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I.3 Les types d’opioïdes

I.3.5. Le concept message-adresse

De toutes les structures présentées précédemment, certaines caractéristiques structurelles communes resurgissent. L‟étude des relations structure-activité des opioïdes est vaste, mais comporte des facteurs communs indéniables. Une des théories les plus reconnues lors de l‟explication d‟une relation structure- activité d‟un opioïde est le concept message-adresse. Ce concept a été introduit par l‟équipe du professeur Portoghese.130 Le concept message-adresse est un moyen de comprendre les relations structurelles des opioïdes. Il permet la conception d‟agonistes ou d‟antagonistes sélectifs pour les différents récepteurs aux opioïdes. Ce concept a d‟ailleurs été validé par les différentes études de mutagenèse37 et de cristallisation des récepteurs aux opioïdes (pour références voir section I.3.6). Dans

ce concept, la partie de la molécule qui est responsable de l‟action sur le récepteur est nommée message. Cette partie interagit avec des acides aminés identiques dans tous les récepteurs aux opioïdes. Donc, la partie message du ligand (en noir) se trouve dans le fond du récepteur (en gris) et possède des interactions qui activent (agoniste) ou pas (antagoniste) le récepteur (figure 35). Ces interactions responsables de l‟action du ligand sont les mêmes dans MOP, DOP et KOP. Donc, si un ligand possède seulement une section message (selon cette théorie), il sera un agoniste ou un antagoniste non sélectif de MOP, DOP et KOP.

À la figure 35 est illustrée la seconde moitié de la molécule nommée l‟adresse. La pochette de liaison des récepteurs aux opioïdes est comme une coupe. Dans le fond de la coupe, les acides aminés sont conservés (message), mais sur le bord de la coupe, certains acides aminés ne sont pas les mêmes entre les différents récepteurs aux opioïdes. Les interactions de la partie du ligand nommée adresse avec cette partie des récepteurs constituée d‟acides aminés non conservés entre les différents types sont responsables de la sélectivité.131 Les résidus des récepteurs ne sont pas les mêmes à cet endroit. Une interaction favorisée avec un de ces résidus entraîne la sélectivité d‟un ligand pour le récepteur en question. De la même manière, une interaction défavorable, comme un encombrement stérique, diminue la liaison du ligand à ce récepteur et donne de la sélectivité pour les deux autres.

De façon standard, les modifications sur l‟adresse du ligand apportent peu ou pas de changement à l‟action agoniste ou antagoniste du ligand.130 En théorie, le concept message-adresse permet de concevoir un agoniste ou un antagoniste et d‟ajuster sa sélectivité pour un récepteur particulier. En réalité, le concept message-adresse est un bon outil de travail et d‟aide à la compréhension. Par contre, quelques exceptions et déviations sont possibles.132 Regardons plus en détail la partie message.

Figure 36. Modèle en trois points.133

À la figure 36 est présenté le modèle de liaison en trois points des récepteurs aux opioïdes. Ce modèle est antérieur au concept message-adresse. Il permet de comprendre l'essentiel de la partie message dans un opioïde de type morphinique (pharmacophore).133 Les deux points qui forment la partie message de la morphine sont le site cationique et le site phénol. La zone hydrophobe est davantage reliée à la partie adresse. Le cyclohexène de la morphine (illustré à la figure 36) n‟est pas responsable de la sélectivité ; il est à noter que la présence ou l‟absence d‟un groupement additionnel à cet endroit de la molécule influence fortement la sélectivité. Le site cationique est une amine basique dans la morphine. Il est relié au caractère agoniste. Pour obtenir un antagoniste, il faut ajouter des groupements encombrants stériquement ou qui diminuent le caractère basique de l‟amine. Le site phénol aussi est relié au caractère agoniste du ligand. Pour le site phénol, la dérivation du phénol en anisole diminue de beaucoup la liaison aux récepteurs aux opioïdes. Encore dans la morphine, la zone hydrophobe ne comporte pas de caractéristiques qui aident à la liaison de KOP. Cette zone hydrophobe (dans la morphine) ne discrimine pas vraiment la liaison de DOP et de MOP.11 Cela explique pourquoi dans le corps humain la morphine

a une si faible sélectivité d‟action sur MOP. Outre la morphine, on peut voir que le site cationique et le site phénol sont présents dans la très grande majorité des opioïdes.

