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L’int´erˆet port´e aux alliages `a haute entropie est principalement dˆu `a leurs propri´et´es m´ecaniques, renforc´ees le plus souvent par une stabilit´e structurale sur une plage importante de temp´eratures. Le durcissement par solution solide suppos´e plus important pour les AHE que pour les alliages conven-tionnels, l’absence de phases fragilisantes, sont autant de points permettant d’atteindre un niveau ´

elev´e de d´eformation homog`ene. Malgr´e d’excellentes propri´et´es mentionn´ees pour certains alliages r´efractaires, l’analyse propos´ee s’int´eressera uniquement aux alliages cfc, objet central de ce travail.

L’alliage ´equimolaire monophas´e CoCrFeMnNi a ´et´e ´etudi´e de mani`ere approfondie en traction monotone [36]. Il pr´esente une limite d’´elasticit´e assez modeste (entre 150 et 410 MPa selon la taille de grains) et une ´elongation `a la rupture tr`es importante (jusqu’`a 60%). Cependant, l’´evolution du comportement de cet alliage avec la temp´erature est inhabituelle.

1.4.1 Propri´et´es m´ecaniques de l’alliage ´equimolaire CoCrFeMnNi

Les premiers essais de traction sur l’alliage CoCrFeMnNi ont ´et´e r´ealis´es par Gali et George [44]. Ceux-ci montrent que la r´esistance `a la rupture et la limite d’´elasticit´e sont fortement d´ependantes de la temp´erature, pour des vitesses de d´eformation de 10−3s−1 et 10−1s−1 (figure 1.17). En revanche, ce qui est relativement inhabituel, Otto et al. ont montr´e que l’´elongation `a la rupture augmente lorsque la temp´erature d´ecroit [36].

Figure 1.17: Evolution de la limite d’´elasticit´e et de la r´esistance maximale de CoCrFeMnNi (ronds) et de CoCrFeNi (carr´es) pour des vitesses de traction de 10−3s−1 (symboles pleins) ou de 10−1s−1

Figure 1.18: Courbes contrainte-d´eformation (conventionnelles) de CoCrFeMnNi `a diff´erentes tem-p´eratures et pour deux tailles de grains diff´erentes (vitesse de traction de 10−3s−1 [36].

Les propri´et´es m´ecaniques aux temp´eratures cryog´eniques ont par ailleurs ´et´e ´etudi´ees en d´etail par Gludovatz et al. [45]. En accord avec les travaux de Otto et al. [36], la r´esistance `a la rupture et la limite d’´elasticit´e de l’alliage ´equimolaire CoCrFeMnNi d´ependent de la temp´erature (figure 1.19). Une t´enacit´e `a la rupture de 217, 221 et 219 MPa.m12 a ´et´e mesur´ee `a 293, 200 et 77 K pour cet alliage. Ainsi, la t´enacit´e `a la rupture ne diminue pas avec la temp´erature, ce qui est assez exceptionnel. Ce comportement s’explique par la pr´esence de nano-maclage `a 77 K, augmentant ainsi le taux d’´ecrouissage et donc la contrainte maximale (figure 1.19). Cependant, l’origine physique de ce ph´enom`ene reste mal connu, et l’hypoth`ese d’une transition cfc → hc `a basses temp´eratures est envisag´ee. En revanche, `a des temp´eratures sup´erieures `a 1073 K, les propri´et´es m´ecaniques de l’alliage se d´egradent (figure 1.18).

