• Aucun résultat trouvé

QU’EST-CE QU’UN PRINCIPE EN DROIT ?

12. Il convient de s’attacher d’abord à souligner les grandes incertitudes qui marquent les réponses à la question de savoir ce qu’est un principe en droit (1), pour ensuite prendre position sur le ou les sens retenus dans cette thèse (2).

1. Les incertitudes

13. Le mot de « principe » est constamment utilisé en droit. Il est même pos-sible d’admettre que l’usage immodéré de la notion conduit à son dévoiement, comme l’explique Patrick Morvan dans l’introduction de sa thèse sur Le principe en droit privé : « le succès de ce vocable trouve aujourd’hui sa rançon dans son extrême banalisation, une utilisation détachée de toute signification précise qui en ruine la valeur »13. Bien que les études soient nombreuses sur les principes14, le principe au singulier et considéré de manière générale est assez rarement étudié désormais15. Cependant, il a fait l’objet de nombreuses réflexions dans au sein des doctrines de droit naturel classique.

14. Aujourd’hui, la doctrine juridique s’intéresse plutôt à les catégoriser.

Dans cet esprit, de multiples études se penchent sur certaines sortes de principes, spécialement sur les principes généraux du droit, qu’ils soient administratifs16,

13. P. Morvan, Le principe de droit privé, Panthéon-Assas, Coll. Droit privé, 1999, p. 2. Dans le même sens il cite, p. 1 : E. Bonnet de Condillac, La logique ou les premiers développements de l’art de penser, An III (1794-1895), Seconde partie, Chap.  VI, p.  161  : « principe est synonyme de commencement ; et c’est dans cette signification qu’on l’a d’abord employé ; mais ensuite à force d’en faire usage, on s’en est servi par habitude, machinalement, sans y attacher d’idées, et l’on a eu des principes qui ne sont le commencement de rien ».

14. Il n’est pas possible de citer ici toutes les études sur les principes particuliers mais deux ouvrages collectifs doivent être mentionnés : J-M. Pontier (dir.), Les principes et le droit, PUAM, 2007, 448 pages, et S. Caudal, Les principes du droit, Economica, Coll. Études juridiques, 2008, 384 pages.

Cependant, toutes les contributions donnent, souvent indirectement, des indications sur le principe au singulier et en général.

15. Néanmoins des ouvrages existent sur la question du principe (au singulier), notamment la thèse de P. Morvan, Le principe de droit privé, Panthéon-Assas, Coll. Droit privé, 1999  ; Xavier Souvignet propose aussi une réflexion sur le principe dans sa thèse : X. Souvignet, La prééminence du droit dans le droit de la Convention européenne des droits de l’homme, Bruylant, Coll. Convention européenne des droits de l’Homme, 2012. L’article de J-M. Pontier, « Considérations générales sur les principes en droit », in J.M. Pontier (dir.), Les principes en droit…op.cité, pp.  9-20. L’auteur montre l’omniprésence de principes en droit notamment, et la multiplicité de sens de la notion. Cet article donne finalement à voir toute la difficulté à saisir une essence du principe, ou du moins à le saisir de manière générale.

16. Pour quelques études : G. Jèze, Les principes généraux du droit administratif, Berger-Levrault, 1904 ; B. Jeanneau, Les principes généraux du droit dans la jurisprudence administrative, Sirey, 1954, R. Chapus, «  De la valeur juridique des principes généraux du droit et des autres règles jurisprudentielles du droit administratif », Chronique Dalloz, 1966, p.119  ; M. Deguergue, « Principes généraux du droit » in J. Andriantsimbazovina et alii (dir.), Dictionnaire des droits de l’homme, PUF, Coll. Quadrige dicos poche, 2008, p. 798.

INTRODUCTION 5 européens17, internationaux18, sur les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République19, les principes particulièrement nécessaires à notre temps20. Parallèlement à l’étude des catégories, les auteurs s’intéressent à des principes plus précis ou plus spécifiques : principe des droits de la défense, principe de sécurité juridique, principe de précaution, pour en étudier le sens, le régime et les consé-quences juridiques.

