseil Territorial qui fixe :

- l’offre de services et la quantité (intensité) des services47 ; - les conditions d’octroi et le montant des prestations en espèces ;

- les critères de participation des bénéficiaires au coût des services (ticket modérateur)

- les degrés de dépendance et les critères d’évaluation selon le barème établi. Idéalement, ce mode d’organisation peut être perçu comme une évolution de l’Etat social. On passe en effet d’une situation antérieure très clivée, avec d’un côté la sécurité sociale étatique et sa propension à assurer une couverture large et d’un autre côté l’aide sociale assumée par les CA et sa fonction résiduelle, à une approche beaucoup plus intégrée : sécurité sociale et aide sociale s’articulant pour former une protection sociale adéquate.

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Ces éléments sont fixés par voie d’accords, au sein du Conseil territorial. Les termes des accords sont ensuite repris par un décret. La mise en œuvre de la loi étant progressive, plusieurs accords ont été élaborés. Le dernier en date est l’accord du 28 octobre 2010 qui fixe les critères pour déterminer l’intensité des services offerts (prestations en nature) ainsi que les conditions et le montant des prestations en espèces pour les personnes dépendantes de degré I (dépendance modérée).

Cependant, le fait que le système national de protection de la dépendance (SAAD) ne s’intègre pas à la sécurité sociale, qui est de la compétence exclusive de l’Etat, a pour conséquence qu’il a dû se greffer sur les systèmes de services sociaux régionaux existants48. Ces services ont donc été contraints à certaines reconfigurations, ce qui a entraîné des tenions au sein des organisations. On a là une illustration du local welfare ou de ce qu’en France, certains ont appelé le « département providence »49. Dans le cas espagnol, il y a donc bien une attraction de la dépendance dans la sphère des compétences locales, avec toutefois un niveau minimum garanti par la loi sur l’ensemble du territoire. De ce point de vue, le système espagnol de prise en charge de la dépendance se situe entre sécurité sociale et aide sociale et constitue une catégorie sui generis qui subit, malgré tout, l’attraction des mécanismes de l’aide sociale. Toutes proportions gardées, cette figure présente des similitudes avec l’APA à la française.

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Les Communautés autonomes sont juridiquement compétentes pour mener des actions en matière d’assistance sanitaire et sociale et pour développer les services sociaux à la personne (globalement le domaine de l’aide sociale, en Espagne).

49

R. Lafore, « La décentralisation de l’action sociale. L’irrésistible ascension du département providence », Revue Française des Affaires Sociales, n° 4, 2004, p.19-34.

Section 3. La dépendance dans le giron de l’assistance

sociale. Le cas britannique