B. ENQUETE SECONDAIRE : LES MEDECINS
IV. DISCUSSION
6. Q UELLE PRISE EN CHARGE POUR CES FEMMES ?
6.1. Il faut en parler
Le point essentiel qui ressort de ce travail est que pour prendre en charge les patientes qui
ont subi une mutilation sexuelle, il faut commencer par leur en parler : c’est simple et c’est
utile. Le recueil de l’histoire de l’excision, des problèmes de sexualité et de violences
conjugales, du ressenti concernant les conséquences néfastes de l’excision, et du
positionnement des femmes par rapport à la pratique, est un préalable essentiel à la prise en
charge des femmes mutilées.
Comme en témoignent les médecins ayant participé à l’enquête, le simple fait de poser
un certains nombre de questions permet déjà d’amorcer une démarche de soin : demande de
reconstruction chirurgicale, de lubrifiant, sujet réabordé spontanément par les femmes lors de
consultations ultérieures. Certaines femmes ont même souhaité participer à des séances
d’information sur le sujet, ou ont incité des amies mutilées à consulter.
6.2. Ce que l’on peut proposer
Les médecins disposent de moyens pour venir en aide aux femmes mutilées. Voici une
proposition de plan simple à suivre en consultation de médecine générale pour la prise en
charge des patientes mutilées :
− Diagnostiquer une mutilation : en posant la question « êtes-vous mutilée ? » à toutes
les femmes originaires d’un pays où l’on pratique les mutilations, quel que soit le
motif de leur consultation. Certaines femmes répondront qu’elles sont mutilées,
d’autres qu’elles ne savent pas. Dans ce cas on doit leur proposer un examen
gynécologique.
− Expliquer précisément à la patiente ce qu’elle a subi.
− Recueillir le récit de la mutilation si la femme s’en souvient : l’âge, le lieu, les
circonstances, les complications immédiates.
− Demander à la patiente si elle ressent que la mutilation a eu des conséquences néfastes
pour elle, sur les plans médical, sexuel et psychologique.
− Rechercher les symptômes évocateurs de syndrome de stress post-traumatique ou de
toute autre conséquence psychologique du traumatisme subi.
− Rechercher les conséquences uro-génitales possibles de la mutilation et proposer une
prise en charge spécifique si besoin (chirurgie pour les douleurs et les séquelles
vulvaires, explorations uro-néphrologiques).
− Rechercher les conséquences gynécologiques et obstétricales possibles des mutilations
(infertilité, complications de l’accouchement).
− Rechercher l’existence de difficultés sexuelles et proposer, si nécessaire, un traitement
lubrifiant pour soulager les douleurs, une prise en charge spécifique sexologique si
possible, ou la réparation chirurgicale.
− Informer toutes les patientes sur la possibilité de réparation chirurgicale. Il ne faudrait
pas réserver cette information aux seules femmes qui se plaignent de troubles sexuels
(comme l’a montré le Dr Foldes dans une étude réalisée auprès de 453 patientes
l’identité féminine, avant l’amélioration de la vie sexuelle). Toutes les femmes ne
souhaiteront pas se faire opérer, mais il est important qu’elles sachent que c’est
possible.
− S’informer sur les projets de la femme quant à ses filles si elle en a ou si elle vient à
en avoir. Rappeler l’interdiction légale en France et les risques encourus en cas de
constat de mutilation.
− Distribuer les brochures d’information disponibles (plaquette « Agir face aux
mutilations sexuelles féminines », « Protégeons nos petites filles de l’excision »), faire
connaître les coordonnées des associations qui luttent contre la pratique des MSF
(GAMS, CAMS, MFPF), et les coordonnées des centres qui pratiquent la réparation
chirurgicale.
Ces entretiens ne peuvent pas toujours être menés entièrement dès la première
consultation au cours de laquelle le sujet des MSF est abordé, surtout lorsque la femme est
venue consulter pour un autre motif. Cependant, on peut proposer aux patientes mutilées d’en
parler plus longuement si elles le souhaitent lors d’une consultation ultérieure.
Notre étude concerne les femmes mutilées majeures. Pour les mineures, rappelons que le
premier devoir du médecin lors du constat d’une mutilation est le signalement.
CONCLUSION
On estime qu’environ 53.000 femmes mutilées vivent actuellement en France (2). Ces
femmes endurent les conséquences médicales, sexuelles et psychologiques de leur mutilation.