15. De cette constatation découlent deux questionnements. Tout d’abord, l’insistance et l’intérêt portés aux catégories des principes laissent penser que ces derniers n’existent juridiquement que par une reconnaissance positive, soit en étant posés par un texte, soit reconnus par le juge. Pourtant, le principe de sécurité juridique était déjà présent, et marquait bien tout l’ordre juridique avant même qu’il ne soit posé par le juge. Cette priorité donnée aux catégories juridiques détourne de l’étude de principes qui ne seraient pas posés dans le droit positif, mais qui pourtant caractérisent le droit et exercent une influence sur ses règles positives. De plus, les catégorisations sont un frein à une théorisation unitaire du principe. N’y a-t-il pas dans toutes ces catégories une essence du principe en droit, une unité qui caractériserait les principes ? Ainsi, au lieu de s’intéresser au prin-cipe dans chaque matière du droit (droit administratif, droit constitutionnel, droit européen, etc.), ne serait-il pas concevable de reconnaître des principes communs au Droit, en réfléchissant à ce qui fait l’unité et l’essence d’un principe ? Cela permettrait de simplifier le droit tout en l’éclairant, et de lui conférer une meil-leure cohérence.

16. Au-delà de ces catégories, l’existence de ces principes est de plus admise sans trop de discussions sur ce qu’est un principe, dans son essence. Les juristes pensent bien à étudier le contenu du principe, ce qu’il pose, ce qui peut être appelé

« le principié » et qui peut être identifié à propos de tout principe, d’une façon générale. Cependant les juristes ne s’interrogent guère sur ce qui peut être appelé le « principiant » du principe lui-même ou du principié : ce qui fait qu’il est prin-cipe et qu’il a produit un tel contenu. Ainsi est rarement posée la question de savoir comment naît un principe, ou celle de savoir s’il y a quelque chose avant lui qui explique la naissance du principe et sa force obligatoire. Et s’il n’y a rien avant lui comme semble l’impliquer le mot même de « principe » qui renvoie au mot

« premier », comment cela se peut-il que, dans un régime de droit écrit, il puisse y avoir des principes en droit qui seraient non écrits ? Ne sont-ils que des principes

17. Pour quelques exemples : O. Dubos, « Introduction sur les principes généraux du droit et les droits fondamentaux », Lamy, Procédures communautaires, fasc. 155. ; L. Dubouis, « Les principes généraux du droit, un instrument périmé de protection des droits fondamentaux ?  » in Mélanges Benoît Jeanneau, Dalloz, Coll. Études, mélanges, travaux, 2002, p.  78  ; H. Ruiz-Fabri, « Principes généraux du droit communautaire et droit comparé », Droits, n° 45, 2007, p. 127.

18. A. Pellet, Recherche sur les principes généraux de droit en droit international, Thèse, Paris II, 1974.

19. V. Champeil-Desplats, Les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République – Principes constitutionnels et justification dans les discours juridiques, PUAM, Coll. Droit public positif, 2001  ; L. Favoreu, « Les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République », in B. Mathieu, M. Verpeaux. (dir.), La République en droit français, Actes du Colloque de Dijon des 10 et 11 déc. 1992, Economica, 1996, p. 231. J. Rivero, « Les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République : une nouvelle catégorie constitutionnelle ? », Recueil Dalloz, 1972, p. 265.

20. M. Debène, « Le Conseil constitutionnel et « les principes particulièrement nécessaires à notre temps », AJDA, 1978, p. 531. ; J-F. Flauss, « Les droits sociaux dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », Droit social, 1982, p. 645 ; R. Pelloux, « Le préambule de la Constitution de 1946 », RDP, 1947, p. 346.

LE PRINCIPE DE LIBERTÉ EN DROIT PUBLIC FRANÇAIS

6

seconds ou secondaires, qui n’existeraient que par l’effet d’un texte ou jouissent-ils d’une force normative telle qu’jouissent-ils puissent s’imposer aux textes eux-mêmes, quand ils n’en seraient pas à l’origine même ? Quelle pourrait donc en être la nature ou la portée normative ?

17. La théorisation des principes aujourd’hui n’assure pas une compréhen-sion de la signification du principe au singulier, ni de l’origine ou de l’émergence des divers principes. Le phénomène de leur apparition reste confus, au point qu’il est possible de se demander si tout ne peut pas être principe. De plus, il est pos-sible de s’interroger sur l’existence d’une forme de hiérarchie des principes. Cer-tains principes ne seraient-ils pas au principe des principes, et donc les véritables principes fondamentaux de l’ordre juridique ?

18. Dès lors, une réflexion sur le principe en général est nécessaire à une meilleure compréhension du droit en général. En se consacrant au principe de liberté en droit public français, cette thèse s’efforce de jeter un peu de lumière sur les principes sans se limiter à leur seule existence en droit positif, tout en accor-dant la plus grande importance à ce dernier. Cette démarche devrait permettre de saisir les raisons pour lesquelles des principes initialement inexistants ont été ou seront peu à peu reconnus en droit positif. Or ces raisons paraissent extraordi-naires, dans la mesure où elles s’imposent au droit positif lui-même, indépendam-ment de toute manifestation de volonté de la part du souverain, alors même que ce droit positif est censé ne découler que de sa seule volonté. Existe-t-il donc une normativité trans-positive, qui pourrait être en quelque sorte ontologique ?

