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Qu'est-ce qu'une firme ?

LA DÉMOGRAPHIE DES FIRMES, DOMAINE EN DEVENIR

Section 1. Qu'est-ce qu'une firme ?

Il n'existe pas de définition universelle de la firme55. C'est pourquoi nous sommes tenus de commencer ce chapitre par un rapide examen des diverses versions de la conception extensive, dont nous avions signalé l'existence dans l'introduction. Cette conception peut être appréhendée de trois manières : sous son aspect purement juridique (1.1), sous son aspect économique (1.2), ou sous son aspect statistique, synthèse concrète des deux autres approches (1.3). Ce tryptique semble quelque peu artificiel ; il n'en est pas moins fort utile pour saisir un concept "mouvant" et pour montrer en quoi, par contraste, la conception restrictive se suffit à elle-même.

1.1.Aspect juridique de la conception extensive

Pendant longtemps l'entreprise et le droit ont été des étrangers l'un pour l'autre. Pourquoi cette ignorance a-t-elle duré ? Nous pensons que le droit de propriété constituait, au dix-neuvième siècle, un cadre suffisamment souple pour que la question de l'entreprise en tant que "sujet de droit" ne se posât pas. Mais cette situation ne convient plus au capitalisme d'aujourd'hui: l'entreprise a pris une telle importance dans la vie économique et sociale que le droit de propriété n'est plus suffisant pour rendre compte du phénomène.

Certaines réticences persistent néanmoins à l'encontre de cette présentation, elles concernent justement notre sujet : la création des firmes serait-elle identique si l'entrepreneur était bouté hors de son entreprise, à la moindre défaillance de sa part ? Le concept d'entreprise dégage-t-il un consensus autour de lui ?

Pour les dictionnaires de langue française, les définitions habituelles de la firme sont celles-ci : "Se dit, en Belgique, comme synonyme de raison sociale et même indiquant le nom propre sous lequel les affaires d'une maison commerciale se continuent, lorsque le chef est mort. (Littré, 1874, t. 3, p. 2503) la date d'apparition en français se situe au début de la 3e république ; "Raison sociale." (Larousse universel, 1948, t. I, p. 737) ; "Entreprise industrielle ou commerciale telle qu'elle est désignée sous un nom patronymique, une raison sociale." (Le Robert, 1976, p. 711) ; "Désignation légale d'une société, d'une entreprise." (CNRLT).

La première occurrence du mot serait due à l'économiste belge Jean JOBARD (1844) Nouvelle économie sociale ou Monautopole, Paris, Mathias, p. 136. L'acception d'entreprise industrielle remonterait à 1909. Le mot serait originaire d'italie sous la forme de "firma". Les mots correspondants en anglais et français en découleraient naturellement.

55 L'article séminal est celui de Ronald COASE (1937) "The Nature of the Firm", Economica, vol. 4, n° 16, november, p. 386-405, qui montre que la firme existe en raison des coûts de fonction- nement du marché, l'internalisation qu'opère la firme permettant d'avoir des coûts internes plus faibles. En gestion, la notion de prix de cessions internes en découle.

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A. La logique patrimoniale au XIXe siècle

Rappelons tout d'abord que l'entreprise, en tant que réalité, a une origine très ancienne, puisqu'elle est directement issue du monde des marchands de la fin du XVe siècle avec l'invention en 1494 de la comptabilité en partie double par Luca Pacioli56. Il existait des entreprises industrielles auparavant, mais elles n'avaient pas les moyens comptables de calculer correctement leurs prix de revient57. Or ces unités économiques n'étaient pas autonomes juridiquement à l'époque, elles restaient subordonnées à leurs propriétaires, nobles ou bourgeois, qui eux dépendaient du droit des marchands ou de la juridiction royale58.

La raison sociale, qui est la marque d'existence autonome de la firme, apparaît sous l'intitulé "raison de la Société" dans les sociétés en nom collectif en 1673 dans l'Ordonnance du commerce et reprise dans le Dictionnaire de commerce des SAVARY. Avant, c'est l'enseigne qui désigne la présence d'une entreprise industrielle dans une ville ou un village59. La raison sociale s'appelle aussi "raison commerciale" depuis une loi de 1824 qui la protège60. Le terme de "raison industrielle" paraît sous la plume de LAMARTINE en 1850 : "ce n'est plus ni la raison industrielle ni la raison financière des chemins de fer, c'est la raison d'État des chemins de fer ; "61

D'ailleurs, avec l'élaboration du Code de commerce en 1807, la "notion" d'entreprise se heurtera aux deux principes de base du système juridique : la liberté et la propriété62.

