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« L’écart relationnel apparaît quand le corps et le cri, les cris, font loi au lieu de la parole, le corps de l’autre, mon propre corps, mes pulsions, quand la jouissance et la souffrance ne cessent de s’auto-alimenter, quand les images du passé submergent la réalité vécue. Les pulsions agressives qui s’ancrent au plus profond de l’individu ne sont plus dominées, domptées. L’écart relationnel, c’est le drame de l’enseignant qui ne sait plus quoi faire, c’est le drame de l’impuissance quand la domination est l’objet même du travail pédagogique ou tout au moins sa nécessaire condition et qu’elle ne peut se réaliser, c’est le drame de l’angoisse liée à cette impuissance, c’est le drame de celui qui se sent continuellement épié, persécuté. (…) Les écarts dans la relation apparaissent comme le retour du refoulé, l’émergence visible, éclaboussante du psychisme, la démonstration que tout n’est pas réductible (…) à de l’explicite. Toujours une part de l’autre échappe » (P. Jubin, 1993, p. 185, 186).

VI – 1. L’autorité enseignante : préoccupation centrale des rapprochements entre psychanalyse et éducation

VI – 1.1. Critique de l’autorité autoritariste : l’enseignant confronté à sa propre enfance

Une lecture des rapprochements entre psychanalyse et éducation permet une première affirmation : l’autorité dans sa conception autoritariste inquiète psychanalystes et éducateurs. Datant ce rapprochement d’une conférence de 1908 prononcée par Ferenczy, J.-C. Filloux (1987) souligne qu’il « met en question le caractère répressif de l’éducation de son époque », voyant « notamment dans la pédagogie un « bouillon de culture des névroses les plus diverses » », parce qu’ « elle « néglige la véritable psychologie de l’homme », cultive le refoulement des émotions et mène à une « cécité introspective » » (p. 69-70). En 1925, une deuxième idée essentielle est énoncée par Bernfeld. Il affirme que par sa nature même, la relation pédagogique confronte l’enseignant à son enfance et en particulier à sa propre période œdipienne en lui refoulée, limitant d’emblée son projet éducatif (J.-C. Filloux, p. 74). Dans le même mouvement, des psychanalystes ou des enseignants (Pfister, Zulliger) souhaitent que l’analyse soit connue des éducateurs pour qu’ils agissent envers l’enfant en se retenant de réprimer violemment certaines pulsions, comme les punitions violentes et les châtiments corporels (Zulliger, 1921. In Cifali & Imbert, 1998, p. 110-112). L’idée se développe qu’éclairée par la psychanalyse, « l’éducation doit être prophylactique, avoir pour objectif d’empêcher la formation de névroses » chez l’enfant (p. 71). Un courant de « pédagogues psychanalytiques » émerge entre 1926 et 1937 (J.-C. Filloux, 1987, p. 76-80).

