2.2 Champs magnétiques intenses
2.2.1 Champs pulsés du LNCMI-Toulouse
Lorsque l'on veut atteindre des champs magnétiques supérieurs à 45 T de manière non destructive
la seule solution possible est celle des champs pulsés. Cette technique permet d'atteindre des champs
de l'ordre de 100 T sur des impulsions de l'ordre de 100 ms avec une durée proche du champ maximal
beaucoup plus faible. L'utilisation d'une telle technique nécessite donc que la physique, et la mesure
Figure 2.6 Schéma de principe simplié de la production de champs pulsés au
LNCMI-Toulouse. La bobine de champ magnétique pulsé se trouve plongée dans de l'azote liquide (vagues bleues). Une
description de la méthode de production des champs pulsés se trouve dans le texte principal.
Production du champ magnétique
Toutes les mesures eectuées en champs pulsés présentées dans ce manuscrit ont été faites sur
les installations du LNCMI-Toulouse. Le principe de production est celui des champs magnétiques
pulsés dit "crowbar" [145]. Un schéma de principe simplié est proposé sur la gure 2.6. Une source de
courant continue permet de charger un banc de condensateurs de capacité totale C '48 mF jusqu'à
une tension maximale de 24 kV. Plusieurs chargeurs sont disponibles, deux diérents ont été utilisés
pour les mesures de ce manuscrit, un premier permettant d'emmagasiner14MJ d'énergie électrique, le
second6MJ. Une fois que le banc de condensateurs est chargé à la tension désirée, un signal optique est
envoyé à un thyristor ce qui permet aux condensateur de se décharger brusquement dans la bobine de
production du champ magnétique. Le champ magnétique produit durant la décharge est proportionnel
courant électrique, il est maximal à T /4, où T = 2π√LC est la période propre du circuit RLC. À ce
moment précis la tension aux bornes de la bobine U
L = L dI/dT s'inverse, les diodes de puissance
"crowbar" commencent à conduire et court-circuitent les condensateurs. Le champ magnétique décroit
alors de manière exponentielle avec une constante de tempsτ =L/RavecLl'inductance de la bobine
etR sa résistance.
Pour une décroissance lente (et donc une mesure de meilleure qualité) cette résistance doit être
la plus faible possible. C'est en partie pour cela que la bobine, principalement constitué d'un alliage
cuivre-argent, est plongé dans l'azote liquide. Une autre raison vient du fait qu'au cours d'un pulse de
champ magnétique la bobine se réchaue à cause de l'eet Joule, elle passe de 77 K avant le pulse à
'300K après. Les matériaux renforçants mécaniquement la bobine (stycast
R et bre de Zylon) sont
0 2 0 4 0 6 0 8 0 1 0 0
0
2 0
4 0
6 0
8 0
1 0 0
1 4 + 6 M J
m
a
g
n
e
ti
c
f
ie
ld
(
T
)
t i m e ( m s )
1 4 M J
Figure 2.7 Champ magnétique en fonction du temps pour les deux types principaux de
bo-bine utilisés au LNCMI-T durant cette thèse. En noir l'allure du champ délivrée par une bobo-bine 70 T
refroidissement rapide, en rouge pour une expérience 90 T. La "bobine 90 T" est en fait un assemblage de deux
bobines, chacune reliée à un générateur diérent, synchronisés entre eux. Ces données sont extraites durant une
véritable expérience et non un test de la bobine. L'axe des abscisses est ajusté arbitrairement.
avant le tir. Ce renforcement mécanique est là pour empêcher la bobine d'exploser durant le pulse,
lorsqu'elle est soumise à des eorts très importants à cause de la force de Lorentz.
Diérents types de mesures eectuées
Principalement deux types de mesures ont été eectuées sur les bobines résistives du LNCMI-T.
Le premier type de mesure utilise les "bobines 70 T" à refroidissement rapide. Ces bobines ont en leur
sein des canaux permettant de laisser passer l'azote liquide pour un refroidissement rapide de la bobine
après le tir. En pratique il est possible de faire un pulse de champ magnétique, et donc une mesure,
toutes les heures avec une telle bobine, à un champ maximal utilisateur de 70 T. Le second type de
mesure utilise les "bobines 90 T" qui permettent donc d'atteindre des champs encore plus intenses,
avec l'inconvénient que ces bobines ne sont pas encore équipées de canaux à refroidissement rapide, il
y a donc un temps de latence entre deux tirs d'environ 2,5 h. Ces dernières sont en fait l'assemblage de
deux bobines, une interne et une externe. Chaque bobine est reliée à un banc de condensateur diérent,
alimenté par un chargeur diérent, le tout étant parfaitement synchronisé. L'allure du champ
magné-tique délivrée par ces deux types de bobines est présentée sur la gure 2.7. On peut clairement y voir
que la durée d'impulsion et le temps passé à fort champ est bien plus important avec la bobine 70 T.
