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Propriétés physico-chimiques et pharmacocinétiques

CHAPITRE 2 : LES ANALOGUES ESTERS ET N-METHYL AMIDES

2.3. Résultats pharmacologiques

2.3.2. Propriétés physico-chimiques et pharmacocinétiques

Pour les composés ayant donné une rétention des propriétés pharmacologiques de Leu enképhaline, soit 5 et 9, nous avons testé quelques propriétés additionnelles. Nous voulions mesurer l‟augmentation du potentiel « drug like » induit par les modifications ester et N-méthyl amide.

Un de nos objectifs est qu‟un de nos analogues traverse un jour la barrière hématoencéphalique de façon passive. Dans cette optique, nous avons mesuré l‟augmentation d‟hydrophobicité de nos analogues actifs (tableau 9). Nous avons aussi mesuré les propriétés de la morphine. La morphine qui est active par voie orale est considérée ici comme un contrôle positif en quelque sorte. Pour les composés déjà connus, les valeurs de logD7.4 sont similaires à celles rapportées dans la littérature. Ces

valeurs sont pour la Leu enképhaline : mesurée -0.886, littérature : logD7.07 = -0.845210 et pour la

morphine : mesurée -0.160, littérature : -0.07.211 Les valeurs expérimentales de logD7.4 et de ClogP

calculées montrent des similitudes et dénotent une augmentation de l‟hydrophobicité des composés 5 et 9 comparativement au peptide parent. La modification N-méthyl amide du composé 9 donne la meilleure augmentation du logD7.4 du tableau. Les temps de rétention HPLC sont rapportés. Ils peuvent

être utilisés comme une estimation de la lipophylicité de nos composés. Le temps de rétention HPLC rapporté pour la morphine est très différent des autres à cause de sa nature chimique et de son pKa. Les composés 5 et 9 possèdent encore une grande surface polaire (tPSA). Ces deux valeurs sont plus élevées que celle de la plupart des médicaments connus comme possédant une action sur le CNS.212 Par contre, certains peptides opioïdes linéaires analogues de la dermorphine qui ont des tPSA d‟environ 160 Å ont été démontrés comme produisant des effets antinociceptifs après une administration systémique (injection intraveineuse).213

Tableau 9. Propriétés physico-chimiques des composés 5, 9 et de la morphine. 177

Composé tRa (min) LogD7.4b ClogPc tPSA (Å2)c

Leu enképhaline 8.44 -0.89 ± 0.03 -0.851 199.95

Ester 5 9.93 -0.40 ± 0.02 -0.520 197.15

N-Me 9 9.23 -0.36 ± 0.01 -0.230 191.16

Morphine 1.22 -0.16 ± 0.01 0.571 52.93

a) Temps de rétention : analyse faite sur colonne C-18 Agilent Eclipse Plus, 50 mm × 3.0 mm, 1,8 μm. Solvant A, 0.1% TFA dans H2O; solvant B 0.1% TFA dans l‟acétonitrile; 2 à 98% B dans A durant

20 min; débit : 0.4 mL/min. b) Mesuré selon la technique « shake flask » avec tampon PBS PH = 7.4.167

L‟incertitude (±) : erreur standard à la moyenne (S.E.M.) c) Calculée en utilisant ChemBioDraw 12.0, tPSA : topological polar surface area.

La résistance accrue d‟un lien N-méthyl amide est connue. Plusieurs commentaires provenant d‟autres scientifiques ont surgi lorsque nous avons présenté notre série d‟analogues esters. Ces commentaires portaient sur la stabilité des esters en milieu biologique et l'intérêt de cette fonction isostérique. Pour

vraiment comprendre la stabilité en milieu biologique des analogues 5 et 9, nous avons mesuré celle-ci dans le plasma dilué à 50% (tableau 10). Le temps de demi-vie rapporté pour le composé 5 est semblable à celui de la Leu enképhaline, quoique légèrement inférieur. Pour cette valeur, la différence entre les deux peptides est faible et non significative. L‟analyse des fragments observés par LCMS pour les différents points de la courbe démontre de nombreux clivages du peptide 5. Les clivages des extrémités terminales de même que le clivage du lien Gly-Phe ont été démontrés. L'ester est bel et bien clivé par l‟action des enzymes sur 5. Les segments relatifs à ce clivage ne sont pas présents dans le cas de la Leu enképhaline. Donc, l‟analogue 5 semble plus prompt à la protéolyse. Le remplacement de l‟amide 4 par un N-méthyl amide a donné lieu à un analogue significativement plus résistant aux enzymes du plasma. Les résultats de 9 dans cette expérience en témoignent. La demi-vie de cet analogue dans notre expérience est le double de celle de la Leu enképhaline. Le seul clivage rapporté pour cet analogue est celui du lien Tyr-Gly. Cela démontre possiblement une résistance au clivage du lien Gly-Phe non protégé à l'intérieur de 9.