Un exemple concret se trouve dans les statuts de la Société de Fourchambault qui est fondée en 1819 par Louis BOIGUES, André-Martin LABBÉ et PAILLOT père et fils, puis qui s'est installée dans la Nièvre en 182363. Cette usine à fers sera, avec 2 000 ouvriers, la plus grande entreprise industrielle de la Restauration. Elle fusionnera avec Commentry pour donner

56 C. CHAMPAUD (1974) "L'entreprise dans la société contemporaine. Place et rôle du chef d'entreprise dans son environnement économique et social", Humanisme et Entreprise, n° 86, septembre, p. 6.

57 J. GIMPEL (1975) La révolution industrielle au Moyen Age, Paris, Seuil, p. 17.

58 H. de BASTARD D'ESTANG (1857) Les parlements en France. Essai historique sur leurs

usages, leur organisation et leur autorité, Paris, Didier et compagnie, t. 1, p. 91.

59 J. GRAND-CARTERET (1902) L'enseigne, son histoire, sa philosophie, ses particularités, Grenoble, Librairie Dauphinoise, 466 p.; J. SAVARY DES BRUSLONS (1723-1730) Dictionnaire

universel de commerce, Paris, Estienne, t. 1, p. 1813 et supplément, p. 49.

60 Ch. GOUJET (1877) Dictionnaire de droit commercial, Paris, Marescq aîné, p. 567.

61A. de LAMARTINE (1865) La France parlementaire, 1834-1851, 3e série: 1847-1851, Paris, A. Lacroix, p. 153.

62 A. SOLAL (1971) "Les difficultés d'une construction juridique de l'entreprise : test de l'efficacité de nos procédés de connaissance juridique", Revue trimestrielle de droit commercial, vol. 24, p. 617-644.

63 A. THUILLIER (1974) Économie et société nivernaise au début du XIXe siècle, Paris, Mouton,

p. 259, note 7. Labbé, évincé de la firme en 1824 avec Paillot, fondera en 1835-1838 le Bazar

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une grande société anonyme64. Dans ce type d'entreprise, la personne morale, tout comme les salariés, est dépendante des propriétaires, qui sont libres de la transformer ou de faire cesser son activité. Ce qui apparaît, c'est le commerçant, c'est l'acte de commerce qui définit toutes les entreprises à but lucratif.65

En fait, on est amené à constater la consécration du libéralisme au XIXe siècle : les règles collectives en usage, les coutumes ne consacrent pas la notion d'entreprise, être moral indépendant, car celle-ci est inutile puisqu'on ne saurait la dissocier de l'entrepreneur d'industrie, à la fois capitaliste et travailleur pour son propre compte.66 On se défie d'ailleurs souvent du rôle perturbateur des nouvelles firmes : "Donc toute entreprise nouvelle agit comme cause de crise par le détournement des capitaux."67

1°) Le droit de propriété, premier cadre juridique de référence

Contrairement à une idée trop souvent reçue, la propriété privée des biens économiques n'est pas une notion très ancienne au regard de l'Histoire. Au temps de l'Empire romain, par exemple, on dénombrait encore quatre sortes de propriétés, selon le statut de l'individu ou de sa collectivité: la quiritaire (celle du citoyen), la prétorienne (celle des prêteurs), la pérégrine (celle des étrangers) et la provinciale (celle des possesseurs des fonds provinciaux appartenant à Rome). Il n'y avait pas de régime unique mais la seule reconnue officiellement était la première.68

Toutefois, au début du XIXe siècle, la propriété redéfinie par la Révolution française sur de nouvelles bases, devient le "ciment" de la communauté des entrepreneurs. C'est pourquoi le mot lui-même d'entreprise apparaît en 1798 dans le sens de "Organisation de production de biens ou de services à caractère commercial."69 Il devient alors le synonyme des termes suivants : Affaire, Commerce, Établissement, Exploitation, Industrie, Négoce.

Cette fonction d'entreprise se réalise grâce à la concurrence, pour les économistes libéraux de l'époque, et par l'appropriation collective pensent au contraire les penseurs socialistes, qualifiés par les premiers d'utopistes.70 Le problème de l'entreprise, en tant que concept autonome vis-à-vis du fonds de

64 J. BRESSON (1856) Cours général des actions des entreprises industrielles et commerciales, ou

Gazette des Chemins de fer, 10 janvier, p. 29.