Dans leur introduction aux textes de certains de ces « pédagogues psychanalytiques », Cifali et Moll (1985) relèvent le paradoxe d’un discours éducatif « de l’amour, du bien, du bonheur, de l’idéal », alors que les actes produits « au nom même de toutes ces « valeurs » » s’apparentent « à un véritable « meurtre psychique ». La solitude de l’éducateur abandonné « au désarroi de son incompréhension » en fait un être « constitutivement affecté par une compulsion de répétition » (p. 14)158, qui pratique une autorité autoritariste. Ces thèmes sont présents chez Reich (1926. In Cifali & Moll) lorsqu’il évoque « le désir d’éduquer (…) doublé d’une compulsion sadique à éduquer dont les origines se trouvent dans l’inconscient » (p. 26), ou encore chez Fromm-Reichmann (1934. In Cifali & Moll) lorsqu’il indique qu’un éducateur qui inflige des punitions ou des châtiments corporels (…) agit (…) sous l’emprise de ses pulsions sadiques inconscientes » (p. 41). En 1961, Meng met en rapport les motivations inconscientes de l’enseignant qui punit et son vécu œdipien. Il en conclut que « la contrainte et la liberté sont en premier lieu des problèmes de l’éducateur » (d’après J.-C. Filloux, 1987, p. 81). L’éducation éclairée par la psychanalyse enseigne ainsi que la relation pédagogique place le maître dans un jeu complexe de phénomènes inconscients. Pour Zulliger (1936. In Cifali & Moll), « le pédagogue psychanalytique travaille consciemment avec les phénomènes du transfert, du contre-transfert, du refus, du renoncement, avec le désir d’identification des enfants : il le fait sans « analyser »159 mais à l’aide de réactions et contre réactions correspondantes, par son comportement » (p. 198). Cette conscience qui interroge le rôle d’une formation réflexive des maîtres à la psychanalyse, nécessite que l’enseignant soit « parvenu à résoudre au mieux son propre infantilisme » dans « un sain équilibre de « ses forces psychiques » (p. 202, 203), qu’il ait la possibilité d’élucider le vécu personnel lié à l’éducation subie pendant l’enfance (Behn-Eschenburg, 1934. In Cifali & Moll, p. 213, 217).

Les critiques des méthodes pédagogiques recourant à l’autorité autoritariste, aux châtiments violents ne cesseront pas, comme Baudouin (1964) en est un autre exemple. Plus près de nous, Miller (1984) reprend l’idée qu’une compulsion de répétition marque la relation « éducative » (p. 8). A partir de l’analyse de ce qu’elle nomme la « pédagogie noire », elle affirme que l’adulte livre un combat contre ses propres pulsions inconscientes que l’enfant fait ressurgir (p. 77). La « pédagogie noire » a pour principaux mécanismes la dissociation et la projection (p. 99) : « le principe pédagogique selon lequel il faudrait « orienter » dès le

158 Voir aussi Cifali, 1994, p. 15 ; Blanchard-Laville, 2001, p. 183, 184.

départ l’enfant dans une certaine direction naît du besoin de dissocier du soi les éléments inquiétants de sa propre intériorité et de les projeter sur un objet disponible. Le caractère malléable, souple, sans défense et disponible de l’enfant en fait l’objet idéal de ce type de projection » (p. 112). L’auteur donne une explication analytique des causes des agissements de la personnalité autoritariste, à partir du vécu d’enfants tyrannisés par leurs parents (p. 304). Seule une « démarche qui va de la colère au deuil permet de rompre le cercle vicieux de la répétition » (p. 309). Faut-il considérer que toute éducation soit nocive (p. 118) ? Les analyses de Miller trouvent là leurs limites.

VI – 1.2. Néanmoins, le rôle premier de l’éducation est que l’enfant apprenne à maîtriser ses pulsions

En 1905, Freud avait soutenu dans son texte Trois essais sur la théorie sexuelle que l’enfant était un « pervers polymorphe » soumis à la toute-puissance du principe de plaisir. Il se distanciait par là de l’idée d’une innocence ou d’une bonté supposée naturelle. En 1933, la « Sixième conférence » (1984. 1ère édition 1933) est un tournant décisif quant au rôle de l’éducateur. Alors que jusqu’à cinq ans environ, l’enfant a « un moi inachevé et faible » (p. 197) et « ne possède pas encore de surmoi » (p. 198), le premier rôle de l’éducation est qu’il apprenne à maîtriser ses pulsions160. « Il faut donc que l’éducation inhibe, interdise, réprime » (p. 199). Notre première dialectique de la relation de l’autorité trouve l’une de ses expressions, lorsque Freud interroge les limites, les moments et les moyens de l’interdit : « l’éducation doit donc chercher son chemin entre le Scylla du laisser-faire et le Charybde de la frustration » (p. 200). Dit autrement, il s’agit que l’éducateur dispense « à l’enfant la juste mesure d’amour et conserve (…) néanmoins une part efficace d’autorité » (p. 200). Il s’agit encore de favoriser chez l’enfant la sublimation à la place de la répression et du refoulement (Cifali & Imbert, 1998, p. 91, 92).