Le corps médical doit s’attacher à leur prise en charge. Les réticences des médecins à prendre
en charge les patientes mutilées semblent être liées d’une part au manque de connaissances
qu’ils ont sur le sujet, et d’autre part à l’idée qu’il s’agit d’un sujet délicat, et donc difficile à
aborder avec les femmes (3,4).
Il faut espérer que l’intégration du thème des mutilations sexuelles féminines dans la
formation médicale provoquera une prise de conscience de la part des médecins de la
nécessité de prendre en charge les patientes mutilées.
Notre étude auprès des femmes mutilées a montré que :
− Les femmes mutilées sont peu informées sur les MSF en général et sur les possibilités
de réparation chirurgicale.
− Elles sont nombreuses à se plaindre de troubles sexuels, particulièrement
d’insuffisance de désir sexuel et de douleurs lors des rapports.
− Elles sont nombreuses à se plaindre de troubles uro-génitaux.
− Elles sont nombreuses à ressentir que l’excision est responsable de leurs troubles
sexuels et uro-génitaux.
− Elles sont le plus souvent opposées à la pratique des MSF.
− Elles parlent facilement de ces sujets mais le font peu spontanément.
− Le fait d’aborder le sujet des MSF en consultation leur semble utile pour elles-mêmes.
Notre étude réalisée auprès des médecins a montré que :
− Beaucoup d’entre eux étaient déjà sensibilisés sur le sujet des MSF.
− Ils ont trouvé utile pour leurs patientes la réalisation d’entretiens systématiques sur les
MSF.
− Ils ont constaté que ces entretiens étaient suivis d’effets positifs pour les femmes.
En conclusion, les mutilations sexuelles féminines peuvent être à l’origine de nombreux
symptômes que l’on peut soulager et de pathologies que l’on peut traiter. De plus, le simple
fait de parler de leur mutilation est vécu de manière bénéfique par la majorité des femmes.
Les médecins ne doivent donc pas craindre de parler aux femmes mutilées, et ils doivent
s’appliquer à le faire de manière systématique. Nous avons proposé une grille d’entretien
simple qui pourrait aider les médecins à mieux prendre en charge les patientes mutilées en
consultation.
BIBLIOGRAPHIE
1) ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTE. Eliminer les mutilations sexuelles
féminines : déclaration interinstitutions HCDH, OMS, ONUSIDA, PNUD, UNCEA,
UNESCO, UNFPA, UNCHR, UNICEF, UNIFEM. Genève : OMS, 2008, 45p.
2) ANDRO Armelle, LESCLINGAND Marie. Les mutilations sexuelles féminines : le
point sur la situation en Afrique et en France. Population et Sociétés, Octobre 2007, N°438,
4p.
3) POULAIN D'HAUTHUILLE Anne-Charlotte. Les mutilations sexuelles féminines :
les pratiques professionnelles dans les maternités de Seine-Saint-Denis. 74p. Thèse
d’exercice : Médecine. Paris 12 Créteil, 2007, N° 1030.
4) WEHENKEL Milena. Dépistage et prévention des mutilations sexuelles féminines et
de leurs complications en médecine générale. 116p. Thèse d’exercice : Médecine. Paris 6,
2007, N° G57.
5) ACADEMIE NATIONALE DE MEDECINE. Les mutilations sexuelles féminines. Un
autre crime contre l’humanité. Connaître, prévenir, agir. Supplément au Bulletin de
l’Académie nationale de médecine, 2004, 188, n°6, séance du 10 juin 2004, 123p.
6) COUCHARD Françoise, L’excision. Paris, Presses universitaires de France, 2003,
128p. (Que Sais-Je ; N° 3686).
7) RATHMANN W.G. Female circumcision, indications and a new technique. GP.,
1959 Sep ; 20 : 115-20.
8) ERLICH Michel, La femme blessée, essai sur les mutilations sexuelles féminines.
Paris, L’Harmattan, 1986, 321p.
9)ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTE. Les mutilations sexuelles féminines,
aide mémoire n°241 [en ligne]. Genève, 2000 (page consultée le 21 juin 2008)
http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs241/fr/index.html.
10) GILLETTE-FAYE Isabelle. Répartition géographique en France et dans le monde.
