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J’ai commencé à exercer en ITEP pour enfants en janvier 2013. Les enfants accueillis ont alors entre 6 et 12 ans.

Les ITEP sont des institutions médico-sociales placées dans le champ de compétence de l’Etat et financées par l’assurance maladie. Les orientations en ITEP sont notifiées par les MDPH, Maisons Départementales des Personnes Handicapées. 12

L’ITEP est une création récente, fondée par la base de ce qui s’appelaient anciennement les instituts de rééducation (IR) ou instituts de rééducation psychothérapeutiques (IRP). Un décret, paru en janvier 2005, précise le cadre et les modalités d’accueil en ITEP. On citera seulement l’article qui définit la population à laquelle s’adresse un ITEP :

Art. D. 312-59-1. Les instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques accueillent les enfants, adolescents ou jeunes adultes qui présentent des difficultés psychologiques dont l’expression, notamment l’intensité des troubles du comportement, perturbe gravement la socialisation et l’accès aux apprentissages. Ces enfants, adolescents et jeunes adultes se trouvent, malgré des potentialités intellectuelles et cognitives préservées, engagés dans un processus handicapant qui nécessite le recours à des actions conjuguées et à un accompagnement personnalisé.

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1.1.1.a

La position de l’AIRE

L’Association des ITEP et de leurs Réseaux (l’AIRE) regroupe un grand nombre d’ITEP en France. Je rends compte ici de leur réflexion et position à partir des publications de leur site internet13.

Selon cette association et en conformité avec le décret précédemment cité, les ITEP relèvent du champ du handicap.

L’AIRE rappelle que le handicap est ainsi défini par la loi14 :

Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant.

L’AIRE précise que les difficultés psychologiques constituent un processus handicapant parce qu’elles risquent de « compromettre le potentiel de participation sociale et d’évoluer d’une fragilité vers une incapacité psychique ». Il est précisé que cette fragilité et incapacité psychique sont « compatibles avec un maintien des fonctions intellectuelles et instables, c'est-à-dire variables dans le temps ou selon les contextes. » Le document précise que :

« Les conséquences de ces difficultés psychologiques pour ces enfants et ces adolescents se caractérisent par une perturbation fréquente de la faculté de penser et d’agir, de la perception de soi-même, et de la relation aux autres, une difficulté

13 http://www.aire-asso.fr

14 Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

36 à vivre et organiser le quotidien, concevoir et formuler des projets, comprendre et respecter des limites ou des règles.

Les conséquences de ces difficultés psychologiques pour l’entourage et la vie sociale se caractérisent par une incompréhension liée au caractère invisible des troubles, voire à leur déni, à l’aspect imprévisible du comportement, à la nature réversible du processus handicapant, une représentation faussée, une stigmatisation voire un rejet de la personne vécue comme perturbatrice, la culpabilisation fréquente de l’entourage familial et une ignorance courante de la dimension multifactorielle de l’origine des troubles.

Les réponses apportées à ces difficultés psychologiques sont diversifiées selon l’intensité des troubles. Les ITEP n’interviennent pas en première intention. Une orientation vers les ITEP est envisagée lorsque les interventions des professionnels et services au contact de l’enfant : Protections Maternelles et Infantiles (PMI), Centres d’Action Médico-Sociale Précoce (CAMSP), réseaux d’aides, Centres Médico-Psycho-Pédagogiques (CMPP), services de psychiatrie infanto juvénile, pédiatres, pédopsychiatres, n’ont pas permis la résolution de ces difficultés psychologiques.

Les ITEP ne visent pas à répondre seuls aux situations complexes. Leur approche est à la fois institutionnelle et partenariale, diversifiée et modulable, évolutive et adaptable. L’ITEP garantit un cadre institutionnel soignant, interdisciplinaire, permettant d’accompagner l’accès aux soins, la participation sociale, les apprentissages, d’élaborer et mettre en œuvre un projet thérapeutique, d’organiser des activités éducatives adaptées, de personnaliser l’accès aux apprentissages scolaires et préprofessionnels, d’associer et soutenir les parents et les proches, de favoriser la formation et le soutien des professionnels.

L’ITEP contribue, en développant des coopérations, à préserver le lien avec le milieu ordinaire de vie, proposer plusieurs modalités de scolarisation en lien avec les établissements d’enseignement de proximité, rechercher les dispositifs de formation générale et professionnelle appropriés, distinguer les besoins liés aux difficultés psychologiques des besoins liés aux troubles réactionnels en relation

37 avec une situation sociale ou familiale problématique qui relèvent d’autres champs de compétence.

Il convient de s’assurer le cas échéant d’une réponse adéquate des services sociaux, chargés de l’assistance éducative ou de la protection de l’enfance, de la coopération des services de pédopsychiatrie, de la contribution de toute autorité, instance ou personne utile à la situation de l’enfant, adolescent ou jeune adulte. » Ajoutons que l’ITEP a évolué depuis en « dispositif intégré », suite au décret N°2017-620 du 24 avril 2017 avec pour objectif de faciliter le parcours de l’enfant, de l’adolescent en assouplissant les modalités d’accueil, notamment entre école, SESSAD et ITEP. En recherchant des données statistiques, on trouve que les ITEP accueillent en majorité des garçons (89%) et que le profil moyen est celui d’un adolescent de 14 ans vivant à domicile et scolarisé auparavant en milieu ordinaire15.