Les « pédagogues psychanalytiques » développent ce thème que certains avaient anticipé. Ils insistent sur la nécessité et l’utilité que l’adulte mette en place des frustrations, un système d’interdits que l’enfant puisse intérioriser, afin qu’il passe d’un moi dominé par les exigences pulsionnelles issues du çà dont il parvient difficilement à se défendre, à une personnalité au développement harmonieux insérée dans la société. Reich (1926. In Cifali &

Moll, 1985) considère avec attention « la manière dont l’inhibition nécessaire des pulsions se fait » (p. 21). Hermann (1934. In Cifali & Moll) s’intéresse à la structure psychique de l’obéissance, en dégageant trois moyens de l’obtenir : « le premier moyen s’appuie sur l’instinct de domination et va du châtiment corporel jusqu’à la menace d’un avenir néfaste. Le deuxième moyen fait appel au désir d’être aimé et manie aussi bien la séduction que la menace (…). Le troisième moyen opère avec des arguments de raison ou intellectuels qui risquent de provoquer des conflits » (p. 33). L’auteur ne parvient pas à déterminer « la meilleure façon de procéder » (p. 38, 39). Fromm-Reichmann (1934. In Cifali & Moll) pense que pour imposer ces frustrations nécessaires, « il faut toujours choisir un moment où la relation positive avec l’éducateur est assez forte pour que l’enfant accepte cette frustration au nom de l’amour qu’il lui porte et qu’il la supporte sans qu’elle suscite une réaction de haine trop importante », de peur de provoquer un « conflit insoluble » (p. 43, 44). Bornstein-Windholz (1937. In Cifali & Moll) rappelle que le but des éducateurs formés à la psychanalyse est de « donner à l’enfant un moi aussi équilibré que possible, capable de maîtriser les désirs pulsionnels, les exigences du monde extérieur et du surmoi, un moi qui, dans les situations conflictuelles, ne réagit ni par la fuite, ni par la démission, un moi non inhibiteur et qui ne contrecarre pas les tendances vitales » (p. 45, 46). Elle alerte à la fois sur les méfaits d’une éducation « qui pardonne, qui « comprend » d’une certaine manière », empêchant l’enfant d’apprendre « à affronter les résistances » (p. 54) et sur l’aspect néfaste d’un autre modèle éducatif où l’enfant « ressent ses propres agressions comme interdites » (p. 54). En considérant ces propos, mais également en prolongeant la remarque de J.-C. Filloux (1987) quant à l’écart de signification entre deux traductions proposées du terme versegung

employé par Freud dans sa « Sixième conférence » (interdiction en 1936, puis frustration en 1984) (p. 76), nous comprenons que les tentatives de penser la relation d’autorité à la lumière de la psychanalyse aient pu justifier des pratiques éducatives autoritaristes mais aussi évacuées, comme l’emploi fréquent et ambigu du terme « amour » peut le laisser supposer.

VI – 2. De la perpétuation psychique et sociale de l’autorité autoritariste : la socio-psychogenèse mendélienne

Mendel est certainement l’auteur qui a le plus approfondi l’analyse des mécanismes non seulement « psycho-affectif » mais aussi sociétaux, de soumission à l’autorité autoritariste à l’aide de concepts psychanalytiques. Ce qu’il nomme « le phénomène-autorité » demeure la transmission intergénérationnelle d’une soumission.