Supplément au Bulletin de l’Académie nationale de médecine, 2004, 188, n°6, 43-51, séance
du 10 juin 2004.
11) PANIEL Bernard Jean. Les diverses mutilations sexuelles génitales féminines et leurs
conséquences. Supplément au Bulletin de l’Académie nationale de médecine, 2004, 188, n°6,
21-42, séance du 10 juin 2004.
12) UNICEF. Female Genital Mutilation/Cutting: A Statistical Exploration, rapport du
Fonds des Nations Unies pour l’enfance. [en ligne], New York, 2005 (page consultée le 19
septembre 2008) http://www.unicef.org/publications/files/FGM-C_final_10_October.pdf
.13) WEIL-CURIEL Linda. Aspects judiciaires : l’excision et la loi. Supplément au
Bulletin de l’Académie nationale de médecine, 2004, 188, n°6, 113-118, séance du 10 juin
2004.
14) PIET Emmanuelle. Les mutilations sexuelles féminines et leur prévention.
Supplément au Bulletin de l’Académie nationale de médecine, 2004, 188, n°6, 97-107, séance
du 10 juin 2004.
15) AMARA Donia. Pratique des médecins de protection infantile de Seine-Saint-Denis
en matière de prévention des mutilations sexuelles féminines. 95p., Thèse d’exercice :
Médecine. Paris 13 Bobigny, 2006, N°27.
16) MINISTERE DE LA SANTE. Discours prononcé le 4 décembre 2006 à l’Institut
Pasteur par Xavier Bertrand, Ministre de la Santé et des Solidarités, lors du « Colloque
Mutilations sexuelles féminines» [en ligne] (page consultée le 5 septembre 2008)
http://www.sante.gouv.fr/htm/actu/33_061204bxb.pdf
17) FOLDES Pierre. Mutilations sexuelles : prise en charge des séquelles. Supplément
au Bulletin de l’Académie nationale de médecine, 2004, 188, n°6, 83-95, séance du 10 juin
2004.
18) INED. Recensement de la population 1999, Emigrés par pays de naissance en 1999,
[en ligne] (page consultée le 10 février 2008),
http://www.ined.fr/fichier/t_telechargement/16825/telechargement_fichier_fr_immigr.s.selon.
le.pays.de.naissanceclasseur1.xls
19) SALMONA Muriel. La mémoire traumatique. In : SABOURAUD-SEGUIN Aurore,
L’aide-mémoire de psychotraumatologie. Paris, Dunod, Collection Psychothérapies, 2008,
304p.
20) BEHRENDT Alice, MORITZ Steffen. Posttraumatic stress disorder and memory
problems after female genital mutilation. The American Journal of Psychiatry, 2005 Mai
;162(5) : 1000-2.
21) BAJOS Nathalie, BOZON Michel, BELTZER Nathalie. Enquête sur la sexualité en
France. Pratiques, genre et santé. Paris, La Découverte, 2008, 609p.
22) WHO STUDY GROUP ON FEMALE GENITAL MUTILATION AND
OBSTETRIC OUTCOME. Female genital mutilation and obstetric outcome: WHO
collaborative prospective study in six African countries. Lancet, 2006 ; 367:1835–1841.
(la traduction française de l’article est consultable en ligne sur le site de l’OMS à
l’adresse : http://www.who.int/reproductive-health/publications/fr/lancetfgm_fr.pdf ) (page
consultée le 28 octobre 2008).
23) ROSEN Raymond, TAYLOR Jennifer, LEILBLUM S., et al. Prevalence of sexual
dysfunction in women : results of a survey of 329 women in an outpatient gynecological
clinic. Journal of Sex and Marital Therapy, 1993 Fall; 19(3): 171-88.
24) FOLDES Pierre, LOUIS-SYLVESTRE Christine. Résultats de la réparation
chirurgicale du clitoris après mutilation sexuelle: 453 cas. Gynécologie Obstétrique et
Fertilité, 2006; 34: 1137-41.
25) UNICEF, Changer une convention sociale néfaste: la pratique de
l'excision/mutilation génitale féminine [en ligne]. Florence, 2005, Innocenti Digest n°12, 54p.
http://www.unicef-irc.org/publications/pdf/fgm_fr.pdf. (page consultée le 14 janvier 2008).
Dans le document
DOCTORAT EN MEDECINE
(Page 60-65)