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II. Überwindung : le dépassement de la métaphysique et la constitution ontothéologique

1. Qu'est-ce que la métaphysique ?

§ 8. Métontologie

Après l'exposition de la facticité dans la partie précédente, nous pouvons nous poser finalement, avec Heidegger, la question directrice de ce travail : qu'est-ce que la métaphysique ? La question sera abordée de front à partir de trois points de vue pour marquer le changement de la position heideggérienne guidée par la Seinsfrage et la question de la facticité. Nous avons vu comment cette dernière, sous la forme de la vie facticielle de l'homme, exige un rapport critique à l'histoire de l'ontologie. Une destruction de l'ontologie est nécessaire pour qu'une ontologie originaire ou fondamentale soit possible. Dans les années 1920, Heidegger ne renonce pas à l'ontologie comme science ; en témoigne avec clarté le cours qui suit directement la publication d'Être et temps : « La science transcendantale de l’être n'a rien à voir avec la métaphysique vulgaire qui traite d'un étant quelconque qui se tiendrait derrière l'étant connu ; bien plutôt, le concept scientifique de métaphysique est identique au concept de philosophie en général : science transcendantale critique de l'être, c'est-à-dire ontologie. »2 L'idée de science fondamentale comme métaphysique semble gardée, ainsi que la méthode phénoménologique qui est le titre de la philosophie scientifique en tant que telle.3

Ainsi, la recherche contemporaine distingue ce qui pourrait être appelé « une période métaphysique » de Heidegger où il parle de la « métaphysique du Dasein ». Cette période est

1

GA 9, p. 121-122 ; « Qu'est-ce que la métaphysique ? », trad. R. Munier, in M. Haar (éd.) Cahier de l'Herne :

Heidegger, n° 45, Paris, Éditions de l'Herne, 1983, p. 56, traduction changée.

2 GA 24, p. 23 ; M. Heidegger, Les problèmes fondamentaux de la phénoménologie, trad. J.-F. Courtine.

3 Cf. GA 24, p. 3: « ..."Phänomenologie" ist der Titel für die Methode der wissenschaftlichen Philosophie

überhaupt. »

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située directement après la publication d'Être et temps, surtout à partir du cours d'été 1928 (GA 26) et jusqu'au cours du semestre d'été 1930 (GA 31). Elle donne naissance au deuxième livre publié par Heidegger : Kant et le problème de la métaphysique. Cette est profondément marquée par le redécouverte de Kant qui devient le deuxième héros principal à côté d'Aristote dans la pensée heideggérienne.1 C'est aussi dans la lignée kantienne que Heidegger espère, et seulement pendant deux années de son long chemin de pensée, pouvoir refonder la métaphysique sur la base d’une critique de cette dernière. Cette tentative est exposée dans le Kantbuch et marque sa première réappropriation de la philosophie kantienne.2

À travers sa critique de la raison, Kant ne chercherait pas à sevrer la métaphysique de son sol pour couper toute tentative future de refondation, mais aurait bien au contraire pour projet de trouver un nouveau fondement pour la métaphysique scientifique dans la finitude de la raison même. La métaphysique est bien réelle, elle est donnée, comme l'affirme Kant : « Cette espèce de connaissance peut en un certain sens être regardée comme donnée, et la métaphysique est réelle, sans doute pas comme science, mais bien comme disposition naturelle (metaphysica naturalis). »3

Cette disposition naturelle (Naturanlage) caractérise nécessairement l'homme en tant qu'être doué de la raison. Le questionnement métaphysique qui surgît de cette disposition naturelle est appelé métaphysique naturelle. Elle est à discerner de la métaphysique d'école, à la fois de la metaphysica generalis et de la metaphysica specialis. Elle en est en fait la source, dans la mesure où la critique de la raison est nécessairement en droit de revendiquer la totalité de l'expérience, c'est-à-dire le tout de l'enchaînement conditionnel de la synthèse des phénomènes (Erscheinungen) dans la totalité inconditionnée (die unbedingte Totalität). Au sein de la dialectique transcendantale naissent les idées transcendantales qui sous la catégorie générale de concepts du monde (Weltbegriffe) prennent le nom de dieu, monde, esprit.4 Le couronnement de cette métaphysique spéculative serait, aux yeux de Heidegger, l'idéal transcendantal, c'est-à-dire la totalité absolue de la synthèse

1 Cf. Frank Schalow, « The Kantian Schema of Heidegger's Late Marburg Period », in T. Kisiel, J. van Buren (éd.), Reading Heidegger from the Start. Essays in His Earliest Thought, New York, SUNY, 1994, p. 309-323. Cf. aussi Pierre Aubenque, « The 1929 debate between Cassirer and Heidegger », in C. Macann (éd.), Martin

Heidegger. Critical Assessments, t. 2, London, Routledge, 1992, p. 208-221.