VI – 2.1. Culpabilité, chantage à l’amour, conditionnement à l’autorité

Le mécanisme qui préside à la perpétuation de l’autorité trouve son origine dès la naissance. Il se fonde sur la culpabilité du nourrisson devant la peur de perdre l’amour de sa mère (Mendel, 1971, p. 51). Au fur et à mesure que l’enfant grandit, l’adulte joue sur ce ressort du chantage à l’amour pour habituer l’enfant à se soumettre à son autorité : « le très jeune enfant, avant même l’apparition du langage, associera ainsi de manière irréversible, affirmation de soi et perte de l’amour de l’autre. (…) De cette manière, le sujet ne pourra pas évoluer naturellement vers l’autonomie. Sa peur de perdre l’amour des adultes, soigneusement entretenue et cultivée, le marquera d’une empreinte (…) ineffaçable » (p. 53). Mendel (1971) parle alors « d’un véritable conditionnement, au sens pavlovien du terme – (qui) aura pour conséquence de « dresser » le sujet à se soumettre par la suite, une fois qu’il sera devenu adulte, à ceux qui représenteront l’autorité » (p. 52). L’auteur précise encore que « les fondements de la culpabilité restant inconscients – à la fois parce qu’ils sont apparus trop tôt pour être par la suite manipulables par le langage et parce qu’ils sont l’objet d’un refoulement – la base du conditionnement précoce ne pourra devenir consciente ultérieurement pour le sujet adulte », et il conclut : « un enfant conditionné de la sorte deviendra un adulte aliéné, tout au moins partiellement » (p. 52, 53).

VI – 2.2. De la peur au syndrome d’abandon

Ce chantage, cette peur de perdre ce premier objet d’amour qu’est la mère marque durablement l’enfant : il aura peur d’être abandonné. Devenu adulte, il sera « un « abandonnique » recherchant désespérément le grand qui le prendra en charge » (p. 53) : « cette peur anachronique d’être abandonné – anachronique car n’ayant rien à voir avec la réalité actuelle, mais se rapportant uniquement au passé – tel est le fondement psycho-affectif du phénomène-autorité chez l’adulte » (p. 53, 54). Dans son ouvrage de 2002 que nous allons maintenant reprendre, Mendel revient sur ce qui nomme le « syndrome d’abandon », en référence aux travaux de la psychanalyste suisse Guex (1973).

VI – 2.3. D’une source individuelle de l’autorité à sa perpétuation sociale

Mendel (2002) explique qu’en 1910, selon Freud, « l’autorité extérieure tire sa force de son lien avec l’image du père, telle qu’elle s’est gravée dans l’inconscient durant l’enfance.

(…) Il faudra attendre 1921 pour que ces pères soient étudiés par Freud dans le rapport à la société » (p. 51). Mendel note ensuite l’apparition « en 1930, dans Le malaise dans la culture, (…) (d’une) description de la manière dont fonctionne le rapport d’autorité entre psychisme et extériorité sociale ». Nous y retrouvons la peur de la perte d’amour à la petite enfance, puis la conscience de la culpabilité entre trois et cinq ans (p. 52).

Mendel (2002) affirme qu’il existe chez Freud deux sortes de « pères » chargés de « deux contenus psychologiques de l’autorité personnelle » (« naturelle »), qui ne sont pas équivalents s’agissant du recours à la force161 : « l’un correspond à l’image d’un père œdipien « sévère mais juste », et l’autre à une image vectrice de toute-puissance archaïque, de magie et d’arbitraire, de démesure » (p. 59), celui que Freud nomme le père de la horde primitive. Dans la relation, ces deux figures peuvent « interagir (…) avec un secteur particulier de la personnalité de l’interlocuteur et réveiller chez lui (…) la peur ancienne d’abandon d’amour venue de son enfance » (p. 59). Lorsque dans une situation sociale une relation d’autorité se présente à lui, le sujet perçoit des signes qui « induisent, de manière subliminale (…) le sentiment d’une faute ». Selon les figures de l’autorité qu’il a intériorisées, « l’inquiétude du sujet variera » (p. 66), mais elle débouchera « toujours sur l’angoisse d’un retrait d’amour, sous une forme inscrite profondément dans la mémoire du corps » (p. 70), donc sur l’angoisse d’abandon. Cette dernière est « ainsi contrôlée soit depuis l’extérieur (la communauté), soit depuis l’intérieur (les identifications parentales), mais toujours par les autres ». En conséquence, « l’individu restera sa vie durant sous dépendance psychologique des « représentants de l’autorité » (autorité qui) (…) n’est rien d’autre que le nom de cette dépendance psychofamiliale » (p. 71). La spécificité du « phénomène-autorité » réside dans le contrôle social de ce mécanisme de dépendance psychologique.