19. Il convient maintenant de préciser le ou les sens retenus de ce qu’est un principe en droit, en considérant le droit positif et tout autant ce qui paraît le déterminer.

2. Les propositions

20. Pour mieux saisir ce qui peut constituer l’être des principes et toute la por-tée qui s’y attache, il importe tout d’abord ne pas s’enfermer dans une conception purement normativiste, et de saisir les différentes origines possibles des principes.

21. Xavier Souvignet a proposé qu’un principe en général puisse avoir trois sources distinctes21. Il identifie d’abord les principes écrits, c’est-à-dire des principes posés. Puis, il relève l’existence de principes « non-écrits à manifestation textuelle », comme certains principes généraux du droit dégagés par le juge administratif, et tous les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Enfin, il recense des principes « non-écrits mis à l’écrit », c’est-à-dire des principes qui seront formalisés principalement par la codification (par exemple, comme cela peut être le cas pour la codification de la coutume du droit international).

22. À la multitude des origines s’ajoutent des modalités d’être différentes.

Ainsi, certains principes découlent des textes, et constituent des synthèses de ceux-ci : ils sont déduits d’un texte pour mieux les ordonner et assurer une cohé-rence. D’autres principes inspirent ou sont à l’origine des textes, dans ce cas, les textes sont déduits du principe.

Il y a donc bien une diversité d’origines, de modalités d’être et de sens.

21. X. Souvignet, La prééminence du droit dans le droit de la Convention européenne des droits de l’homme, Bruylant, Coll. Droit de la convention européenne des droits de l’homme, 2012, pp. 57-71.

INTRODUCTION 7 23. Dans cette thèse, le mot « principe » sera utilisé dans ses différents sens, en spécifiant tout de même dans chaque développement le sens de référence. La réflexion ne prend pas son point de départ dans une définition stipulative, mais l’usage sera le guide, dans un premier temps au moins, pour proposer ultérieure-ment une définition spécifique et plus formelle.

24. Néanmoins, les différentes natures et fonctions du principe, qui seront des références tout au long de cette thèse, doivent être ici présentées. Trois natures dif-férentes du principe sont répertoriées, chacune des natures n’étant pas hermétique aux autres, tout au contraire : il y a souvent une articulation entre ces différentes natures, dont le fondement a été trouvé dans les définitions proposées. Le principe peut d’abord avoir la nature de fondement, il est alors la base de toute la construc-tion, de tout l’ordre juridique, et de l’idée même de droit.  Le principe peut en deuxième lieu avoir la nature de règle, dans le sens du principe qui s’oppose à l’ex-ception ; le principe est alors ce qui prévaut, ce qui doit s’appliquer avant tout, sauf indication contraire. Enfin, le principe peut avoir la nature de valeur ou d’axiome, il irrigue alors tout le système juridique, et constitue une référence.

25. À ces natures s’attachent différentes fonctions du principe. Le principe, surtout dans sa nature de principe-fondement, peut avoir une fonction de démons-tration, et de déduction : il est alors inspirateur et créateur. Mais le principe, dans sa nature de principe-règle et principe-valeur, peut aussi avoir une fonction de guide, et constituer une ligne directrice assurant la cohérence et l’harmonisation d’un système. Ce sont ces natures et fonctions dont cette étude cherche à démon-trer l’existence et le rôle tout en en présentant l’entière portée.

26. L’objet de cette entreprise conduit maintenant à prendre en considération le second terme du sujet, la liberté. Les définitions de la liberté soulèvent autant de questions que celles du principe, et les laissent souvent sans les réponses escomptées.

Il convient d’ores et déjà de les proposer, à titre hypothétique et prospectif.

§ 2. N

ÉCESSITÉ DE PENSER LA LIBERTÉ

27. Penser la liberté exige d’abord d’en considérer les diverses conceptions et définitions déjà posées en général, sans égard particulier au droit. Cependant, cette première démarche, tout en étant indispensable, ne permet pas de s’arrêter sur quelque certitude, tant ces conceptions et définitions s’avèrent disparates, hétéroclites ou contradictoires (A). Face à cette situation, il faudra ensuite ne considérer que les conceptions ou définitions juridiques de la liberté, qui réduisent l’incertitude, mais ne la lèvent pas totalement, loin de là (B).

A. LES CONCEPTIONS ET DÉFINITIONS GÉNÉRALES

Documents relatifs