2 Cf. GA 25, p. 57-68. Cf. aussi László Tengelyi, « L'idée de métontologle et la vision du monde selon Heidegger », Heidegger Studies, t. 27, 2011, p. 137.

3 Immanuel Kant, Critique de la raison pure, B 21. Cf. aussi dans les Prolégomènes : « Si on peut dire qu'une science est réelle à tout le moins dans l'idée de tous les hommes, dès qu'il est établi que les problèmes qui y acheminent sont posés à chacun par la nature de la raison humaine et du même coup ne cessent inévitablement de donner lieu à des essais de solution nombreux encore que défectueux, il faudra qu'on dise aussi que la métaphysique est réelle de façon subjective (et à vrai dire nécessaire) et dès lors c’est donc à bon droit que nous demandons comment elle est (objectivement) possible ? » § 40, 327, note.

4 Cf. I. Kant, Critique de la raison pure, A 407 / B 434. Cf. aussi Markus Gabriel, Sinn und Existenz, Berlin, Suhrkamp, 2016, p. 30.

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des conditions de toutes les choses possibles.1 Heidegger renoue son projet de la « métaphysique du Dasein »2 avec la compréhension kantienne de la métaphysique naturelle, dont les objets sont les susdits concepts du monde, fondés dans la nature humaine. La nature humaine comme concept n'apparaît pas chez Heidegger, mais la question anthropologique : « Qui ou qu'est-ce qui est l'homme ? » guide d'une certaine façon la pensée heideggérienne tout au long des années 1920.3 En réorientant son propre projet de l'ontologie fondamentale, il

n'hésite pas à déclarer dans la première page du Kantbuch : « Nous appelons ontologie

fondamentale, l'analytique de l'essence finie de l'homme en tant qu'elle prépare le fondement d'une métaphysique "conforme à la nature de l'homme". L'ontologie fondamentale n'est autre

que la métaphysique du Dasein humain, telle qu'elle est nécessaire pour rendre la

métaphysique possible. »4

De la vie facticielle de l'homme par l'ontologie fondamentale et jusqu'à la métaphysique du Dasein, le principe méthodique de Heidegger reste pareil : pour éclairer les questions philosophiques fondamentales, il nous faut au préalable se demander ce qui nous permet de les poser.5 Ainsi se manifeste dans toute sa pureté la problématique transcendantale − l'objet de l'autocritique après ce que l'on appelle le tournant (Kehre) − qui a marqué la pensée de Heidegger le long des années 1920 en culminant précisément vers la fin de la même décade avec le concept clé de transcendance. Comme nous l'avons mentionné auparavant, la transcendance se laisse lire comme encore une autre indication formelle de la facticité avec laquelle Heidegger a expérimenté.6 Nous voulons ici explorer cette intuition conforme à la lecture de Theodore Kisiel qui voit dans le concept de facticité un vrai moteur de toute la philosophie heideggérienne.7 La transcendance du Dasein vers le monde dessine le cadre de ce qui a été élaboré dans cette courte période comme la métontologie. Le nom apparaît pour la première fois dans le dernier cours magistral professé à Marbourg en 1928 : Metaphysische Anfangsgründe der Logik im Ausgang von Leibniz (GA 26). Le projet de métontologie reste d'une certaine façon inachevé et constitue la seule tentative de Heidegger de renouer positivement sa pensée avec la métaphysique. Très tôt, dés le début des années 1930, la

1 Cf. GA 9, p. 152 ; Q I-II, p. 125. 2

Le terme apparaît dans GA 3 et GA 26, GA 27, GA 28. Cf. François Jaran, « La pensée métaphysique de Heidegger. La transcendance du Dasein comme source d'une metaphysica naturalis », Les Études

philosophiques, n° 76, 2006, p. 53.

3 Cf. GA 28, p. 9-47. 4

GA 3, p. 1 ; KPM, p. 57.