L’apport de Mendel est décisif pour comprendre les mécanismes socio-psychanalytiques perpétuant les relations de domination exercées par les détenteurs d’un pouvoir social qu’intériorise le sujet. Mais il nous en apprend davantage sur l’abus autoritariste que sur l’autorité elle-même, terme systématiquement connoté négativement. Ce que l’auteur nomme « phénomène-autorité » est l’usage de la force, une violence manifeste162.

161 Mendel (2002) analyse en ce sens deux figures historiques de l’autorité, de Gaulle et Hitler.

162 L’exemple que donne Mendel du face à face avec l’agent de police (ibid., p. 63-68) peut être « lu » différemment si l’on considère que, dans son activité de contrôle dont le but est d’assurer une fonction de protection et de sécurisation de l’automobiliste, l’agent de police met en œuvre des savoirs d’action reconnus comme légitimes par ce même automobiliste au

VI – 2.4. Quelques propos sur l’autorité de l’enseignant

Dans un article consacré à l’autorité des enseignants, Mendel (1993) critique le « familialisme » aliénant des relations enseignant/élève et la difficulté des premiers à faire le deuil d’une autorité autoritariste, qu’ils n’arrivent plus à exercer mais à laquelle ils ne veulent et ne peuvent renoncer (p. 17, 18). Il revient sur l’exploitation sociale d’une culpabilité fondamentale chez tout sujet humain, qu’il nomme « l’exploitation intéressée par autrui de notre vulnérabilité intérieure à l’autorité » (p. 16). Puis il distingue autorité et fermeté, en référence au psychanalyste Mâle163 : « se montrer ferme, c’est rester soi-même, porteur explicite de son propre système de valeurs qu’on donne à voir (le contraire, en somme de la non-directivité) face à l’autre considéré comme un interlocuteur valable. User d’autorité, c’est tenter d’éveiller la culpabilité de cet autre, son angoisse d’abandon – « l’infantiliser » » (p. 17). Mendel semble ouvrir sa réflexion à la nécessité que l’éducateur pose des limites164.

VI – 3. L’autorité dans l’éducation éclairée par la psychanalyse : quelques thèmes

VI – 3.1. Personnalité autoritaire, angoisse

Les travaux coordonnés par Adorno (2007. Edition originale 1950) affirment que « la personnalité autoritaire trouve son origine dans l’enfance de l’individu. (…) Un conflit durable (se construit dans cette période) entre un ressentiment envers ses parents, mais qui est refoulé et un besoin plus puissant de se soumettre à leur autorité. (…) Cette ambivalence explique que l’individu peut se comporter de manière exemplaire en respectant les normes sociales et les lois, qui jouent alors le rôle du surmoi, mais qu’il peut aussi libérer sans contrôle ses tendances agressives, jusqu’alors réprimées et non sublimées, en répercutant ce ressentiment vers les individus et les groupes considérés comme socialement inférieurs » (Lecomte, 2001, p. 44-46).

L’angoisse qui domine la personnalité autoritaire est une question que développe Lobrot (1973). Il insiste sur l’éducation en parlant de carences graves dans le développement regard de son intérêt objectif et du respect de sa dignité humaine. Même portée par une forte « asymétrie des rôles », l’autorité ne conduit pas inéluctablement à la violence.