65 G.-U. GUILLAUMIN dir. (1839) "Actes de commerce", Dictionnaire universel du commerce, Paris, Guillaumin, t. 1, p. 22-23. Se réfère aux articles 632 et 633 du Code de Commerce de 1807. 66 H. BAUDRILLART (1839) "Entrepreneur d'industrie", Dictionnaire universel du commerce, Paris, Guillaumin, t. 1, p. 1111. Le mot entreprise apparaît 27 fois dans ce premier tome aux mots clés suivants : Association (14 fois), Crises commerciales (2 fois), Coulage (4 fois), Entrepreneur d'industrie (7 fois).

67 J. GARNIER (1839) "Crises commerciales", Dictionnaire universel du commerce, p. 923. 68 J.-Ph. LÉVY (1972) Histoire de la propriété, Paris, PUF, p. 32.

69 Dictionnaire Le Robert, 1976, p. 591.

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commerce, va se poser quand l'identité entrepreneur-entreprise sera en déphasage avec les réalités économiques de la faillite et de la perte en capital.

En particulier, l'apparition du phénomène primordial des sociétés par actions dans les années 1820-1830 et son extension rapide à la fin du siècle, inverseront le sens de la relation entreprise-propriété, comme le remarque Georges RIPERT : "La société est créée pour exploiter, elle n'existe que pour cela, et la propriété n'est que le moyen de réaliser l'exploitation : c'est une propriété affectée. Cette affectation n'est pas arbitrairement décidée par le propriétaire des biens car, les anciens propriétaires, ce sont les actionnaires qui ont renoncé à leur droit au profit de l'entreprise. La société, personne morale, est tenue de réaliser l'objet pour lequel les apports ont été faits. L'entreprise domine la propriété."71

Le droit de l'actionnaire n'équivaut donc plus au droit de propriété des biens de l'entreprise. La société par actions évolue progressivement du stade du contrat entre les personnes à l'état d'institution. Cette évolution, que l'on peut penser comme imposée par la concentration économique, va conduire à la prise de conscience, de la part des économistes-juristes, de la dissociation entrepreneur-entreprise. Mais une prise de conscience suffit-elle pour aboutir à une définition cohérente de la notion juridique d'entreprise ?

2°) Émergence de la notion d'entreprise

Bien avant les auteurs contemporains, les utopistes du XIXe siècle avaient proposé de réformer l'entreprise, c'est-à-dire d'établir une structure d'accueil et d'aide aux nouveaux entrepreneurs72. Si l'on peut distinguer, dès cette époque ancienne, une première tentative d'incitation et de soutien à la création d'entreprises, on saisit mal la spécificité de l'entreprise par rapport à l'entrepreneur tant qu'il s'agit de petites unités sans grand capital de départ.

Progressivement, l'action des salariés a poussé au premier plan la dimension sociale liée à l'activité des firmes. Cette prise de conscience, provoquée par les revendications des salariés les plus défavorisés dès les années 1840-1848, a conduit aujourd'hui à l'émergence d'une définition large : "On la définit [l'entreprise] généralement comme l'ensemble de tous les éléments humains et matériels groupés et organisés par le commerçant, personne physique ou personne morale."73

Mais une telle définition ne figure pas dans les textes juridiques : "l'étude de l'entreprise reste surtout du domaine doctrinal et, en tant que notion juridique, c'est en droit positif, le fonds de commerce qui reste la notion essentielle."74 C'est bien l'ensemble des biens productifs et des droits y

71 G. RIPERT (1951) Aspects juridiques du capitalisme moderne, Paris, LGDJ, cité par C. CHAMPAUD et J. PAILLUSEAU (1970) L'entreprise et le droit commercial, Paris, Colin, p. 15. 72 M. CAPET (1962) "La firme en tant qu'objet d'analyse", Revue d'économie politique, n° 2, p. 183.

73 A. JAUFFRET (1977) Manuel de droit commercial, Paris, LGDJ, 16e édition, p. 77.

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afférant qui permettent à un industriel ou un commerçant entrepreneur de se livrer à l'exercice quotidien de son activité.

