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Les publications d'industries : outil de gestion, sociabilité et propagande de

CHAPITRE IV. SOREL, UNE GRANDE FAMILLE? LE RÔLE SOCIAL DES

4.2. Les journaux d'entreprise : une initiative ouvrière

4.2.3. Les publications d'industries : outil de gestion, sociabilité et propagande de

Les deux publications à l'étude voient le jour à l'initiative d'employés des usines. En voyant la popularité de ces parutions et les avantages qu'elles peuvent apporter aux usines, les Simard vont financer leur publication. En fait, l'analyse de l'Écho de la Marine et du 25 Pounders ne fait que confirmer les propos d'autres travaux abordant les journaux d'entreprises. Stéphanie Piette écrit: « la direction tente d’y convaincre les employés qu’ils sont partie intégrante de l’entreprise en valorisant leur travail, elle démontre de l’intérêt pour leur vie personnelle, les fidélise à la mentalité de l’entreprise, utilise un vocabulaire qui fait référence au caractère familial de l’entreprise, etc.55 ». Le journal et la revue étudiés sont des outils pour encadrer les employés, mais outre le financement, les Simard ne semblent pas s'impliquer davantage dans le processus de publication de chaque numéro. D'ailleurs, à l'exception de M. Boulianne qui est engagé par les Simard, ce sont les travailleurs qui participent volontairement et bénévolement à la création de chaque numéro soit du journal ou du magazine. Ainsi, c'est davantage

5325 pounders, vol. 2, no 5, décembre 1944, p. 2. 5425 pounders, vol. 2, nos 10-11, mai-juin 1945, p. 3.

l'opinion des employés que celle de la direction que l'on retrouve au sein des pages de ces parutions.

De plus, les articles ou reportages portant spécifiquement sur les frères Simard sont peu nombreux. Néanmoins, la direction profite à quelques reprises de ces tribunes afin de communiquer avec ses employés. Par exemple, Joseph Simard s'assure de communiquer la fierté qu'il ressent envers les différentes initiatives de ses employés, notamment le journal l'Écho, qui selon lui est plus qu'une publication d'industrie, mais une publication d'intérêt national et même international56. Sinon, Édouard Simard s'adresse aux employés par le biais de l'Écho de la Marine à quelques reprises afin de les rassurer de la reconversion de l'usine une fois la guerre terminée57.

De plus, on insiste à quelques reprises que le journal ainsi que le magazine sont des tribunes faites par et pour les employés. Dans l'édition spéciale du premier anniversaire de l'Écho, on retrouve un reportage sur l'opinion des ouvriers à l'endroit de cette publication58. Somme toute, c'est un journal apprécié par les employés, qui selon la rédaction, se l'arrachent le vendredi à la sortie du chantier. Les publications d'industries sont indéniablement des outils de gestion imprégnés de paternalisme. Les Simard tentent de se présenter en tant que pères de la grande famille des ouvriers sorelois. D'ailleurs, les employés adhèrent à ce discours si l'on se fie à leurs témoignages. Bref, ces tribunes servent autant les intérêts des directions des deux entreprises que ceux des employés.

Il faut également observer ces publications en tant que vecteurs de propagande pour la Seconde Guerre mondiale. Les deux tribunes commencent à être publiées pendant que le conflit mondial sévit. L'Écho continue d'être publié quelques années

56Écho de la Marine, vol. 6, no 1, 14 mars 1947, p. 1. 57Écho de la Marine, vol. 3, no 7, 8 juin 1944, p. 2. 58Écho de la Marine, vol. 4, no 20, 3 août 1945, p. 4.

après la fin des hostilités, tandis que le 25 Pounders arrête d'être publié quelques mois avant la fin de la guerre, mais à un moment où la victoire des Alliés est imminente. Bref, le journal et la revue à l'étude sont publiés dans un contexte où la direction cherche à motiver ses employés à participer à l'effort de guerre sur le front industriel en leur fournissant des tribunes où ils peuvent former une grande famille et où ils peuvent constater les fruits de leurs efforts. Donc, nous reprenons nos propos précédents, soit que les directions profitent de ces publications afin de véhiculer leurs idées et toute information importante. Dans ce cas-ci, ces idées concernent l'importance de l'effort de guerre sur le front industriel. De plus, une fois la guerre terminée, les directions cessent de financer de telles publications. Cette situation est probablement attribuable à la diminution des activités et des retombées économiques. Cependant, elle s'explique aussi en partie par une nécessité moindre de devoir motiver les employés à produire à plein régime dans le but d'assurer la victoire des Alliés.

De surcroît, nous ne pouvons nier le nombre d'articles sur des thématiques en lien avec la guerre. Par exemple, de nombreux articles incitent les ouvriers à participer aux emprunts de la Victoire afin de « combattre l'Hitlérisme »59. Il y a également présence d'éditoriaux concernant le déroulement de la Seconde Guerre et les avancées des Alliés. Dans cette catégorie d'articles, nous retrouvons ceux louangeant les gens de Sorel parti sur le front, les articles sur l'utilisation des canons ou des bateaux construits à Sorel pendant le conflit, ainsi que les articles sur l'importance de l'apport des industries de guerre et de sa main-d'œuvre dans la victoire imminente des Alliés. Notamment, un article sur l'utilisation des canons de 25 livres en Italie se retrouve dans le 25 Pounders de juin 1944 : « Un fait qui contribue à rendre si cher au cœur des ouvriers canadiens ce

genre d'artillerie, est qu'en plus de contribuer grandement à gagner la guerre, il sauve aussi les vies de nos soldats d'infanterie qui, à chaque fois qu'ils se lancent à l'attaque, sont protégés par un puissant tir de barrage60 ». Ceux-ci ne font que renforcer l'idée que ces publications ont contribué à faire accepter certaines idées concernant la Seconde Guerre mondiale, notamment que chaque individu devait faire sa part. Plus encore, chaque individu devait s'assurer de devenir un meilleur travailleur afin de contribuer à l'effort collectif dans ce temps hostile.

Pour conclure, la famille Simard s'implique dans la création d'outils de sociabilité et de ce fait travaille au renforcement de l'idée que les travailleurs font partie d'une même et grande famille. Les frères Simard se positionnent en tant que pères de cette famille de travailleurs et démontrent une certaine écoute à leurs égards. Les publications d'industrie sont indéniablement des outils de gestion imprégnés de paternalisme. Nous observerons cependant que ces tribunes servent autant les intérêts des directions des deux entreprises que ceux des employés. Ce sont autant des outils de renforcement pour la famille Simard que des espaces de sociabilité permettant aux ouvriers de s'exprimer et de sociabiliser. Une fois de plus, les Simard dépassent le rôle de gestionnaire d'entreprises en s'impliquant dans la sphère sociale de la communauté. Grâce à la disparition conjoncturelle du chômage liée à la Deuxième Guerre mondiale et au développement d'instances sociales et culturelles, les querelles de 1937 semblent être du passé. Ils adoptent ainsi une version moderne de l'adage du pain et des jeux afin de contenter la population.