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La qualité pour recourir

La portée de l'art. 43 al. 4 LCart a été au centre des procédures menées par le Professeur Pierre Engel suite à la concentration Le TempsS9. Selon cette der-nière disposition, seules les entreprises participantes ont qualité de parties dans la procédure de contrôle des concentrations. La doctrine majoritaire et la Commission de la concurrence en ont notamment déduit que cette règle exclurait toute possibilité de recours pour les tiers; il s'agirait en particulier de préserver les spécificités de ce type de procédure, qui se doit d'être rapide et efficace90 . Une autre partie de la doctrine prône en revanche une solution plus nuancée qui admettrait une qualité pour recourir soumise à des condi-tions strictes d'intérêt de fait9I _

Deux décisions de la Commission de la concurrence sont à l'origine de cette affaire: d'une part, l'autorité de première instance avait refusé de noti-fier au Professeur Engel la décision autorisant, avec charges92, la réalisation de la concentration; d'autre part, elle lui avait dénié le droit de consulter le dossier. Le Professeur Engel a recouru contre ces décisions successivement

88 RPW/DPC 1998/2, p. 215 n° 6, Revisuisse Price Waterhouse/STG-Coopers & Lybrand.

A noter que dans ce cas, alors que l'art. 18 Règlement prévoit que l'ouverture d'une procédure d'examen approfondi est décidée par la "chambre compétente", c'est la Commission de la concurrence en session plénière qui a pris cette décision.

89 RPW/DPC 1998/1 40, Le Temps.

90 W. STOFFEL, "Die Beschwerde an die Rekurskommission für Wettbewerbsfragen", RSDA (Numéro spécial 1996), p. 48; NORDMANN (n. 3), p. 246; K. HOFSTETTER/

R. SCHJLTKNECHT, "Fusions-und Marktmachtk:ontrolle im neuen schweizerischen Kar-tellgesetz", RSJ/SJZ 93/1997 p. 127; SCHERRER (n. 3), p. 211 ss, et "Fusionskontrolle nach revidiertem Kartellgesetz- Erste Falle und offene Fragen", PJA/ AJP 11/97, p. 1397.

91 B. GROSS, in Kommentar zum schweizerischen Kartellgesetz (cité supra n. 5), ad Art. 44 KG n. 55 s.; SCHERRER (n. 3), p. 438, et PJA/AJP 11/97 (n. 90), p. 1397.

92 Supra section III.B, l.

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devant la Commission de recours pour les questions de concurrence (art. 44 LCart)93 et devant le Tribunal fédéral (art. 104 lit. a OJ)94. En subs-tance, il a exigé qu'on lui reconnaisse la qualité de partie et la qualité pour recourir dans la mesure où il intervenait non seulement comme "opposant"

dans le cadre de la procédure d'examen, mais aussi comme actionnaire de la Société du Journal de Genève et de la Gazette de Lausanne, abonné audit journal et président de 1' Association des amis du Journal de Genève et de la Gazette de Lausanne- sans toutefois que cette association intervienne direc-tement dans la procédure.

De manière symptomatique, la Commission d~ recours a d'emblée re-tiré au recours du Professeur Engel son effet suspensif(art. 55 al. 2 PA). Pour sa part, le Tribunal fédéral a rejeté préjudiciellement la requête en effet sus-pensif présentée par le recourant (art. 111 al. 2 OJ). Les recours formés con-tre l'autorisation de la concentration avec charges ont été déclarés irreceva-bles, faute de qualité pour recourir du Professeur Engel. En conséquence, les moyens portant sur le refus de notifier la décision précitée et de permettre la consultation du dossier ont été écartés par les deux autorités de recours.

Même si ceci ressort expressément de la loi, les deux autorités de re-cours ont souligné que dans le cadre de la procédure d'examen des concen-trations, seules les entreprises participantes ont qualité de parties (art. 43 al. 4 LCart) et que "les tiers concernés n'ont ainsi le droit que de prendre position par écrit sur la concentration en cause" (art. 33 al. 1 LCart et 19 OCCE)95. Il ne faut pas minimiser ce constat car il a des conséquences im-portantes: les tiers concernés - en particulier, les concurrents et les "oppo-sants" - n'ont le droit ni de consulter le dossier établi par la Commission de la concurrence et son Secrétariat, ni de se faire notifier formellement la déci-sion de cette autorité96.