Ainsi, alors que le terme "entreprise" apparaît bien dans le Code de commerce (articles 8 et 9), ce n'est vraiment qu'au niveau de la comptabilité commerciale que cet intitulé s'impose réellement. Mais ceci n'empêche pas toute une partie de la doctrine de considérer l'entreprise comme un sujet fondamental de droit. Ces auteurs se fondent sur les lois de 1966 (sociétés) et 1967 (procédures collectives) pour désigner le souci montré par le législateur de faire prévaloir les intérêts de l'entreprise, à la fois sur la société comme simple technique d'organisation, et sur l'individu ou les individus proprié- taires. Pour eux, la dissociation entre l'homme et l'entreprise apparue dans la loi du 13 juillet 1967, constitue une première étape dans le processus inexorable de reconnaissance du concept autonome d'entreprise.

B. Vers un droit de l'entreprise ?

De nos jours, l'entreprise tend à devenir une institution reconnue, le pouvoir économique remplace la propriété en tant que critère d'appréciation de la qualité de dirigeant Pour John Kenneth GALBRAITH, l'entrepreneur n'existe plus en tant que personne individuelle dans la firme industrielle évoluée.75 Dans les très grandes firmes, on assisterait à l'apparition d'un entrepreneur collectif, nommé "technostructure" par cet auteur américain.

Remarquons toutefois que ces firmes ne sont que très rarement importantes, dès leur naissance. Le droit de créer une entreprise, la possibilité de connaître et d'assumer l'échec commercial, tout ce qui fait obéir le parc d'entreprises à une logique d'orientation de capitaux privés, suggère encore le maintien de l'appropriation, par une minorité, du pouvoir dans la firme : "Il est en effet bien évident que les capitalistes se montreraient assez peu empressés à apporter leurs capitaux à une entreprise, si leur apport devait se traduire par une dépossession immédiate en faveur de l'entreprise. En toute hypothèse, un certain droit de propriété devra être reconnu aux capitalistes sur les biens dont ils auront fait apport à l'entreprise.76

Le pouvoir sans la propriété effective ne saurait expliquer la mise en œuvre risquée d'un capital. Rares sont en effet les créateurs qui ont l'ambition de faire parvenir très vite leur entreprise au rang des plus grandes. Le passage de la propriété exclusive à la propriété affectée semble être une façon plus logique de constitution des firmes leaders. Alors, devant l'inadéquation des structures en place, l'idée d'une réforme de l'entreprise est apparue, dès la fin de la seconde guerre mondiale77. Elle connaîtra un fort retentissement avec un

75 J.K. GALBRAITH (1967) Le nouvel état industriel, Paris, Gallimard, p. 43-46, cité par D. ROUX et D. SOULIÉ (1972) L'entreprise, système économique, Paris, PUF, p. 90.

76 M. DESPAX (1957) L'entreprise et le droit, Paris, LGDJ, p. 373.

77 F. BAYLE (1946) Vers la disparition du salariat : la réforme de l'entreprise, le problème, les

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ouvrage de François BLOCH-LAINÉ en 1963 et, surtout, grâce au rapport du comité présidé par Pierre SUDREAU douze ans plus tard.

1°) La réforme de l'entreprise en 1975

Le droit des sociétés ne parvient pas à prendre en compte l'élément humain de l'entreprise. Le comité propose donc la transformation de l'entre- prise à la fois sur le plan de ses structures juridiques et au niveau de sa vie quotidienne. Dans le premier cas, il s'agit d'adapter le droit des sociétés aux réalités très diverses des firmes. Au lieu de mettre en place un modèle unique, il vaut mieux créer de nouvelles formes d'accueil pour les jeunes entreprises (ce sera fait à partir de 1977 dans les CCI) et pour celles qui changent de statut (chapitre VI du Rapport Sudreau).

Dans le second cas, et devant la montée des sociétés de services, il semble opportun au comité d'envisager une nouvelle forme de société, créée sans apport de capital de la part de ses fondateurs, qui pourrait même "servir de structure d'accueil pour la survie d'entreprises en difficultés."78 En effet, cette forme particulière permettrait la disposition de fonds propres et de ressources à long terme provenant de bailleurs financiers externes à la firme.