Figure 1.19: Evolution de la r´esistance maximale, de la limite d’´elasticit´e et de la r´esistance `a la fracture de CoCrFeMnNi en fonction de la temp´erature. Les traits tiret´es correspondent aux limites

1.4.2 Durcissement par solution solide d´esordonn´ee

Afin d’am´eliorer les propri´et´es m´ecaniques de ces alliages, il est n´ecessaire d’avoir une r´eflexion sur les strat´egies de durcissement. La principale approche consiste `a augmenter le nombre d’obstacles au mouvement des dislocations et d’accroˆıtre la capacit´e d’´ecrouissage du mat´eriau. En se fondant sur les m´ethodes issues de la m´etallurgie traditionnelle, plusieurs pistes sont envisageables, comme l’affinement de la taille des grains [36], la pr´ecipitation d’une ou plusieurs phases [46], ou l’ajout d’´el´ements en solut´e [23]. Cependant, l’int´erˆet port´e `a ces alliages provient de la formation d’une solution solide d´esordonn´ee. L’effet du durcissement par solution solide devient un atout majeur pour les AHE. En effet, en faisant varier le choix des ´el´ements, le nombre d’´el´ements ou mˆeme la composition, l’interaction entre les dislocations et les atomes de tailles diff´erentes aura une influence directe sur les propri´et´es m´ecaniques.

1.4.2.1 Approche exp´erimentale

Gali et Georges [44] se sont int´eress´es au nombre d’´el´ements en comparant l’´evolution des propri´et´es m´ecaniques en traction en fonction de la temp´erature de l’alliage quinaire ´equimolaire CoCrFeMnNi et du quaternaire CoCrFeNi. Comme cela est illustr´e `a la figure 1.17, les deux alliages ont un com-portement identique, malgr´e la diff´erence du nombre d’´el´ements. Pour le mˆeme syst`eme, Wu et al. [47] ont ´etudi´e en traction l’alliage CoCrFeMnNi et ses sous-syst`emes avec 1,2,3 ou 4 ´el´ements en concentration ´equimolaire. Tous ces alliages forment une solution solide cfc et ont une taille de grains similaire (exception faite pour le nickel pur, qui a une taille de grains plus importante). La figure 1.20 r´esume l’´evolution du module d’´elasticit´e, de la r´esistance maximale et de la ductilit´e en fonction de la temp´erature pour chaque composition [47]. Bien que l’effet de durcissement par solution solide soit suppos´e plus important pour un alliage comportant cinq ´el´ements, l’alliage ayant la plus haute limite d’´elasticit´e, la plus haute r´esistance maximale mais aussi la meilleure ductilit´e est le compos´e ternaire CoCrNi. Diff´erentes ´etudes se sont depuis int´eress´ees `a ce compos´e ternaire [48, 49] et ont confirm´e la sup´eriorit´e de ses propri´et´es m´ecaniques par rapport `a l’alliage quinaire.

Cette analyse indique que l’ajout d’´el´ements n’augmente pas n´ecessairement les propri´et´es de l’al-liage. Une ´etude de l’influence de chaque ´el´ement est donc n´ecessaire afin de comprendre ce ph´enom`ene.

L’autre solution permettant d’augmenter les propri´et´es par durcissement par solution solide consiste `

a changer la composition chimique. Laurent-Brocq et al. ont fait varier la composition de l’alliage CoCrFeMnNi [50], afin de mettre en avant l’influence de la concentration en nickel sur les propri´ e-t´es m´ecaniques du syst`eme Co-Cr-Fe-Mn-Ni. Les auteurs ont montr´e que l’alliage de composition

Figure 1.20: Evolution de la limite d’´elasticit´e (a), de la r´esistance maximale (b) et de l’´elongation (c) de diff´erents alliages ´equimolaires appartenant au syst`eme de composition Co-Cr-Fe-Mn-Ni, en

fonction de la temp´erature [47].

Co10Cr10Fe10Mn10Ni60 a une duret´e sup´erieure `a l’alliage ´equimolaire. R´ecemment, Fang et al. ont r´ealis´e une ´etude similaire afin d’analyser l’influence du cobalt sur les propri´et´es m´ecaniques [51]. L’alliage contenant 35 at.% de cobalt poss`ede une meilleure ductilit´e mais aussi une limite d’´elasticit´e plus ´elev´ee que celles de l’alliage ´equimolaire CoCrFeMnNi.