163 Repris dans Mendel, ibid., p. 18-19.

de cette personnalité. Pour lui, une angoisse qui dénote la peur de l’autre « déclenche directement les conduites autoritaires » (p. 16). Il approfondit son questionnement sur l’origine de l’autorité, expliquant que l’angoisse et la généralisation sont deux mécanismes de « super-défenses » du moi (p. 57 et suivantes). L’être humain est donc fondamentalement marqué par une angoisse se construisant selon un processus qu’il résume ainsi : l’angoisse est produite par des expériences passées fortement traumatisantes plongeant le sujet dans des affects négatifs. Ceux-ci l’amènent à généraliser et finalement à construire de super-défenses destinées à réduire l’angoisse originelle. Conformément à ses orientations éducatives libertaires, Lobrot considère que des « expériences positives (…) doivent être faites le plus tôt possible par l’individu » (p. 94), au risque d’une « élévation du taux de l’angoisse » (p. 95).

La fonction sociale de l’enseignant contribue à augmenter son angoisse. Après d’autres, Furstenaü (1964) observe qu’elle stimule « les dispositions névrotiques susceptibles d’exister » chez les sujets (p. 55). L’auteur estime que « la singularité du rôle du maître tient au fait que celui-ci doit conduire les élèves à adopter ce comportement conforme à l’organisation scolaire, à adopter l’attitude d’enseigné (…) (par des) moyens de contrainte » (p. 57). Mais ces rôles n’empêchent pas les comportements pulsionnels des enfants. Ils génèrent une angoisse chez l’adulte, qui passe d’une « attitude compréhensive à une attitude d’agression plus ou moins manifeste » (p. 58). Par ailleurs, les relations du maître avec sa hiérarchie, de même que sa liberté pédagogique « résiduelle », fragilisent une autorité exercée et vécue personnellement, qui a toutes les chances de réactiver chez l’enseignant « ses propres conflits et désirs inconscients de pouvoir » (p. 61-63). Les risques sont alors grands que le maître exerce un pouvoir selon des sentiments régis par la satisfaction du besoin de dominer l’autre, que l’enseignement soit autocratique ou fondé sur le « laisser-faire » (p. 68-70).

D’autres auteurs relèvent la présence de l’angoisse chez l’enseignant. Kaës (1984a. 1ère édition 1975) considère que « le fantasme de former est une des modalités spécifiques de la lutte contre l’angoisse et les tendances destructrices ; c’est pourquoi il est aussi, dans ses formes les plus pures, un fantasme d’omnipotence et d’immortalité ; la destruction, l’angoisse et la culpabilité figurent toujours sur l’autre face » (p. 2). Nous comprenons avec Abraham (1972) que l’angoisse de l’enseignant naît du décalage existant entre l’image idéalisée qu’il souhaite donner de lui-même et la réalité. Pour J. Filloux (1974), « la problématique de l’autorité comme « don naturel », du « en avoir » ou « ne pas en avoir » » est liée à l’angoisse de la castration (p. 176). Un autre versant de l’angoisse chez l’enseignant est la crainte d’être

dominé ; l’une des causes essentielles de l’excès d’autorité selon Hannoun (1975, p. 111). Pour Ranjard (1984) enfin, « l’angoisse spécifique du métier d’enseignant, c’est l’angoisse que suscite normalement le fait d’être seul adulte face à un groupe de jeunes, égaux entre eux, et dont on ne fait pas partie. (…) (C’est) un risque psychologique (et non physique) : le risque de ne pas réussir à s’imposer » (p. 48, 49). Ainsi, « devenir enseignant implique (…) un rapport de proximité à l’angoisse », à travers ses manifestations : dénégation, déplacement sur d’autres sentiments comme la fatigue ou l’énervement, actes manqués, mains moites, contractures, « manies » (p. 50). Cifali (1994) plaide pour que l’enseignant accepte de se « repérer dans son angoisse, (…) de penser dans l’angoisse, (d’) admettre le doute » (p. 96). VI – 3.2. Groupe et inconscient, fantasmatique de la formation

Voulant approfondir l’article de Freud Psychologie collective et analyse du Moi

(1921), Redl (1942) distingue dix rôles joués par la « personne centrale », dans la formation d’un groupe165 (p. 380). Chaque rôle est associé à des dynamiques affectives et pulsionnelles

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