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Qu’est-ce qu’une proposition ?

C ONVENTIONS SUR LA NOTATION DES EXEMPLES JAPONAIS

4.3 Qu’est-ce qu’une proposition ?

tokens de manière à constituer des syntagmes, dits chunks. Cinq types de chunks

sont définis : adverbiaux, adjectifs, nominaux, prépositionnels et verbaux. Les ter-minaux de notre grammaire seront donc ces cinq catégories de chunks et éven-tuellement les catégories attribuées à des tokens par le tagger, qui n’ont pas été traités par le chunker.

Notre défi est donc de définir une grammaire, non pas très précise avec calcul d’informations diverses qui donnerait différentes possibilités d’analyse pour une seule phrase, mais une grammaire très simple avec des informations disponibles restreintes, mais efficace et opérationnelle.

4.3 Qu’est-ce qu’une proposition ?

Comme nous l’avons précisé dans l’introduction, le choix de la proposition comme unité principale de traitement a nécessité que nous nous mettions tout d’abord à la recherche d’une définition de la proposition. Mais, ce que nous avons découvert en commençant cette recherche est assez problématique : la notion de proposition est employée dans différents domaines, et sa définition peut varier même à l’intérieur d’un même domaine.

Nous allons donc maintenant étudier différentes définitions de la proposition, afin de trouver la plus adaptée à nos travaux.

4.3.1 Sens logique

De l’Antiquité à la fin du XVIIIèmesiècle, la proposition – plus que la phrase ou l’énoncé – était la catégorie principalement utilisée dans les travaux sur le langage (Léon, 2003).

Dans la tradition aristotélicienne, la proposition désignait l’unité permettant dans le langage d’exprimer des jugements – deuxième des trois activités de l’es-prit, la première étant la conception exprimée par des « termes généraux » et la troisième, le raisonnement exprimé par des suites de propositions (Gochet & Gri-bomont, 1990).

Aristote définit le concept de proposition comme suit :

« [...] tout discours n’est pas une proposition, mais seulement le dis-cours dans lequel réside le vrai ou le faux, ce qui n’arrive pas dans tous les cas : ainsi la prière est un discours, mais elle n’est ni vraie ni fausse » (Aristote, De l’Interprétation).

La proposition de cette théorie est constituée de trois éléments : deux « termes généraux » reliés par le verbe copule « est » ou « n’est pas ».

4. ÉTUDE DE LA PROPOSITION EN FRANÇAIS

4.3.2 Du sens logique au sens linguistique

Cette notion logique prend un caractère grammatical à partir du XVIIème siècle3.

Les Messieurs de Port-Royal élaborèrent la proposition comme notion gram-maticale, permettant ainsi le développement de la syntaxe à une époque où les études des grammairiens se concentraient au niveau du syntagme et ne se préoc-cupaient pas de la proposition. « L’étude du sens et des relations logiques prévaut sur celle des formes. À la base de toute construction grammaticale, on trouve la proposition, constituée du sujet, du prédicat et de la copule qui sera la pierre de touche de la syntaxe à partir de Port-Royal », explique Léon (2003).

Cependant, ils n’ont pas réussi à dégager complètement la proposition de son contexte logique, et ce sont des Encyclopédistes, Du Marsais et Beauzée, qui ont réalisé le passage de la notion de proposition de la logique à la grammaire.

Dans l’article « construction » de L’Encyclopédie, Du Marsais distingue propo-sition logique et propopropo-sition grammaticale :

« Quand on considère une proposition grammaticalement, on n’a égard qu’aux rapports réciproques qui sont entre les mots ; au lieu que dans la proposition logique on n’a égard qu’au sens total qui résulte de l’assemblage des mots. »

Il sépare également la proposition du jugement, en la définissant comme un assemblage de mots qui a un sens défini et exprime un jugement, par opposition au jugement, défini comme l’acte même de penser quelque chose à propos d’une chose.

Il analyse chaque proposition logiquement en un sujet et un attribut, mais il distingue également les propositions en principales et incidentes (i.e. relatives et complétives).

Dans l’article « proposition » de L’Encyclopédie publiée en 1765, rédigé par Beauzée, la copule a été supprimée et la proposition est devenue bipartite, accor-dant ainsi beaucoup plus d’importance au verbe.

C’est ainsi que s’est réalisé le passage de la proposition logique à la proposition grammaticale.

4.3.3 Sens psycholinguistique

Les psychologues et les psycholinguistes parlent également de proposition sé-mantique ou simplement de proposition.

Gineste (2003) présente la définition de la proposition sous un sens psycholo-gique, empruntée de Le Ny (1987) :

« La proposition, "est définie, d’un point de vue logique, comme la plus petite unité de discours à laquelle puisse s’appliquer une valeur

3Ces études s’appuient essentiellement sur les travaux de Léon (2003) présentant un panorama historique des trois notions phrase, proposition et énoncé.

4.3. Qu’est-ce qu’une proposition ?

de vérité, vrai ou faux. D’un point de vue psychologique, cette défini-tion se transforme en : la plus petite sémantique intégrée susceptible d’être traitée et mémorisée." »

Selon cette théorie, les connaissances, que ce soient celles du monde ou celles linguistiques – lexicales ou syntaxiques –, sont représentées mentalement sous le format de base qu’est la proposition, constituée d’un prédicat et d’un argument. À la réception d’une phrase, par exemple « un rossignol chante »4, le lecteur ou audi-teur compose une unité sémantique représentée également par une proposition, en l’occurrenceCHANTE(rossignol).