On peut cependant regretter que la seconde question soumise aux juri-dictions supérieures - la portée exacte de l'art. 43 al. 4 LCart-ait été laissée ouverte du point de vue du droit de la concurrence, et n'ait été tranchée que sur la base des principes généraux de la procédure administrative (art. 48 lit. a PA et 103 lit. b OJF). En application de ces dernières règles, les

autori-93 RPW/DPC 1998/l, p. 114, Le Temps.

94 RPW/DPC 1998/3, p. 498, X c. Commission de recours.

95 Ibidem, p. 503.

96 Pour en connaître le contenu, ils devront attendre sa publication dans RPW /DPC. A ce propos, on rappellera que les informations constituant des secrets commerciaux et figu-rant dans la détermination notifiée aux entreprises participantes sont éliminées de la version publiée dans le recueil des autorités de la concurrence.

82 PREMIÈRES EXPÉRIENCES DANS LE CONTRÔLE DES CONCENTRATIONS

tés de recours que seuls sont recevables les actes des personnes remplissant les conditions suivantes:

"La qualité pour recourir appartient à quiconque est atteint par la décision attaquée et a un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée. Le recourant doit être touché dans une mesure et avec une in-tensité plus grandes que la généralité des administrés. L'intérêt invoqué -qui n'est pas nécessairement un intérêt juridiquement protégé, mais qui peut être un intérêt de fait- doit se trouver, avec l'objet de la contestation, dans un rapport étroit, spécial et digne d'être pris en considération; il faut donc que l'admission du recours procure au recourant un avantage de nature économique matérielle ou idéale[ ... ]. Le recours d'un particulier formé dans l'intérêt de la loi ou d'un tiers est en revanche irrecevable [ ... ].La jurisprudence, comme la doctrine, exige donc de manière assez stricte la présence d'un intérêt propre et direct lorsqu'un tiers désire re-courir contre une décision dont il n'est pas le destinataire"97.

Ou encore, selon la Commission de recours:

"L'article 48 lettre a PA soumet la qualité pour agir à deux conditions cumulatives: une atteinte et un intérêt digne de protection. Cet intérêt peut être juridique ou de fait; il ne doit pas nécessairement correspondre à celui protégé par la norme invoquée. Le recourant doit cependant être touché plus que quiconque ou la généralité des administrés dans un intérêt important, résultant de sa situation par rapport à L'objet litigieux. Un inté-rêt digne de protection existe lorsque la situation de fait ou de droit du recourant peut être influencée par le sort de la cause[ ... ]. Ces exigences tendent à exclure l'action populaire et doivent faire l'objet d'un examen particulièrement attentif lorsque, comme en l'espèce, ce n'est pas le des-tinataire de la décision qui recourt mais un tiers [ ... ). Enfin, l'intérêt à obtenir un jugement doit être, en principe, actuel et immédiat; selon la jurisprudence, on peut renoncer à l'exigence d'un intérêt actuel lorsque la question soulevée pourrait se poser à nouveau en tout temps et dans des circonstances identiques ou analogues"98 .

Concrètement, les personnes et entités suivantes n'ont généralement pas qualité pour recourir en matière de contrôle des concentrations:

• les actionnaires des entreprises participantes

• les associations de concurrents99

97 RPW/DPC 1998/3, p. 504 s., X c. Commission de recours.

98 RPW/DPC 1998/1, p. 118, Le Temps.

99 Sur ces aspects en général, cf. L. GLANZMANN-TARNUTZER, Die Legitimation des Kon-kurrenten zur Verwaltungsgerichtsbeschwerde an das Bundesgericht, thèse St-Gall (Difo-Druck) 1997.

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• des consommateurslOO

• pour la même raison, les abonnés à wijournal dans la mesure où ils n'ont pas un intérêt différent ou supérieur à celui des autres lecteurs101

• les personnes qui invoqueraient un intérêt idéal - comme en l'espèce, la liberté de la presse et le maintien de sa diversité102

On rappellera en outre que le fait d'être destinataire du questionnaire, en-voyé par voie circulaire à différents tiers intéressés, ne donne aucwi droit particulier à ces derniers, même lorsqu'ils sont en outre qualifiés d"'opposants". Enfin, tant la Commission de recours que le Tribunal fédéral ont affirmé que le régime qui vient d'être décrit ne viole aucunement l'art. 6 CEDH103.

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