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La proximité dans les circuits courts, au-delà de sa seule dimension spatiale, est majoritairement traitée par des approches pluridisciplinaires (Économie, Géographie, Sociologie, Agronomie) ayant recours au cadre théorique de l’économie de la proximité (Praly et al., 2009 ; Blanquart et Gonçalves, 2011 ; Chevallier et al., 2014 ; Praly et al., 2014). Ce cadre est très pertinent pour décrire et expliquer la façon dont la proximité s'exprime dans les circuits courts en déconstruisant les différentes formes que recouvre la reconnexion entre agriculteurs et consommateurs. Ces études s'attellent alors à différencier les différentes modalités de circuits courts les unes des autres à travers l'observation d'une proximité géographique différenciée selon le type de modalités, une proximité organisée fondamentale dans cette reconnexion entre le monde agricole et alimentaire et un recours à la proximité relationnelle inégal. La dernière étude en date (Praly et al., 2014) précise l’importance des intermédiaires dans l’activation de relations de proximité, en particulier la proximité organisée, ce qui à mon sens renvoie à l’idée des ressources de médiation du cadre de Boulba Ogga et Grosseti (2008).

L’interdépendance entre proximités géographique et organisée a aussi été mobilisée pour analyser la coordination dans les contextes de circuits courts, que ce soit entre producteurs lorsqu’il y a des démarches collectives (Poisson et Saleilles, 2012 ; Mundler et al., 2013), mais aussi entre producteurs et autres acteurs du circuit (Praly et al., 2009) ou entre producteurs et consommateurs (Prigent-Simonin et al., 2012 ; Kebir et Torre, 2013). Tous ces travaux soulignent l’intérêt d’analyser la plus ou moins grande distance spatiale (par la proximité géographique) et relationnelle (par la proximité organisée) entre les acteurs afin de mieux comprendre le fonctionnement de ces circuits.

Pour autant, l'économie de la proximité propose un cadre dont la force est aussi la faiblesse, les différents auteurs s'approprient les concepts de façon variée et débouchent sur des résultats qui ne sont pas nécessairement comparables. Ainsi, Praly et al. (2009) concluent à une proximité relationnelle faible dans les circuits courts, tandis que Chevallier et al. (2014) démontrent une proximité relationnelle forte et explicative de la structuration des circuits courts, à l'instar de Pouzenc et al. (2008) au sujet des Amap en Midi Pyrénées. La raison en est l'usage de la notion de proximité dans des applications sensiblement différentes : Chevallier et al. (2014) abordent la proximité relationnelle entre producteurs et consommateurs dans tous types de circuits courts, tandis que Praly et al. (2009) s’intéressent à la proximité relationnelle entre producteurs et consommateurs de circuits courts avec intermédiaires. Si, prises séparément, ces deux études ont des résultats intéressants, il semble par contre difficile de compiler leurs résultats. Un autre exemple concerne la proximité géographique qui joue bel et bien un rôle dans la structuration des relations entre producteur de panier et client final (Pouzenc et al., 2008) alors qu’elle s’avère moins structurante dans les rapports entre agriculteur et intermédiaire (Praly et al., 2009).

Cette dernière étude corrobore par ailleurs l’idée selon laquelle la proximité organisée s’avère aujourd’hui déterminante pour les relations entre agriculteur, éventuel intermédiaire et client final (Blanquart et Goncalves, 2011). Inégalement mobilisé selon les modalités, la proximité géographique reste une dimension importante des circuits courts, bien que souvent évacuée une fois décrite dans la littérature : qu’en est-il de son rôle précis dans l’organisation des modalités ? A-t-elle un impact sur le choix des localisations et sur l’organisation de l’espace économique (Thisse, 1997) ?

La proximité se définit dans la différenciation de ses dimensions (géographique, organisée, relationnelle) et dans la diversité de leurs mobilisations selon les cas et contextes. Néanmoins, il manque une réflexion sur ce que la proximité implique pour la relocalisation alimentaire que ce soit au niveau des formes d’organisation des filières qu’au niveau des formes de coordination des acteurs. C’est-à-dire au-delà des situations singulières décrites, quelles tendances peut-on observer pour appréhender la propension au changement à laquelle les circuits courts renvoient (section 2 de

l’introduction) ?

Mon approche de la proximité géographique s’inscrit en partie dans la conception que se fait l’économie de la proximité qui correspond à la distance kilométrique entre deux acteurs, pouvant être pondérée par le temps ou le coût de transport et par la perception qu’ont les individus de cette distance (Rallet et Torre, 2004). Ainsi à travers la proximité entre deux individus, c’est la proximité entre la production et la consommation que j’aborde.