Ainsi, des alliages de composition non ´equimolaire peuvent avoir des propri´et´es m´ecaniques int´ eres-santes et sup´erieures `a celles des alliages ´equimolaires, comme c’est le cas de l’alliage Co5Cr2Fe40Mn27Ni26, ´

etudi´e par Yao et al. [42].

Cependant, ces ´etudes n’ont jamais permis de comprendre pr´ecis´ement le rˆole de chaque ´el´ement au sein d’un syst`eme et ainsi obtenir la composition chimique permettant d’acqu´erir les meilleures propri´et´es m´ecaniques. Plusieurs auteurs se sont alors pench´es sur la mod´elisation du durcissement par solution solide afin de pr´edire les caract´eristiques m´ecaniques en fonction de la composition pour ces alliages.

1.4.2.2 Approche num´erique

Ces derni`eres ann´ees, plusieurs mod`eles bas´es sur l’approche de Labusch [52] ont ´et´e propos´es afin d’estimer la limite d’´elasticit´e des AHE [53–55]. Les pr´edictions effectu´ees par ces mod´elisations semblent fid`eles aux r´esultats exp´erimentaux. Par exemple, Varvenne et al. ont pr´edit efficacement la limite d’´elasticit´e des six alliages ´equimolaires provenant du syst`eme Co-Cr-Fe-Mn-Ni (figure 1.21). De plus, l’´evolution de la limite d’´elasticit´e pour les alliages CoCrFeNi et CoCrFeMnNi en fonction de la temp´erature a pu ˆetre correctement d´ecrite (figure 1.21).

Cependant, pour pr´edire l’effet du durcissement par solution solide, ces mod`eles estiment la dis-torsion de la maille cristalline en fonction de la composition. Ainsi, la compr´ehension de la distorsion de cette maille est un enjeu important. En premi`ere approximation, la distorsion des AHE peut ˆetre d´efinie par le param`etre δ (chapitre 1.3.1). Toutefois, cette d´efinition implique que ce param`etre suive une loi de Vegard [56], ce qui n’est pas le cas, du moins pour les alliages du syst`eme Co-Cr-Fe-Mn-Ni [50]. Une estimation correcte du volume de la maille en fonction de la composition est primordiale. Avec l’ajustement des param`etres du mod`ele il est donc possible de suivre `a certaines donn´ees exp´ e-rimentales, mais la question de la fiabilit´e de ces mod`eles et de la nature physique des param`etres employ´es pour tout le domaine de compositions des AHE reste ouverte.

Finalement, ces divers r´esultats ne confirment pas r´eellement l’hypoth`ese initiale supposant que l’augmentation du nombre d’´el´ements et de leur concentration rendrait plus r´esistant les AHE mo-nophas´es. L’influence de la composition chimique des solutions solides concentr´ees sur les propri´et´es m´ecaniques est plus complexe et reste `a approfondir.

Figure 1.21: Comparaison entre la limite d’´elastict´e exp´erimentale et predite en fonction de la tem-p´erature pour l’alliage (a) CoCrFeNi et (b) CoCrFeMnNi. Comparaison de la limite d’´elasticit´e predite et exp´erimentale pour diff´erents alliages `a haute entropie bas´es sur le syst`eme Co-Cr-Fe-Mn-Ni `a T =

Recapitulation :

— L’alliage CoCrFeMnNi pr´esente de bonnes propri´et´es m´ecaniques, sp´ecifiquement `a basse temp´erature,

— L’augmentation du nombre d’´el´ements ne garantit pas l’augmentation des propri´et´es m´ecaniques,

— L’alliage ´equimolaire n’est pas forc´ement le plus r´esistant,

— L’estimation du durcissement par solution solide semble pertinent par certains mo-d`eles,

— L’influence du nombre d’´el´ements et leur concentration sur les propri´et´es m´ecaniques n’est `a ce jour pas vraiment explicit´ee.