1.3 Quelques scénarios possibles pour la supraconductivité
1.3.1 Un pseudogap ordonné ?
Sur la gure 1.25 on compare le diagramme de phase des cuprates, en l'occurance celui de Y-123,
et celui d'un autre supraconducteur non conventionnel de la famille des pnictides, Ba(Fe
1−xCo
x)
2As
2(Co-Ba122). Dans le pnictide une onde de densité de spin (ODS) est aaiblie en fonction du dopage
en électrons, x, et disparaît à l'intérieur du dôme supraconducteur. Dans le composé cousin, dopé
en trous, Ba(Fe
1−xP
x)
2As
2(P-Ba122), qui partage un diagramme de phase qualitativement similaire,
nombres de signatures expérimentales indiquent que cette transition de phase se termine sous le dôme
supraconducteur à un point critique quantique (QCP, de l'anglais Quantum Critical Point). Alors
l'ex-plication qui fait le plus de sens est que ce sont les uctuations quantiques associées à ce QCP qui sont
responsables pour l'appariement en paires de Cooper. La ressemblance entre les deux diagrammes de
phases de Y-123 et Co-Ba122 est frappante. Par analogie ce qui semble jouer le rôle de l'ODS dans les
cuprates est le pseudogap. Ce dernier semble, dans Y-123 et de nombreux autres cuprates, se
Figure 1.25 Diagramme de phase température - dopage de (a) Ba(Fe1−xCox)2As2, un pnictide dopé en électrons. Le dôme supraconducteur apparaît autour d'un supposé QCP associé à la disparition d'une ODS. Figure reproduite d'après [128]. (b) Y-123. Le pseudogap semble jouer le rôle de l'ODS par analogie avec le pnictide. Figure reproduite d'après [44].
état ordonné. Une multitude d'ordres diérents ont été proposés jusqu'à présent, incluant des ordres de
boucles de courants [129, 130], un ordre nématique [131] ou encore un ordre de charge uctuant [89, 90].
Au delà de cette simple analogie quelques arguments expérimentaux vont dans le sens d'un
pseu-dogap ordonné. Premièrement de nombreuses brisures de symétries de rotation et/ou de renversement
du temps ont été observées proche de T
∗(voir, par exemple, [130, 132134]). Paradoxalement le fait
que de nombreuses symétries diérentes soient brisées rend la situation complexe. Alors qu'une brisure
de symétrie par renversement du temps est cohérente avec un scénario AF, la brisure de symétrie C
4elle semble indiquer un ordre nématique. Un second argument en faveur d'un pseudogap ordonné est
l'existence même d'un dôme supraconducteur. Un moyen de comprendre simplement l'existence d'un
tel dôme est l'existence d'une compétition entre supraconductivité et un ordre quelconque, disons le
pseudogap, dans la partie sous-dopé du diagramme de phase. Cela explique alors pourquoi le
pseudo-gap frappe le dôme supraconducteur à dopage optimal. La gure 1.26 montre un résultat expérimental
dans LSCO qui va clairement dans ce sens. En substituant du cuivre pour du zinc dans LSCO,
fragili-sant ainsi la phase supraconductrice, le dôme se concentre de plus en plus autour dep
∗. Ce résultat a
également été obtenu dans Y-123, aussi bien en utilisant un champ magnétique [49] que des impuretés
de zinc [135]. Finalement un dernier argument présenté ici pour un pseudogap ordonné est
l'observa-tion d'une transil'observa-tion de phase thermodynamique par Shekter et collaborateurs à T
∗en utilisant des
ultrasons résonnants (RUS, de l'anglais Resonants Ultrasound Spectroscopy) [5]. Dans cette étude est
reporté un changement de pente dans la fréquence de résonance RUS (et donc d'une combinaison de
Figure 1.26 Evolution du dôme supraconducteur dans La2−xSrxCu1−yZnyO4 en ajoutant des impuretés de Zn, d'après [135]. Le diamant rouge indiquep∗.