Je souhaite revenir plus particulièrement sur l'appropriation du cadre d'analyse de l'économie de la proximité par Praly et al. (2014) car elle propose une approche commune des circuits courts en y repérant quatre dimensions constitutives – spatiale, fonctionnelle, relationnelle, économique – qui sont ensuite traitées par l’analyse des proximités une à une. Cette approche qualitative s’appuie sur différentes études de cas pour tester un cadre théorique de la proximité des circuits courts inspirée de l'économie de la proximité. In fine, ce cadre les amène à proposer une dénomination marquant une différenciation de plus pour les circuits courts : « le concept de « circuits de proximité », définissant des circuits mobilisant les proximités organisée et géographique entre acteurs du système alimentaire en valorisant à la fois la dimension spatiale, l’interconnaissance entre acteurs et la dimension fonctionnelle du circuit. Le concept permet d’appréhender ces objets qui dépassent la définition des circuits courts, mais qui s’imposent aujourd’hui comme une modalité de développement des circuits alimentaires localisés » (Praly et al., 2014). Pour moi l’enjeu n’est pas de définir un nouveau concept à l’instar de circuits de proximité pour définir ce qui participe vraiment d’une relocalisation des filières, mais plutôt de voir comment se définit progressivement un objet circuits courts, car malgré toutes les variations de définition et les acceptions diverses, ce terme persiste dans l’usage et est sujet à un processus d’institutionnalisation. Quant à la question de l’institutionnalisation, l’enjeu réside dans le sens que va prendre la « proximité », une notion qui cherche toujours sa place, tant dans les définitions opérationnelles que scientifiques. Finalement, le cadre proposé par Praly et al. (2014) ne nous apprends

ce que représente la proximité dans les circuits courts et, in fine, comment ses différentes dimensions sont connectées les unes aux autres, il reste néanmoins, à mon sens, à explorer plus avant une application dynamique du cadre : comment s’activent les proximités, selon quels contextes et facteurs ?

En outre, le cadre de l'économie de la proximité implique de prendre en considération les articulations entre types de proximité. Les approches de ces articulations définissent la proximité géographique, dans nombre d’applications du cadre, comme un support, favorable ou non, pour créer de la proximité sociale. Or, cette approche, à mon sens, ne permet pas d'observer la proximité géographique comme un principe d'action dont il faut saisir les formes géographiques qu’il produit et les dynamiques qu’il active. En cela, les géographes pourraient se saisir de ce champ pour décrire et comprendre tout l'enjeu qu'implique la relocalisation des filières agricoles et alimentaires. C’est ce à quoi je me suis appliqué dans le chapitre 1 et 2 en ayant recours à la géographie quantitative.

Par ailleurs, l’approche de la proximité organisée est mobilisée pour comprendre l’organisation dans les circuits courts et non les contextes de développement des circuits courts. Il y a là une sous-exploitation de la capacité du cadre de l’économie de la proximité à produire de l’analyse multi niveau, et à pouvoir passer des niveaux individuels à celui des structures en explicitant les enjeux que cela implique du point de vue de la gouvernance. C’est ce à quoi je me suis appliqué au sujet de l’ORCC dans le chapitre 3 et 4 en ayant recours d’abord à l’économie de la proximité, puis à l’évaluation institutionnaliste.

Ainsi, après avoir eu recours au cadre de l’économie de la proximité pour traiter de la coordination des acteurs à l’échelle régionale (chapitre 3) et avoir pris connaissance de ses applications aux circuits courts j’ai choisi de traiter la proximité comme un facteur explicatif de la relocalisation alimentaire : quels en sont les effets structurants pour le système agricole et alimentaire ? La proximité est le principe de changement porté par les circuits courts. Suite à mon stage à l’Observatoire régional des circuits

courts en 2012, j’ai constaté qu’il existait des fortes attentes de la part de la société civile, de ces réseaux organisés, et des acteurs publics, comme le relèvent Claire Lamine et Yuna Chiffoleau (2012) ou encore comme le suggère le rapport parlementaire présentée par Brigitte Allain sur la relocalisation des filières agricoles et alimentaires en 2015. Ces attentes confortent la nécessité d’observer et de qualifier cette relocalisation. En cela mon travail s’intéresse à un objet inexploré par la majorité des études sur les circuits courts, qui proposent des analyses de cas sur des modalités précises et contribuent ainsi à alimenter un ensemble d’approches singulières (Venn et al., 2006 ; Deverre et Lamine, 2011 ; Mundler et Laughrea, 2016) ou des démarches comparatives dans l’optique d’établir des cadres d’analyse des circuits courts à l’instar de Praly et al. (2014). J’ai privilégié ici deux objets d’étude sans existence formelle ex ante, mais dont j’interroge la structuration comme conséquence du développement des circuits courts et que d’aucuns pourraient, en écho au cadre de l’économie de la proximité, définir comme l’effet de la proximité géographique d’une part et de la proximité organisée d’autre part : soit respectivement les niveaux d’organisation de la relocalisation alimentaire (partie 1) et l’émergence d’une gouvernance régionale comme coordination de la relocalisation alimentaire (partie 2).

4. Observer le développement des circuits courts en