• Aucun résultat trouvé

Nous venons de décrire l’agencement global des atomes de manganèse ainsi que la structure cristalline qu’ils adoptent, et nous avons vu que la démixtion entre le germanium et le manganèse provoque la formation de nanocolonnes riches en manganèse dans une matrice de germanium quasi pure. Nous allons maintenant nous intéresser aux propriétés magnétiques des échantillons, à savoir : (i) le type de magnétisme et éventuellement la température de Curie, (ii) la taille magnétique des objets observés et (iii) une éventuelle anisotropie magnétique. Comme nous le verrons, ces pro- priétés vont, à l’image de la morphologie des nanocolonnes, fortement dépendre des conditions de croissance. Nous décrirons dans un premier temps ces trois propriétés, comment elles sont mesu- rées et des résultats préliminaires, et nous ferons ensuite une synthèse des résultats pour tous les échantillons.

Magnétisme, température de Curie Afin d’étudier le magnétisme des échantillons fabriqués, une étude des courbes d’aimantation à saturation en fonction de la température a été effectuée. Un exemple de résultat est donné en figureI.18. Il apparaît que ces résultats peuvent être interprétés comme la somme de deux contributions :

– une contribution paramagnétique, visible à basse température, qui est attribuée à des atomes de manganèse dilués dans la matrice de germanium ;

– une contribution ferromagnétique attribuée aux nanocolonnes, avec une température de Curie d’environ 200K.

On peut par ailleurs remonter au moment magnétique par atome de manganèse en normalisant le signal magnétique total par le nombre d’atomes de manganèses présents dans l’échantillon.

Taille magnétique La taille magnétique est simplement la taille des objets magnétiques. Cette donnée est importante puisque pour les objets ferromagnétiques de taille nanométrique apparaît le phénomène de superparamagnétisme. Ce phénomène est lié au temps de mesure. Si au cours de la mesure, l’orientation magnétique de l’objet s’inverse, alors la mesure indiquera un magnétisme nul alors que ce n’est pas le cas. En étudiant la température de blocage, c’est-à-dire la température à laquelle on “dégèle” les objets magnétiques, on peut remonter à leur taille. Cette température

FIG. I.18 – Aimantation à saturation (en µBpar atome de manganèse) en fonction de la température pour 4 échantillons élaborés à 100°C avec différentes concentrations en manganèse. a) Données brutes. b) Ajustement des valeurs expérimentales par un modèle à deux contributions : une contri- bution paramagnétique (Brillouin 3/2) et une contribution ferromagnétique dont la température de Curie est d’environ 200K (tiré de [47])

de blocage est mesurée par la méthode de ZFC-FC (pour Zero Field Cooled - Field Cooled). Un exemple de mesure est donné figureI.19. L’interprétation des résultats donne dans ce cas-là une taille magnétique 4 à 5 fois inférieure à la taille des nanocolonnes, ce qui signifie que les colonnes ne se comportent pas comme des objets continus, mais comme des morceaux séparés.

Anisotropie magnétique L’anisotropie magnétique est la propension d’un matériau à être ai- manté dans une direction de l’espace plutôt que dans une autre. Elle a deux origines :

– l’anisotropie magnétocristalline, via le couplage spin-orbite, qui est due à une brisure de symétrie autour des atomes magnétiques, qui peut être causée par la symétrie du cristal, ou par une contrainte uni- ou biaxiale ;

– l’anisotropie de forme, qui est la conséquence de la minimisation de l’énergie magnétique, et donc de la fermeture des lignes de champ. Elle a tendance à aligner l’aimantation avec la direction de plus grande dimension.

La procédure pour mesurer cette anisotropie est simplement de relever la susceptibilité magnétique selon différentes directions de l’espace. Un exemple est donné figureI.20 où seulement deux di- rections ont été testées, pour un échantillon de Mn5Ge3. Il apparaît dans ce cas-là que la direction planaire est la direction de facile aimantation. A l’inverse de cet exemple, les nanocolonnes n’ex- hibent pratiquement pas d’anisotropie magnétique, et ce malgré leur aspect très allongée qui ne doit pas manquer de générer une forte anisotropie de forme. Une explication possible est une compen- sation de l’anisotropie de forme par une anisotropie magnétocristalline. Néanmoins, seules deux directions ont été testées, et il n’est pas exclu qu’une anisotropie puisse se manifester dans une direction non sondée.