Si la physique ne nécessite pasB >70T il est donc bien plus confortable de travailler avec cette bobine.
Mesure du champ magnétique
Un ingrédient essentiel d'une mesure en champ magnétique pulsé est la détermination du champ
magnétique, à l'emplacement de l'échantillon, durant le pulse. Pour connaître cela nous avons utilisé la
méthode classique : la bobine "pick-up". Une bobine deN spires (en pratiqueN ∼10) de surfaceS est
placée à une distance connue de l'échantillon, les spires étant perpendiculaires au champ magnétique.
Durant le pulse le champ magnétique induit une tension aux bornes de la bobine, égale à la force
électromotrice e. C'est la loi de l'induction de Faraday :
e=−dφ/dt=−N ×S×dB/dt (2.9)
Avecφle ux etB l'induction magnétique. En intégrant la tension aux bornes de la bobine on remonte
donc directement à l'allure du champ magnétique B(t). Cette technique nécessite une calibration de
la bobine pick-up pour connaître son facteur géométrique N×S.
Précautions nécessaires
Plusieurs précautions sont à prendre lors d'une mesure en champ magnétique pulsé :
Tout d'abord le principe de mesure par une bobine "pick-up" nous met en garde. Lors d'un pulse
une tension induite apparaît aux bornes de toute boucle conductrice perpendiculaire au champ
magnétique. Ces tensions induites sont sources de bruit électrique sur la mesure. En pratique
tous les ls sur la canne de mesure sont donc torsadés nement an que chaque tension induite
sur une boucle s'annule avec la suivante.
Ensuite un champ magnétique variable induit des courants de Foucault dans un matériau
conducteur. Ces courants provoquent un échauement par eet Joule et sont donc à
pros-crire pour toute mesure à basse température. La seule manière de s'en aranchir est de bannir
tout matériau conducteur sur la canne expérimentale (du moins à proximité de l'échantillon).
Dicultés inhérentes
Malgré toutes les précautions possibles il reste des dicultés inhérentes aux mesures en champs
magnétiques pulsés :
Le temps disponible pour la mesure est court. La durée totale du pulse est de plusieurs centaines
de millisecondes, ce qui peut paraître assez confortable mais le dB/dt a une forte dépendance
au cours du pulse (voir gure 2.7). La situation la plus critique est celle d'une mesure 90 T
lorsque la bobine interne (responsable du pic n sur la gure 2.7) entre en jeu, c'est à dire
lorsque B ' 35 T. Le dB/dt est alors maximal et la diérence de champ magnétique entre
deux points expérimentaux consécutifs l'est également. Sur les mesures90 T en champs pulsés
présentées dans ce manuscrit on acquiert généralement à une fréquence def ∼70 KHz, soit un
point expérimental toutes les ∼ 15 µs. On en déduit que l'écart de champ entre deux points
expérimentaux consécutifs est alors de l'ordre de 0.6 T. Cette valeur rend tout moyennage
pratiquement impossible, surtout si le signal a alors une forte dépendance en champ, i.e. la
physique est autour 35 T.
Pour atteindre des champs toujours plus intenses il est nécessaire de se restreindre à des bobines
de diamètres limités. L'environnement disponible au nal pour l'expérimentateur sur sa canne
de mesure, donc après insertion du cryostat hélium dans la bobine, est très restreint. Cette
contrainte est bien plus importante lors des mesures 90 T que 70 T. Tout les détails sont alors
déterminants, notamment la taille des échantillons. Pour une expérience d'ultrasons sur une
bobine 90 T la taille disponible pour l'échantillon est d'environ8 mm×1.5mm×3mm.
Enn le dernier point abordé ici est celui des vibrations mécaniques produites lors d'un pulse.
Ces vibrations induisent du bruit sur les mesures. Pour s'en aranchir on essaie au maximum
de découpler le cryostat hélium, qui contient la canne de mesure, du cryostat azote, qui contient
la bobine. On ne peut toutefois au mieux que réduire ces vibrations.