Le problème réside justement dans cette absence de droit de regard de la part des agents du financement : sur quels critères accorderont-ils leurs octrois ? L'aval d'un organisme financier para-public sera-t-il nécessaire ? Le rapport évoque seulement l'affiliation à un organisme d'assurance, et à une procédure de caution mutuelle. Les deux autres formes proposées sont la société anonyme à gestion participative, qui vise à mettre sur un pied d'égalité salariés et actionnaires, et l'entreprise sans but lucratif, forme intermédiaire entre une association (loi de 1901) et la société commerciale. Cette nouvelle forme organiserait "des opérations commerciales ou industrielles en parallèle avec le secteur lucratif."79

Ces propositions ne doivent pas faire illusion : il existe un décalage entre la conception extensive de l'entreprise et les nécessités d'adaptation du cadre juridique. Si les salariés sont des "partenaires", pourquoi ne participent- ils pas aux prises de décisions ? La notion de "parties prenantes" semblerait alors convenir à une nouvelle évolution des rapports dans l'entreprise, comme l'a montré Paul GONTIER dès les années 1910.80

78 Idem, p. 157. 79 Idem, p. 161.

80 P. GONTIER (1911) Le directeur et l'administrateur-délégué de la société anonyme, Paris, Giard et Brière, p. 99 (sur la responsabilité de ces agents).

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2°) La place de l'entreprise vis-à-vis du droit économique

L'entreprise serait donc devenue aujourd'hui le thème central du droit économique français.81 Car la définition même de ce domaine d'étude renvoie à un droit micro-économique, au droit des affaites, en son sens restrictif.

Au contraire, d'autres auteurs prônent une conception très large du droit économique82, au sein duquel l'entreprise occupe certes une place notable, sans être toutefois l'unique objet de préoccupation : "L'entreprise joue incontestablement un rôle important dans l'évolution du droit économique et participe, à ce titre, du mouvement d'objectivisation auquel celui-ci donne lieu. Elle est, en effet, désormais considérée bien plus comme une composante essentielle du marché que comme un sujet de droit porteur de créances et d'obligations."83

Ce phénomène d'objectivisation ne traduit-il pas simplement un retour vers les conceptions des économistes ? Le droit économique ne serait-il pas une issue aux contradictions doctrinales des juristes, contradictions qui renverraient plus à des convictions qu'à des réalités ?

Nous pensons que l'enjeu du problème de la définition de l'entreprise capitaliste réside dans une dualité : d'un côté un droit de l'entreprise n'a de sens que s'il se borne à la prise en compte des aspects techniques de la démographie des firmes (constitution, transformation, dissolution) ; d'un autre côté, le droit économique général suffit amplement pour traiter des firmes, sous le double angle micro et macroscopique.84

On est ainsi renvoyé à une définition mixte de l'entreprise, intégrant autant le "stade suprême des personnes morales à objet économique"85, que l'unité économique autonome.

En cas de défaillance financière de l'entreprise, et s'il se produit l'ouverture d'une procédure de concours, le droit de la faillite a prévu la dissociation entre l'homme et l'entreprise. Mais il semble bien que seul l'intérêt patrimonial a tendance à primer en dernière analyse. La sauvegarde de l'unité de production ne serait-elle pas un bon prétexte pour évincer les entrepreneurs trop entreprenants ? Passe-t-on vraiment d'un droit de propriété individuel à un droit de maintien collectif ? Les réponses à ces questions nécessitent l'étude de la notion de sélection naturelle, notion qui sous-tend toutes les définitions restrictives de la firme.

Là encore l’économie et la gestion empruntent à la biologie et à la médecine des concepts opératoires pour leurs propres spécificités théoriques et statistiques.

81 J. SCHEID et J.-C. TESTON (1969) L'environnement et la demande, Paris, Dunod, p. 56-59, reproduit in ROUX et SOULIÉ (1972) L'entreprise, système économique, p. 38-41.

82 A. JACQUEMIN et G. SCHRANS (1974) Le droit économique, Paris, PUF, 2e édition, 128 p. 83 Idem, p. 104.

84 G. FARJAT (1971) Droit économique, Paris, PUF, p. 85-116. 85 Idem, p. 87.

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1.2. La conception économique dominante de la firme

Ce paragraphe essayera de répondre de manière aussi cohérente que possible à trois interrogations : A quoi peut bien servir le concept de firme représentative ? De la cellule ou de l'organisme, quelle métaphore symbolise le mieux l'entreprise ? Cette conception biologique omniprésente s'avère-t-elle vraiment pertinente pour notre sujet ? Nos éléments de réponse resteront volontairement conciliateurs, pour deux raisons : d'une part parce que nous n'avons pas de vision aussi attrayante à fournir, et d'autre part, parce qu'il est toujours à craindre des critiques irrémédiables, sur un sujet aussi brûlant.

A. La firme représentative, concept opératoire ?

Alfred MARSHALL (1842-1924) a posé très clairement la distinction entre le court terme et le long terme. De la sorte, il se donnait la possibilité de ne considérer, in abstracto, qu'une entité théorique : la firme représentative.

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