Tableau 10. Stabilité plasmatique (plasma 50%) des composés 5 et 9. 177

Composé Demi-viea (min) Intervalle de confiance (95%) Produits de dégradation (temps de la première apparition)b

Leu enképhaline 4.7 [4.4-5.2] Gly-Gly-Phe-Leu (5 min),

Phe-Leu (10 min)

Ester 5 3.3 [3.0-3.9] Gly-Gly-Phe-OLeu (5 min), Phe-OLeu (5 min), Tyr-Gly-Gly-Phe (5 min), Gly-Gly-Phe (20 min)

N-Me 9 10.6 [8.6-12.6] Gly-Gly-Phe-N-Me-Leu (5 min), Phe-N-Me-Leu (20 min)

a) Demi-vie : La stabilité des composés a été déterminée avec un appareil HPLC Agilent série 1100 avec colonne C-18 symmetry, 150 mm x 4.6 mm, 5 μm, chauffée à 30 oC, débit 1.2 mL/min, commencer avec 0.1% TFA dans H2O puis 0 à 75% acétonitrile durant 20 min, détection UV à 223 nm.

b) Produits de dégradation : segments peptidiques identifiés par LCMS. Temps de la première apparition : point auquel l‟analyse LCMS détecte le fragment. Ce temps n‟exprime pas la valeur exacte du début de la formation du fragment en question.

Les valeurs de demi-vie dans le plasma (tableaux 4 et 10) ont été calculées à partir de points qui sont rapportés à la figure 67 (Leu enképhaline, 177 analogues A1, 5177 et 9177). Ces valeurs ont été calculées

dans Sigma-Plot et non à partir des courbes de régression (figure 67). Elles sont présentées seulement à titre illustratif. Les courbes de la Leu enképhaline et de 5 sont proches, d‟où leur demi-vie plasmatique similaire. La courbe de 9 se démarque (des deux précédemment mentionnées). À 60 min, il reste encore plus de 10% du peptide de départ. Pour la Leu enképhaline et pour 5, aucune trace de ces peptides n‟était visible au HPLC après 40 min d‟incubation. La courbe du composé A1 se démarque des trois autres. Aucune demi-vie ne peut être rapportée pour A1. On peut quand même observer que 65% du peptide de départ est présent après une incubation de 60 min. Cela signifie qu‟une partie significative du composé a été dégradée.

Figure 67. Comparaison des courbes de dégradation plasmatique pour la Leu enképhaline, A1, 5 et 9. Lorsque compilés, les résultats positifs des tests effectués sur les analogues 2-9 nous démontrent que les composés 5 et 9 ont retenu les propriétés pharmacologiques de la Leu enképhaline (activation DOP).

Les composés 5 et 9 présentent une hydrophobicité accrue. Le composé 9 a fait preuve d‟une résistance enzymatique bonifiée par rapport au peptide parent. Pour une conception future d‟un analogue présentant des propriétés pharmacologiques majorées, la modification de l‟amide 4 en N-méthyl amide semble être une avenue gagnante.

Maintenant, traduisons nos résultats pharmacologiques sur ces deux séries. Il faut regarder les propriétés pharmacologiques de celles-ci et rappeler que les deux isostères utilisés ici sont accepteurs de ponts H. On peut conclure que l‟amide 4, puisqu‟il peut être remplacé par un isostère (seulement accepteur de ponts H) avec rétention complète de l‟activité DOP, doit être impliqué en tant qu‟accepteur de pont H (figure 68). Bien sûr, cette conclusion est reliée à la conformation active de la Leu enképhaline à l‟intérieur de DOP. Pour les autres liens amides, les déductions possibles sont moins claires, bien qu‟elles se soient affinées depuis le chapitre 1 (avec les résultats supplémentaires fournis par ce chapitre). Au chapitre 1, nous avions déduit que le premier amide de la Leu enképhaline n‟est pas impliqué dans des ponts H. Selon ce raisonnement, les analogues 2 et 6 devraient activer DOP. Or, ce n'est pas le cas. Pour le composé 6, l‟encombrement supplémentaire dû au N-méthyle peut être la cause de cet effet. Pour le composé 2, la perte de propriétés pharmacologiques se rationalise plus difficilement. L‟ester devrait être hautement isostérique à l‟amide (et à l‟alcène) et activer DOP. Yves Dory a fait des modélisations sur la Leu enképhaline à l‟intérieur de DOP. Selon ses résultats, cette perte s‟expliquerait par une répulsion électrostatique entre le lien ester et l‟aromatique de la tyrosine qui est située à proximité. Cela a lieu dans la conformation bioactive hypothétique de la Leu enképhaline produite par modélisation de type docking induit.214 La présence de l‟azote dans l‟amide de la Leu enképhaline ne produit pas la même répulsion électrostatique que dans l'analogue 2. Peut-être que cette déduction explique l'activation biaisée de l'analogue 2 entre les tests de MVD et de phosphorylation ERK1/2. Toutefois, nous demeurons convaincus que l‟amide 1 n‟est pas impliqué dans des ponts H. Pour l‟amide 3, les résultats sont moins clairs. L‟analogue ester 4 a une activité modérée sur DOP. Lorsque comparée à l'activité de l'analogue alcène A3, cette activité est plus grande. Donc, on peut penser que le côté accepteur de ponts H de l'ester 4 est nécessaire pour cette rétention partielle. Puisqu‟elle n‟est que partielle, il n‟est pas clair si le côté donneur de l‟amide 3 est nécessaire pour son activité biologique. L‟analogue N-méthyl amide 8 (modifié sur l'amide 3), à cause de son encombrement stérique plus grand, a eu des pertes d‟affinité. Lorsque l‟on compare l‟affinité DOP de l‟analogue 8 avec son affinité pour MOP, on peut constater que cet encombrement semble gêner seulement DOP.215 Le même segment Gly-N-Me-Phe, présent dans le peptide 8, est présent dans le