Les tendances Sans rentrer plus en détail dans l’analyse des résultats expérimentaux, une étude de nombreux échantillons fabriqués dans diverses conditions de température et de concentration en manganèse montre qu’il y a quatre types d’objets magnétiques dans les échantillons :

– la matrice de germanium qui contient entre 1% et 3% de manganèse dilués si on lui attribue la totalité du signal paramagnétique et un moment par manganèse de 3 µB (valeur théorique du manganèse substitutionnel [153]) ;

FIG. I.19 – Mesure Zero Field Cooled - Field Cooled (ZFC-FC) d’un échantillon contenant des précipités de Mn5Ge3, et schémas montrant l’état magnétique des nanoparticules en fonction de la position sur la courbe (de [1] à [5]). La température de blocage apparaît être d’environ 250 K (tiré de [47]).

FIG. I.20 – Cycle d’hystérésis d’un échantillon de Mn5Ge3 selon deux directions différentes du champ magnétique appliqué. La pente à l’origine donne la susceptibilité magnétique. La valeur différente pour les deux orientations indique un axe de facile aimantation dans le plan (tiré de [47]).

ment magnétique par manganèse étant inférieur à 1 µB. Ces nanocolonnes sont superparama- gnétiques indiquant des tailles magnétiques 4 à 5 fois inférieures à la taille des nanocolonnes, et qui n’exhibent pas d’anisotropie magnétique, potentiellement indiquant une anisotropie magnétocristalline de la phase constituant les nanocolonnes. Elles sont présentes dans la plu- part des échantillons, en quantité d’autant plus grande que la température et la quantité de manganèse sont faibles ;

– des nanocolonnes dites “haute TC” dont la température de Curie dépasse les 400K (limite haute de l’appareil de mesure), le moment magnétique par manganèse étant de 4.7 µB. Ces nanocolonnes ne sont pas superparamagnétiques, et n’exhibent pas non plus d’anisotropie magnétique. Elles semblent n’être formées que dans des conditions de croissance très pré- cises : une température de croissance de 130°C et une concentration en manganèse de 6% ; – des précipités de Mn5Ge3 dont la température de Curie est (connue) de 300K et qui sont

en partie superparamagnétiques. Ils semblent présents dans les échantillons élaborés à des températures supérieures à 130°C, même si ni la diffraction, ni la microscopie ne les ont repérés. Il coexistent donc avec les nanocolonnes.

Une phase extrêmement intéressante pour de possibles applications en spintronique semble donc présente. Cependant, aucune corrélation ne peut être faite entre la morphologie des nanocolonnes, leur structure cristalline et leurs propriétés magnétiques, et ce malgré une étude approfondie. À retenir Nous venons de résumer les résultats de la croissance de film de germanium-manganèse par la méthode d’épitaxie par jet moléculaire à basse température. Des observations de microsco- pie montrent la formation de nanocolonnes riches en manganèse (entre 30% et 50%) entourées d’une matrice de germanium quasi pure. Il a été montré que la taille et le nombre de ces nano- colonnes pouvaient être contrôlés dans une certaine mesure via la température de croissance et la quantité de manganèse déposée. De plus, la structure cristalline de l’intérieur des nanocolonnes semble identique à celle du germanium diamant, soutenant l’hypothèse selon laquelle les atomes de manganèse s’incorporent en substitution dans la matrice de germanium.

Des mesures de spectrométrie d’absorption des rayons X ne montrent cependant qu’une seule couche de coordination autour des atomes de manganèse, alors que l’on pourrait s’attendre à ob- server au moins la couche suivante. Une explication possible implique un fort désordre qui règnerait à l’intérieur des nanocolonnes, mais cette hypothèse semble en contradiction avec les observations de microscopie.

Enfin, une étude des propriétés magnétiques révèle que les nanocolonnes sont ferromagné- tiques, exhibant une température de Curie inférieure à 200K dans le cas général, mais supérieure à 400K dans des conditions particulières de croissance. Ces différentes propriétés magnétiques ne semblent néanmoins pas attribuables à des variations de morphologie ou de structure cristalline, puisqu’aucune différence manifeste n’a pu être repérée.

Ainsi, même si ce système a été très étudié expérimentalement, il subsiste des zones d’ombre dont la principale concerne l’origine des propriétés magnétiques exceptionnelles des nanocolonnes “haute TC”. Afin d’apporter un point de vue nouveau sur la question, il a été fait appel à l’outil de simulation, et c’est tout l’objet de cette thèse de répondre à ces questions en suspens.

Documents relatifs