La proposition est donc en ce sens « l’unité de base de la structuration des connaissances dans la mémoire et de leur élaboration » sans laquelle « un système de représentations sémantiques ne pourrait pas s’ériger » (Gineste, ibid.).

4.3.4 Proposition dans la linguistique contemporaine

La proposition entrée dans les notions grammaticales comme nous venons de le voir précédemment, reste cependant toujours une question élémentaire pour les linguistes qui, d’après Tesnière (1988), essayent avec cette notion « de faire de la lumière sur la notion de phrase ». Ce qui a entraîné diverses définitions dans le milieu de la linguistique actuel. Tesnière (ibid.) qualifie cette tentative de « mal-heureuse » en citant O. Bloch : « les auteurs ne sont même pas d’accord sur ce qu’il faut entendre par le terme de proposition. »

Sens syntaxique, sémantique et tendance au refus de la notion

Selon l’article « proposition » du dictionnaire de linguistique compilé par Du-bois et al. (1994), il existe deux types de sens : sémantique et syntaxique.

Selon la définition sémantique, « il y a proposition toutes les fois qu’il y a énon-ciation d’un jugement », mais cette définition constitue une sorte de retour vers le sens original logique.

Dans le sens syntaxique, c’est « une unité syntaxique élémentaire constituée d’un sujet et d’un prédicat ». Mais à l’intérieur même des définitions syntaxiques, il est possible de distinguer deux sortes de définitions : l’une reconnaissant les pro-positions aussi bien à un mode personnel qu’impersonnel (cf. propro-positions infini-tives et participiales) telle que celle de Bescherelle (Hatier, 1990) ; l’autre n’admet-tant celles à un mode impersonnel que sous certaines conditions plus ou moins strictes (Riegel et al., 1994 ; Wagner & Pinchon, 1991 ; Grevisse, 1993 ; Le Goffic, 1993a).

Par ailleurs, comme Tesnière (1988) qui rejette le recours à la notion de pro-position en préférant utiliser l’unité qu’il appelle nœud, unité syntaxique inter-médiaire inférieure à la phrase et supérieure au mot, certains linguistes syntac-ticiens (Blanche-Benveniste et al., 1990 ; Gardes-Tamine, 2003) rejettent cette

4. ÉTUDE DE LA PROPOSITION EN FRANÇAIS

tion même de proposition trop empreinte de son origine logique et proposent une solution alternative.

4.3.5 Notre choix pour l’alignement automatique

Conditions sur le choix d’une définition

Le but de la réalisation de notre système d’alignement est la constitution au-tomatique de bases de données regroupant des textes parallèles écrits dans deux langues différentes. Dans ces bases de données figure l’indication de la corres-pondance des éléments de chacun des deux textes, permettant ainsi l’utilisation de ces éléments correspondants alignés comme des exemples de traduction ou des données d’analyse linguistique comparative.

Dans ce cadre, deux conditions s’imposent dans le choix de l’unité à aligner – ou le choix de sa définition. Premièrement, les unités à aligner doivent être dé-tectables de manière automatique, c’est-à-dire qu’elles doivent posséder une in-dication physique (ou graphique) de leur délimitation. Deuxièmement, il doit y avoir une équivalence entre ces unités dans les deux langues à traiter, sachant que plus cette équivalence est grande, meilleurs sont les résultats. Nous allons donc maintenant passer en revue chacune des définitions que nous venons de voir, en considérant ces deux critères afin de choisir la meilleure solution pour notre opé-ration d’alignement et ses applications.

Examens pour chaque type de définition

Pour utiliser une des définitions logique, psychologique ou sémantique, dans le cadre du traitement automatique, nous sommes à nouveau confrontés à la dé-finition formelle des autres unités. Qu’est-ce qu’un jugement ? Sous quelle forme, s’il en existe une, est-il réalisé sur le texte effectivement produit ? À quoi corres-pond sur le plan formel l’unité que Le Ny appelle « la plus petite sémantique inté-grée susceptible d’être traitée et mémorisée » ? Existe-il des moyens graphiques ou des catégories de mots permettant de repérer ces unités ? Il serait sans doute idéal, s’il était possible de simuler le fonctionnement de notre cerveau, d’utiliser les uni-tés correspondant à celles utilisées lors du traitement mental, mais il se trouve que les avancées des recherches dans ce domaine ne nous le permettent pas encore.

Pour cette définition de Le Ny, nous pouvons faire un rapprochement avec le nœud de Tesnière, et peut-être aussi l’unité de syntaxe de Blanche-Benveniste. Quand on considère l’analyse prédicative réalisée par Le Ny (1979), on constate une certaine correspondance entre les propositions présentées par Le Ny et les nœuds de différents niveaux dans l’arbre de dépendance de Tesnière. Cette no-tion est sans doute intéressante à étudier de façon plus poussée, mais pour l’ali-gnement, nous préférons une unité plus large. En effet, comme le signale Halliday (1962), « plus on s’approche de la phrase, plus la probabilité d’équivalence devient grande ».