5 Cf. F. Jaran, « La pensée métaphysique de Heidegger », op. cit., p. 49.

6 Cf. T. Kisiel, « L'indication formelle de la facticité : sa genèse et sa transformation », op. cit., p. 213.

7 Cf. T. Kisiel, « On the Genesis of Heidegger's Formally Indicative Hermeneutics of Facticity », op. cit., p. 60- 61.

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métaphysique avec sa constitution ontothéologique deviendra l'objet de la critique sévère qui

sera pensée comme dépassement de la métaphysique. L'idée de dépassement (Überwindung)

ou, plus tard, d'appropriation (Verwindung) sera examinée de près dans les prochains

chapitres pour mettre au jour une nouvelle idée de facticité qui sous-tend le concept de dépassement. Mais auparavant, il nous faut aborder la métontologie. En effet, cette dernière prépare déjà le terrain pour la question portant sur l'essence de la métaphysique, qui sera visée dans l'horizon de la facticité.

La métontologie, telle qu'elle est exposée dans le cours de Heidegger, semble être un complément à l'ontologie fondamentale. De la sorte, elles constitueraient ensemble la métaphysique du Dasein qui recèle une affinité structurelle avec la métaphysique aristotélicienne.

« Dans la mesure où il n'y a être que si déjà de l'étant est dans l'ouverture du là (im Da), l'ontologie fondamentale implique de manière latente une tendance à une métamorphose (Verwandlung) métaphysique originaire, qui ne devient possible que quand l'être est compris dans son entière problématicité. La nécessité intrinsèque pour l'ontologie de retourner là d'où elle est partie se laisse éclairer à partir du phénomène originaire (Urphänomen) de l'existence humaine, à savoir que 1'étant "homme" comprend 1'être ; cette compréhension implique en effet l'accomplissement de la différence entre être et étant ; être il n'y a que si l'être-là comprend l'être. En d'autres termes : la possibilité pour qu'il y ait être dans le comprendre présuppose l'existence facticielle de l'être-là, et celle-ci présuppose à son tour l'être-subsistant facticiel de la nature. Dans l'horizon de la question de l'être posée de manière radicale, il apparaît précisément que tout cela n'est visible et ne peut être compris comme être que si une possible totalité de l'étant est déjà là. − D'où résulte la nécessité d'une problématique spécifique qui prend désormais pour thème l'étant dans son ensemble (im Ganzen). Cette nouvelle problématisation réside dans l'essence de l'ontologie elle-même et provient de son virage, de sa μεταβολή. C'est cette problématique que je caractérise comme métontologie. »1

Cette dense citation nous rend témoin d'un certain virage (Umschlag) dans la

philosophie heideggérienne. Ainsi le « méta » de la métontologie est associé à la μεταβολή, c'est-à-dire au virage, au changement ou au tournant, plutôt qu'à l'opérateur « méta » de la métaphysique. Par conséquent la métontologie de Heidegger ne devrait pas être confondue avec ce qu'on appelle dans la philosophie analytique la métaontologie. Cette dernière est une

1 GA 26, p. 199 ; Nous reprenons la traduction de Jean-François Courtine présente dans Inventio analogiae.

Métaphysique et ontothéologie, Paris, Vrin, 2005, p. 53.

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réflexion du second ordre sur l'ontologie et l'engagement ontologique des théories, propagée par exemple par W. V. O. Quine et P. van Inwagen. Heidegger ne cherche certainement pas à développer une métathéorie de l'ontologie, même si sa réflexion sur la condition de possibilité de l’ontologie le place au méta-niveau du questionnement transcendantal. Heidegger se rend compte que dans le projet même de l'ontologie fondamentale est impliqué une « tendance à une métamorphose métaphysique originaire », dans la mesure où celle-ci ne se laisse pas fonder par elle-même et doit revenir d'où elle est partie : à une sphère ontique de l'étant qui comprend l'être.1 Pour qu'il y ait être compris par l'homme, c'est-à-dire de l'ontologie, l'être-là de l'homme doit être déjà là. Et celui-ci « présuppose à son tour l'être-subsistant facticiel de la nature (das faktische Vorhandensein der Natur) ». Que la facticité de l'existence humaine est un point de départ pour la compréhension ontologique, ce n'est pas nouveau, toute l'analytique de l'existence le présuppose. Mais que cette facticité présuppose à son tour l'être subsistant de la nature, c'est une grande nouveauté qui enrichit la philosophie heideggérienne d'un nouvel élément et rend possible en effet une ouverture métaphysique.