constantes élastiques) et un pic d'atténuation, tous deux attribués au pseudogap, qui coïncident
éga-lement avec l'apparition de l'ordre magnétique observé par diraction des neutrons [130]. Néanmoins
ce résultat repose sur seulement deux échantillons de Y-123 et est controversé puisque, entre autres,
aucune anomalie associée n'a été observée pour l'heure en chaleur spécique [136]. Il a été proposé,
pour l'échantillon le plus dopé, que les anomalies ultrasonores soient dues à une relaxation des oxygènes
dans les chaines CuO [136]. Aucune évidence pour une telle transition de phase n'a été observée durant
cette thèse pour les diérentes constantes élastiques mesurées au travers de p
∗dans LSCO et Y-123.
Criticalité quantique ?
Dans certains, mais pas tous, les scénarios d'un pseudogap ordonné, celui-ci se termine à un QCP
situé sous le dôme supraconducteur. Dans certains supraconducteurs non conventionnels un tel QCP
sous le dôme supraconducteur ne fait guère de doute. Un parfait exemple est le pnictide mentionné
ci-dessus P-Ba122 [137]. Dans ce contexte des signatures de criticalité quantique sont recherchés depuis
longtemps dans les cuprates. Un résultat récent particulièrement intéressant est l'observation d'une
divergence, du moins un pic étroit, de la chaleur spécique électronique, C
el, à basse température et
précisément àp
∗dans Nd-LSCO et Eu-LSCO [138]. En diminuant la température vers le zero absolu
au dessus d'un QCP la masse eective électronique diverge, l'énergie cinétique des électrons tend à
s'annuler [139]. Un pic dans C
elà basse température est alors une claire indication d'un QCP. En
parallèle est attendu un comportement singulier des quantités thermodynamiques. La variation
atten-due pour la chaleur spécique, C
el∝Tlog(T), a également été observée dans cette même étude. Le
comportement "étrange" de la résistivité électrique est également souvent mentionné pour motiver la
présence d'un QCP àp
∗. Dans de nombreux systèmes où l'existence d'un QCP ne fait plus de doutes
est observé dans de nombreux fermions lourds, supraconducteurs organiques et pnictides proche de la
disparition de l'ordre AF sous le dôme supraconducteur.
Malgré ces arguments en faveur d'un pseudogap ordonné se terminant en un QCP à p
∗d'autres
observations permettent de douter de son existence. Tout d'abord il est utile de rappeler que même s'il
existe un QCP précisément à p
∗cela ne signie pas que le pseudogap lui même est ordonné. Comme
nous l'avons décrit précédemment, dans certains composés, incluant Nd-LSCO, un verre AF semble se
terminer à p
∗. C'est une explication alternative crédible pour expliquer les mesures de chaleur
spéci-que. Nous reviendrons sur ce point dans le chapitre 6. Ensuite concernant les évidences de criticalité
quantique elles mêmes. La comparaison avec un système comme P-Ba122, où un QCP existe bel et
bien, montre que le cas des cuprates est particulièrement atypique [137]. Dans le diagramme de phases
des cuprates, en partant de la région fortement sur-dopé, la résistivité linéaire en T est observée dès
lors que p < p
SC,2, i.e. en atteignant la phase supraconductrice, et non à et/ou proche de p
∗[128].
Le cas de LSCO est frappant, une résistivité linéaire en T est observée sur une gamme de dopage très
large [140]. Si un QCP existe à p
∗il ne semble donc pas conventionnel. Concernant le pic de C
elàp
∗,
jusqu'à présent ce dernier a été uniquement observé dans (Nd, Eu)-LSCO et il reste donc à déterminer
si c'est une propriété générique des cuprates. Finalement une longueur caractéristique divergente àp
∗,
attendue pour un QCP, est toujours manquante.
Dans le document
Etudes ultrasonores de l'état normal des cuprates supraconducteurs à haute température critique
(Page 46-49)