DAMGO et le DAMME (figure 63). L‟encombrement sélectif pour DOP de Gly-N-Me-Phe est possiblement à l‟origine de la sélectivité MOP du DAMGO. Peut-être que le côté donneur de l‟amide 3 n‟est pas si important. Les conclusions pour l'amide 2 vont toutes dans la même direction. Ni un alcène (A2), ni un ester (3), ni un N-méthyl amide (7) ne peuvent remplacer l‟amide 2 avec une quelconque rétention de l‟activité pharmacologique de la Leu enképhaline. Donc, le caractère donneur de pont H de cet amide doit être important pour la liaison et l‟activation DOP. Tout cela porte à croire que le caractère accepteur de cet amide 2 n‟a pas un grand rôle à jouer dans l‟activation DOP. Guillaume Langlois a synthétisé un analogue de la Leu enképhaline comportant un meilleur donneur de pont H (un thioamide; -CSNH-) qui remplaçait l‟amide 2. Comme décrit dans la littérature, il a aussi observé une potentialisation des propriétés pharmacologiques.216 Tout cela vient appuyer nos présentes déductions. D‟ailleurs, l‟activité supérieure de cet analogue thioamide porte à croire que cet amide donne un pont H à DOP dans une interaction intermoléculaire. En somme, notre vision des interactions de la Leu enképhaline et DOP (figure 68) s‟est beaucoup clarifiée lors de l‟étude décrite dans le présent chapitre.

Figure 69. Comparaison des structures bioactives possibles pour la Leu enképhaline (A), alcène A1 (B), ester 5 et le N-Me 9 (C).

Finalement, il faut regarder le problème dans son ensemble. Nous parlons d‟interactions entre la Leu enképhaline et DOP. Donc, il ne faut pas oublier que ces interactions s‟effectuent dans le cadre d‟une conformation active de la Leu enképhaline à l‟intérieur de DOP. Cette conformation est certes influencée par le phénomène du docking induit. Nous avions présenté à l‟article 1 (chapitre 1) que cette conformation active pouvait être de nature tournant β. Nous demeurons convaincu que ce tournant β s‟effectue entre les amides 2 et 4 de la Leu enképhaline. Nos convictions sont appuyées par nos résultats et la modélisation qu‟il a effectuée.214 Lorsqu‟on regarde la figure 69 à l‟encadré A, on peut voir une représentation de cette conformation tournant β active postulée. On peut voir aussi que l‟amide 4 de la Leu enképhaline est impliqué comme donneur de pont H pour stabiliser cette conformation. À l‟encadré A, l‟amide 2 est aussi libre pour donner un pont H au récepteur. De plus, le pont H intramoléculaire déplace la densité électronique de sorte que l‟amide 2 devient un meilleur donneur de pont H.217 Dans le composé actif A1 (encadré B), cet amide est toujours présent. Dans les composés 5 et 9, le caractère donneur de pont H est absent à cette position (encadré C). Donc, l‟obtention d‟une conformation active de type tournant β (encadré A) devrait être plus haute en énergie et abaisser l‟activité DOP de ces analogues. Or, ce n‟est pas le cas. Ces analogues sont actifs sur DOP de même manière que la Leu enképhaline. Une deuxième interaction intramoléculaire possible est présentée dans les encadrés A et C, celle entre l‟amide 1 et le groupement carboxylate. Elle pourrait faciliter le repliement des composés 5 et 9 en tournant β et ainsi venir appuyer cette conformation hypothétique. Une conformation active repliée de la Leu enképhaline dans DOP est certes très probable. DOP peut induire une conformation semblable à celle de la Leu enképhaline dans les composés 5 et 9.

Le coût énergétique associé à cette conformation ne peut être évalué lors d‟une mesure d‟affinité/activité.