D'emblée se pose le problème du sens de l'être-subsistant facticiel présenté dans ce fragment. Parler dans le vocabulaire heideggérien de l'être-subsistant (Vorhandensein) ou de l'être-sous-la-main (Vorhandenheit) facticiel ne revient-il pas à parler d'un carré rond ? La facticité est strictement distinguée de la factualité (Tatsächlichkeit) des faits « objectifs » et ne s'applique qu'à l'existence humaine. Et pourtant le Dasein, en tant qu'il est au monde, « comprend son être le plus propre au sens d'un certain "être-sous-la-main factuel". »2 Il semble que le terme « l'être-subsistant facticiel de la nature » ne peut pas référer à la nature comprise comme univers, c'est-à-dire entendue d'une façon sommative comme ensemble de toutes les choses. Heidegger récuse à maintes reprises cette idée de la nature. La nature dans l'horizon de la facticité ne signifie pas autre chose que ce moment de la structure du Dasein qui s'appelle le monde : « Le concept de facticité inclut ceci : l'être-au-monde d'un étant "intramondain", mais d'un étant capable de se comprendre comme lié en son "destin" à l'être de l'étant qui lui fait encontre à l'intérieur de son propre monde. »3 La facticité du monde n'est possible qu'au sein de la structure unitaire de l'être-au-monde qui définit l'existence et plus tard la transcendance. L'existence humaine (Dasein) et l'être-là (Da-sein) de son monde font un dans leur ouverture (Da) : « L’expression "Là" désigne cette ouverture essentielle. Par

1 GA 24, p. 26. 2

Cf. GA 2, p. 75 ; ET, p. 64 : « Le Dasein comprend son être le plus propre au sens d'un certain "être-sous-la- main factuel". Et pourtant la "factualité" du fait du Dasein propre est ontologiquement sans commune mesure avec la survenance factuelle d'une espèce minérale. La factualité propre au fait du Dasein, ce mode en lequel tout Dasein est à chaque fois, nous l'appelons sa facticité. »

3

GA 2, p. 75 ; ET, p. 64.

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celle-ci, cet étant (le Dasein) est "là" pour lui-même tout uniment avec l’être-là du monde. »1 Ce monde acquiert de toute évidence un privilège par rapport à l'existence facticielle du Dasein, ce qui constitue une nouveauté par rapport à l'ontologie fondamentale. Le monde en tant que possible totalité de l'étant (eine mögliche Totalität vom Seiendem) ou l'étant dans son ensemble (das Seiende im Ganzen) fait objet de la nouvelle discipline nommée métontologie qui est déjà incluse dans la question de l'être. « Das Sein als Sein des Seienden denken und das Seinsproblem radikal und universal fassen besagt zugleich, das Seiende im Lichte der Ontologie in seiner Totalität zum Thema zu machen. »2 Elle n'est pourtant pas si nouvelle, puisque la problématique de cette discipline « réside dans l'essence de l'ontologie elle-même et provient de son virage, de sa μεταβολή ». Quand nous parlons en termes de disciplines, nous ne pensons bien évidemment pas à une taxinomie fixe des sciences. Ces deux volets de la problématique radicale de l'ontologie « sont un, comme c'est le cas de la différence ontologique ou du phénomène de l'existence humaine »3.

Ainsi la problématique métaphysique, aux yeux de Heidegger, se laisse-t-elle aborder de deux points de vue, celui de l'ontologie fondamentale et celui de la métontologie. Les deux

sont dans un « rapport de conditionnement réciproque »4, c'est-à-dire se nécessitent

mutuellement de la manière que la métontologie est une condition de possibilité de l'ontologie fondamentale et en même temps, elle a pour point de départ l'ontologie fondamentale dans son « virage ». L'analytique temporelle d'Être et temps « ist aber zugleich die Kehre, in der die Ontologie selbst in die metaphysische Ontik, in der sie unausdrücklich immer steht, ausdrücklich zurückläuft. »5 La métontologie serait alors une « ontique métaphysique » qui fonde l'ontologie fondamentale dans l'être facticiel de l'étant dans son ensemble, mais elle ne se laisse aborder qu'à travers la problématique ontologique, c'est-à-dire par le biais de la question du sens de l'être qui revient nécessairement au Dasein. Elle est bien une ontique, puisqu'elle a pour objet un étant, le monde dans son ensemble. Bien que celui-ci soit un moment de la structure de l'être-au-monde, on lui donne un privilège dans l'ordre de la facticité : c'est lui qui fonde, est avant (πρότερον), constitue donc un apriori. Si l'ontologie − « l'être dans le comprendre » − ne peut se fonder par elle-même et présuppose une ontique, d'abord dans l'être facticiel du Dasein et ensuite dans l'être facticiel du monde, alors cette ontique est autant une métontologie qu'une « hypontologie ». Pour le dire encore autrement, le

1 GA 2, p. 176-177 : « Der Ausdruck "Da" meint diese wesenhafte Erschlossenheit. Durch sie ist dieses Seiende (das Dasein) in eins mit dem Da-sein von Welt für es selbst "da". » ET, p. 119.