Figure 37. Identification du noyau tyramine, en gras (l‟essentiel du message).

L‟addition du site cationique (amine) et du site phénolique donne le noyau tyramine.134 Dans certains opioïdes, cet ensemble constitue à part entière la section message du ligand. Le noyau tyramine est en fait constitué d‟une tyrosine avec la partie acide carboxylique soustraite. La longueur de l‟espaceur entre le phénol et l‟amine est normalement deux carbones, mais elle peut varier dans certains opioïdes. Dans le BW373U86, elle est d'un carbone et dans le Tan 67, elle est de trois carbones. À l'intérieur du BW373U86, les deux azotes basiques peuvent contribuer au site cationique nécessaire.135 L‟identification du noyau tyramine dans un opioïde est quelque chose de simple. Par contre, certains opioïdes n‟en possèdent pas, comme la Salvinorine A (figure 8).136 L‟identification de la section adresse du ligand est parfois plus ardue. Nous allons survoler les différentes adresses qui peuvent être utilisées pour obtenir de la sélectivité pour MOP, DOP ou KOP.

Figure 38. Identification de l‟adresse MOP.

L‟adresse nécessaire pour obtenir de la sélectivité MOP est difficile à décrire (figure 38). La section adresse d‟un ligand sélectif MOP est normalement petite et dépourvue de fonctions ionisables. Elle est normalement assez hydrophobe et comporte un donneur ou un accepteur de pont H. On peut voir que la zone du ligand qui donne la sélectivité MOP peut être différente. Le tout dépend du type du ligand (morphinique, peptidique, etc.). La partie message du ligand a un grand impact sur le positionnement et la conformation du reste de la molécule dans MOP. Donc, la partie adresse doit être ajustée en fonction de la partie message.

Figure 39. Identification de l‟adresse DOP.

Pour ce qui est de la partie adresse DOP, les similitudes entre les différents types d‟opioïdes sont plus grandes (figure 39). Normalement, la partie adresse DOP est constituée d‟une fonction hydrophobe plus encombrante que l‟adresse MOP.47 La partie adresse DOP peut comporter un groupement aromatique. L‟hydrophobicité de ce groupement est dénotée comme étant plus importante que sa capacité à faire des interactions de type empilement π. De plus, la partie adresse peut comporter une fonction anionique. Elle est souvent un carboxylate dans le cas des peptides sélectifs DOP (comme DPDPE figure 39, DADLE figure 28 ou Deltorphine II figure 20). On peut voir que les adresses sont les plus similaires entre ligands de même nature. Le mode de liaison de DOP est quelque peu différent entre les différents types d‟opioïdes. L‟adresse doit être ajustée en fonction de l‟impact du reste de la molécule.

Figure 40. Identification de l‟adresse KOP (partie basique de l‟adresse).

La partie adresse des ligands sélectifs KOP est plus évidente à rationaliser. La sélectivité KOP/MOP et KOP/DOP est plus facile à obtenir chez un ligand que la sélectivité MOP/DOP qui reste un plus grand défi.137 L‟adresse KOP est essentiellement une fonction cationique souvent constituée de l‟acide conjugué (cation ammonium) d‟une amine basique (figure 40). Une des premières applications de ce concept message-adresse sur KOP est l‟antagoniste sélectif GNTI (guanine naltrindole).138 Les dynorphines comportent aussi des sections cationiques qui leur confèrent leur sélectivité en tant que ligands endogènes. Ces sections sont constituées de plusieurs acides aminés basiques protonés. Dans la molécule de nor-BNI, qui est en fait un dimère symétrique, une des moitiés du dimère interagit comme le message et l‟autre moitié comme l‟adresse. Un des deux atomes d‟azotes protoné fait partie du message dans une des moitiés. L'autre atome d‟azote protoné donne une adresse cationique (KOP) avec l‟autre moitié. Cela explique la sélectivité de cet antagoniste.139 Certains agonistes sélectifs KOP,

comme le U50-488 (figure 16), ne respectent pas exactement le concept message-adresse. Leur mode de liaison différent explique que leur sélectivité échappe un peu au concept.