15https://www.cnsa.fr/actualites-agenda/actualites/le-fonctionnement-en-dispositif-itep-des- premieres-donnees

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1.1.1.b

Quelques remarques

Comment penser cadre légal et institutionnel à l’épreuve de la pratique clinique ? Je proposerai ici quelques remarques :

• Concernant l’enfant :

- L’accent est mis sur les troubles du comportement, ce sont eux qui alertent les professionnels et c’est le bruit aussi bien que la gravité de leur manifestation qui conduit à une orientation en ITEP. En général, ces troubles du comportement s’expriment à l’école, et particulièrement dans le registre de la violence. Mais il faut entendre que la complexité est grande derrière ce symptôme. Maurice Berger (2012) – ancien chef de service de psychiatrie de l’enfant au CHU de St Etienne, le dit ainsi : « On constate donc que les termes « enfant carencé, caractériel, cas social » cachent la complexité de la vie psychique de ces sujets ». L’enfant ne saurait donc être perçu uniquement sur un versant comportemental à visée de « rééducation » mais bien dans une perspective plurielle, qui articule souffrance, singularité et potentialités. Cela implique de prendre en compte toutes les dimensions de la vie de l’enfant. C’est à la fois ce qui fait la richesse de notre travail et sa difficulté.

- Certes, n’y a pas de déficience intellectuelle associée mais il faut entendre néanmoins que les processus de pensée sont bel et bien entravés. C’est ce que l’AIRE nomme « incapacités psychiques ». On peut ici donner l’image de la psyché comme « terre brûlée ». Ainsi, les capacités d’être seul en présence de l’autre, de se représenter l’objet en son absence, et donc tout ce qui prépare à l’accès au monde symbolique sont des processus littéralement obérés, impactés précocement.

39 - J’ajoute que, dans la présente thèse, l’enfant vit souvent dans un contexte familial délétère. Situation qui se répète sur plusieurs générations, on le verra plus loin. La frontière est alors mince entre compréhension et stigmatisation, ce qui peut être l’objet de conflits au sein même de l’équipe de l’ITEP. La perception de la famille de l’enfant génère ainsi beaucoup de clivage et d’identification projective, en miroir avec le fonctionnement psychique archaïque de certains parents. Cela a des conséquences sur la prise en soin de l’enfant lui-même.

• Concernant l’institution :

- ITEP est un sigle qui signifie Institut Thérapeutique Educatif et Pédagogique. Il est

donc constitué de trois pôles dont l’articulation est à penser et à aménager dans une perspective de cohérence et de complémentarité. La place première du terme « Thérapeutique » révèle la dimension essentielle du soin psychique auprès des enfants accueillis. Or, dans beaucoup d’ITEP, le soin psychique est aujourd’hui pensé en termes de bilans neuropsychologiques et suivis ponctuels, sans qu’un espace thérapeutique ne soit pensé et proposé, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’institution. Nombre de psychologues rencontrés déplorent la même situation en MECS et plus largement dans le champ de la protection de l’enfance. Le trépied Thérapeutique, Educatif et Pédagogique est à mon sens nécessaire mais complexe à mettre en œuvre. La place du psychologue ou du psychothérapeute tend à être rabattue sur le pôle éducatif. Avec par exemple la revendication de l’équipe éducative d’intégrer le psychologue au quotidien « dans le groupe » pour attester principalement de leurs difficultés, le psychologue étant souvent vécu comme quelqu’un qui ne souffre pas autant que l’équipe, comme un professionnel « protégé » en quelque sorte.

40 - Nous nous inscrivons au carrefour de la protection de l’enfance, de la pédopsychiatrie et de l’éducation nationale. Cette situation à la jonction de divers champs complexifie notre travail. Nous nous heurtons aux injonctions, aux impératifs, aux impossibles et aux limites des autres institutions. Le travail partenarial est un élément essentiel de la vie institutionnelle parce que cela constitue aussi une entrave majeure. Dans le champ de la protection de l’enfance, ce sera par exemple l’absence d’un lieu de vie pérenne pour l’enfant, la continuation de situations de danger malgré les signalements auprès de la justice, le turn-over important des référents à l’ASE, nos interlocuteurs principaux. En pédopsychiatrie, la rareté des pédopsychiatres et services dédiés (dans notre secteur : un seul pédopsychiatre et aucun lit d’hospitalisation pour enfants), situation dramatique dénoncée par Bernard Golse et Marie-Rose Moro récemment16. Dans l’éducation nationale, ce sera des enjeux et des organisations difficilement conciliables, grippant toute la souplesse requise.

- L’ITEP est un lieu d’accueil, un lieu de soin et un lieu de vie habité par des enfants, inventé par des adultes. En cela, il appartient au registre des hétérotopies, que Michel Foucault17 définit ainsi :

(Des lieux) absolument différents des autres, des lieux qui s’opposent à tous les autres… qui sont destinés à les effacer, les compenser, les neutraliser ou les effacer… le fond du jardin, le grenier, la tente d’indien, mais ce n’est pas la seule invention des enfants, la société adulte a organisé ses propres contre-espaces, des utopies réelles situées hors de tous les lieux : jardins, cimetières, asiles, maisons closes, prisons, villages du club méditerranéen...

Des lieux qui ont la particularité de contribuer à exclure ce qui n’a de cesse

16 http://www.liberation.fr/debats/2018/03/29/la-pedopsychiatrie-ne-veut-pas-mourir_1639853 17 Foucault, M. Utopies et hétérotopies. Miscellaneous. (2004). Document audio.

41 de ne pas être inclus et de tenter d’inclure ce qu’ils excluent pourtant. Une inscription à la marge donc.

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