2 GA 26, p. 200.

3 Cf. Ibidem. Traduction de J.-F. Courtine.

4 L. Tengelyi, « L'idée de métontologle et la vision du monde selon Heidegger », op. cit., p. 140. 5

GA 26, p. 201.

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μετά de la condition transcendantale est un μετά dans l'ordre du savoir (du comprendre), mais un ὑπό dans l'ordre de la facticité. Nous allons encore revenir à cette interprétation du πρότερον.

La question suivante se pose : ce « tournant » n'est-il pas lié à celui dont Heidegger parlera plus tard dans « Lettre sur l'"humanisme" » en le situant dans la conférence « De l'essence de la vérité » en 1930.1 Selon L. Tengelyi « il s'agit bien d'un seul et même tournant », avec différentes conséquences tirées en 1928 et en 1930. En 1928 le tournant donne une ouverture métaphysique par le concept de transcendance et celui de monde. Celui de 1930 vu rétrospectivement, quant à lui, comprend le tournant comme éloignement du langage de la métaphysique. Nous allons y revenir dans la partie suivante. Il nous suffit ici d'affirmer que le tournant de 1928, le virage de l'ontologique vers l'ontique, est bien un changement dans la structure de l'être-au-monde. Autant l'ontologie fondamentale privilégie l'analytique du Dasein et l'analytique de la temporalité de l'être2, ainsi l'être de cet étant qui comprend toujours l'être à partir de son monde ; autant la métontologie met l'accent sur le monde même dont la facticité est présupposée par la facticité de l'existence humaine. En même temps, les deux moments font partie d'une structure, celle de l'être-au-monde qui définit le Dasein. Il serait alors inapproprié d'affirmer que ce décalage d'accent serait signe d'un retour vers le réalisme au sens classique, où la subsistance « réelle » de la nature revendique ses droits d'être logiquement et temporellement « avant » l'homme. Cependant, si Être et temps se laisse facilement interpréter du point de vue de l'idéalisme − l'idéalisme y a en effet un privilège méthodologique explicite3− le « virage » de la fin des années 1920 témoigne d'une certaine « décentralisation » du Dasein et par là, d'un tournant réaliste.4 Ce mouvement allait se renforcer dans les années suivantes, sans que le privilège méthodologique de l'idéalisme, c'est- à-dire de l'intentionnalité, soit invalidé. Nous croyons voir dans ce renforcement une recherche d'une facticité de plus en plus originaire.

La double détermination de la philosophie, c'est-à-dire de la métaphysique comme ontologie fondamentale et métontologie, fait délibérément écho à une détermination, ou plutôt à une tension plus ancienne trouvée chez Aristote au sein de sa définition de la science s'enquérant de l'être en tant qu'être.

1 Cf. GA 9, p. 328 : « Der Vortrag "Vom Wesen der Wahrheit", der 1930 gedacht und mitgeteilt, aber erst 1943 gedruckt wurde, gibt einen gewissen Einblick in das Denken der Kehre von "Sein und Zeit" zu "Zeit und Sein". » Q III-IV, p. 85.

2 Cf. GA 26, p. 201.

3 Cf. GA 2, p. 275 ; ET, p. 169.

4 Cf. M. Gabriel, « Is Heidegger’s "Turn" a Realist Project? », op. cit., p. 44-73. Cf. aussi Wawrzyn Warkocki, « Le problème du réalisme dans la philosophie heideggérienne », à paraître.

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« Fundamentalontologie und Metontologie in ihrer Einheit bilden den Begriff der Metaphysik. Aber darin kommt nur zum Ausdruck die Verwandlung des einen Grundproblems der Philosophie selbst, das schon oben und in der Einleitung berührt wurde mit dem Doppelbegriff von Philosophie als πρώτη φιλοσοφία und θεολογία. Und dies ist nur die jeweilige Konkretion der ontologischen Differenz, d. h. die Konkretion des Vollzuges des Seinsverständnisses. Mit anderen Worten: Philosophie ist die zentrale und totale Konkretion des metaphysischen

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