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Protection des droits de l'homme en Fédération de Russie : niveau légal

ÉVOLUTION DE L’ORDRE PUBLIC APRÈS L’ADOPTION DE LA CONSTITUTION DE LA FÉDÉRATION DE RUSSIE

1) Protection des droits de l'homme en Fédération de Russie : niveau légal

441. Avec l’adoption de la Constitution de 1993, la Russie a, elle aussi, emprunté la voie du « jusnaturalisme » dans les affaires de fixation et de défense des droits de l’homme. Conformément à la Constitution de la Fédération de Russie, les droits fondamentaux et libertés fondamentales de l'homme sont inaliénables et appartiennent de naissance à chacun (chapitre 2, article 17). Les droits et libertés de l’homme ont un effet direct. Ils déterminent le sens, le contenu et l'application des lois, l'activité des pouvoirs législatif et exécutif, l'autoadministration locale, et ils sont garantis par la justice (article 18 de la Constitution de la FR).

442. Conformément au modèle du jusnaturalisme, les limitations autorisées des droits et libertés de l’homme doivent être instituées par la loi ou bien sur la base d'une loi (par une procédure légale, notamment)238.

443. Le principe général d’admissibilité des limitations des droits et libertés de l’homme repose sur sa conformité aux objectifs légitimes poursuivis. Dans le droit constitutionnel des pays européens, ce principe s’est établi essentiellement sous l’influence de la pratique de la Cour européenne des droits de l’homme239. Celle-ci reconnaît les limitations

des droits et libertés de l’homme comme légitimes, si elles sont « indispensables dans la société

238 En même temps, Pauline Gervier a raison de dire que «la corrélation entre l’ordre public et liberté soulève, en définitive, des enjeux sans cesse renouvelés. L’étude de la limitation des droits fondamentaux constitutionnels par l’ordre public invite à repenser l’équilibre entre le maintien de l’ordre public et la protection des droits et libertés». (P. GERVIER, La limitation des droits fondamentaux constitutionnels par l’ordre public, Thèse de doctorat en droit, 2013, p. 568).

239 D. HARRIS, М. O’BOYLE, С. WARBRICK, Law of the European Convention on Human Rights, 2nd edition. Oxford, Oxford University Press, 2009, pp. 10-11.

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démocratique ». En donnant une interprétation de cette notion, la Cour a montré que bien que le mot « indispensable » ne soit pas un synonyme du mot « irremplaçable », il ne présente pas, dans le même temps, la souplesse des termes tels que « autorisé », « habituellement », « rationnellement », « raisonnablement » ou bien « souhaitable » ; il sous-entend la présence « d’un besoin social impérieux »240.

444. La Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie déduit le principe de proportionnalité du chapitre 3, article 55, de la Constitution de la Fédération de Russie : « Les

droits et libertés de l'homme et du citoyen ne peuvent être limités par la loi fédérale que dans la mesure nécessaire pour protéger les fondements de l'ordre constitutionnel, de la moralité, de la santé, des droits et des intérêts légaux d'autrui, la garantie de la défense et de la sécurité de l'État. » La Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie, dans ses décisions, part

invariablement du principe que «les limitations des droits et libertés doivent être indispensables

et proportionnelles aux objectifs reconnus sur le plan constitutionnel ; l’État, en assurant un équilibre entre les valeurs et les intérêts défendus par la Constitution, doit utiliser des mesures non démesurées, mais uniquement indispensables et strictement conditionnées par ces objectifs ; les limitations des droits et libertés sont justifiées uniquement si elles répondent aux exigences de la justice, si elles sont adéquates, proportionnelles, conformes et indispensables pour la défense de valeurs significatives sur le plan constitutionnel»241.

240 European Court H. R., Handyside v. the United Kingdom, Judgment of 7 December 1976. Series A. N°. 24. Para. 48; The Sunday Times v. the United Kingdom, Judgment of 26 April 1979. Series A. N° 30. Para. 59.

241 Cf., par exemple : arrêt de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie du 30 octobre 2003, n°15- P // Recueil de la législation de la Fédération de Russie. 2003. N° 44. Art. 4358. Arrêt de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie du 15 décembre 2004. N° 18-P. // Recueil de la législation de la Fédération de Russie. 2004. N° 51. Art. 5260. Arrêt de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie du 1er février 2005. N° 1-P. // Recueil de la législation de la Fédération de Russie. 2005. N° 6. Art. 441.

191 445. Le modèle du jusnaturalisme présuppose également que la limitation des droits de l'homme ne peut pas être illimitée. Aucun but légitime (y compris la défense des droits d’autres personnes) ne justifie une entière privation de l'individu de tel ou tel autre droit ou liberté242. Ainsi, dans la loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne, on peut

trouver une interdiction de limitation excessive des droits de l’homme engendrant une édulcoration de leur substance, exprimée dans le paragraphe 2 de l’article 19, conformément auquel, en cas de limitation par la loi ou bien sur la base de la loi , « il ne doit en aucun cas être

porté atteinte à la substance d’un droit fondamental. » Les constitutions d’autres pays

contiennent également des limitations législatives analogues des droits de l'homme. La Constitution de la Fédération de Russie interdit de «promulguer des lois supprimant ou

restreignant les droits et libertés de l'homme et du citoyen» (chapitre 2, article 55). Cette

interdiction constitutionnelle comporte également une indication sur la nécessité de conserver l'essence ou le contenu fondamental du droit. Cet aspect trouve ses fondements dans la pratique de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie qui, dans ses décisions, a à plusieurs reprises souligné que «lorsque des normes constitutionnelles permettent au législateur

d’instituer des limitations des droits qu’elles fixaient, ledit législateur ne peut pas mettre en œuvre une réglementation qui porterait atteinte à l'essence même de tel ou tel autre droit et aboutirait à la perte de son contenu réel ; les limitations prévues ne peuvent pas toucher la substance même d'un droit constitutionnel, c'est-à-dire restreindre les limitations et l'application du contenu fondamental des normes constitutionnelles correspondantes»243.

242 Idem.

243 Cf., par exemple : arrêt de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie du 2 février 1996. N° 4- P. // Recueil de la législation de la Fédération de Russie. 1996. N° 7. Art. 701. Arrêt de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie du 14 mai 2003. N° 8-P. // Recueil de la législation de la Fédération de Russie. 2003. N° 21. Art. 2058.

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