Partie III Élaboration de multicouches magnétiques pour l’étude du
4.3 Jonctions tunnel magnétiques à anisotropies perpendiculaires au plan
4.3.3 Propriétés des jonctions tunnel magnétiques
Influence de l’épaisseur de la couche de CoFeB sur la TMR
Les mesures de magnéto-transport sont faites après recuit et après structuration, suivant le
même procédé que dans le chapitre précédent (par ailleurs décrit dans l’annexe B). Les
jonc-tions définies ont une taille comprise entre 10 et 40 microns. Un contact électrique est pris sur
chacune des deux électrodes. En tension positive, le courant est injecté dans l’électrode
infé-rieure (la borne + du sourcemètre est connectée sur l’électrode supéinfé-rieure). Les mesures sont
réalisées en configuration deux-points, à température ambiante, à une tension de polarisationV
p= + 10 mV.
FIG. 4.5 – Cycle de TMR à température ambiante et conductance dynamique (dI/dV) pour
l’échantillon (Co
0.88Tb
0.12) 20nm / CoFeB 1.5nm / MgO 2.5nm / CoFeB 1.5nm / (Co
0.84Tb
0.16)
20nm / Cu / Pt (échantillon 1312).
La TMR mesurée sur la figure 4.5 vaut 56 %. La résistance surfacique (RA) de la jonction
vaut1.210
−3kΩ.µm
2. La conductance dynamique de la jonction, mesurée en tension, à
tempé-rature ambiante, présente un aspect parabolique, ce qui confirme que l’on a de l’effet tunnel.
Dans l’ensemble, la TMR des jonctions étudiées est comprise entre 50 % et 60 % après
recuit. Cette valeur est inférieure à celle mesurée sur des jonctions à aimantation planaire, pour
lesquelles la TMR était de 130 % (également après recuit à 300˚C). En conservant l’épaisseur
de la barrière de MgO fixe, nous avons dans un premier temps réduit l’épaisseur de la couche de
CoFeB à l’interface. On constate bien une diminution de la TMR, qui passe alors à des valeurs
comprises entre 5 et 15 % (figure 4.7).
En conservant l’épaisseur de la barrière de MgO fixe, nous avons dans un second temps
augmenté l’épaisseur de la couche de CoFeB à l’interface. Le magnétisme de la couche dure
se trouve modifié. À l’heure actuelle, nous n’avons toutefois pas réussi à stabiliser la structure
4.3. Jonctions tunnel magnétiques à anisotropies perpendiculaires au plan
FIG. 4.6 – TMR en fonction de la tension à température ambiante pour l’échantillon
(Co
0.88Tb
0.12) 20nm / CoFeB 1.5nm / MgO 2.5nm / CoFeB 1.5nm / (Co
0.84Tb
0.16) 20nm / Cu
/ Pt (échantillon 1312).
FIG. 4.7 – Cycle de TMR à température ambiante pour l’échantillon (Co
0.88Tb
0.12) 20nm /
CoFeB 1nm / MgO 2.5nm / CoFeB 1nm / (Co
0.84Tb
0.16) 20nm / Cu / Pt (échantillon 1310).
à aimantation perpendiculaire avec un champ coercitif important. Un travail d’optimisation est
encore en cours.
Nous avons cherché à comprendre pourquoi notre TMR plafonne à 60 % à température
am-biante. Comme on l’a évoqué plus haut, pour obtenir des propriétés magnétiques convenables,
nous sommes obligés d’utiliser des épaisseurs de CoFeB réduites. Les mesures de
magnéto-transport ont montré que la TMR des jonctions diminue lorsque l’épaisseur de CoFeB passe de
2 à 1 nm. On peut alors s’interroger sur l’influence qu’a l’épaisseur de la couche de CoFeB sur
le processus de transport tunnel.
En effet, Gradhand et coauteurs [119] ont théoriquement prédit que l’on peut conserver des
effets de filtrage en symétrie même avec des électrodes amorphes, du moment que les
élec-trodes métalliques sont cristallisées à l’interface sur de faibles épaisseurs. Dans le cas du
sys-tème Fe/MgO/Fe, ils ont calculé qu’une monocouche de Fe à l’interface avec le MgO suffit
pour obtenir 500 % de TMR. On ne s’attend donc pas à voir d’aussi importantes variations
de TMR en fonction de l’épaisseur de CoFeB. Notons que cette dégradation de la TMR pour
de très faibles épaisseurs a été constatée dans d’autres travaux expérimentaux [120]. Une
ex-plication à la limitation de la TMR est que le CoFeB ne cristallise pas complètement (soit en
raison de la température de recuit limitée, soit encore à la diffusion de certains matériaux). Mais,
cela n’explique pas de manière satisfaisante la si grande dépendance de la TMR en fonction de
l’épaisseur de CoFeB.
Nous proposons que ce problème provienne (au moins en partie) de la non-continuité de la
couche de CoFeB déposée sur le MgO, situation déjà suspectée plus haut. Pour vérifier ce qu’il
en est dans notre cas, nous avons mené une étude des propriétés magnétiques en température
de monocouches et de multicouches CoFeB/MgO, pour lesquelles l’épaisseur de CoFeB a été
variée de 1 à 4 nm. Le tableau 4.1 récapitule tous les échantillons synthétisés.
Epaisseur CoFeB Monocouches Multicouches
1 nm Substrat/MgO2/CoFeB1/MgO2 Ta5/(CoFeB1/MgO2)x40 /Ta5
2 nm Substrat//MgO2/CoFeB2/MgO2/ Ta5/(CoFeB2/MgO2)x40 /Ta5
3 nm Substrat//MgO2/CoFeB3/MgO2/ Ta5/(CoFeB3/MgO2)x40 /Ta5
4 nm Ta5/(CoFeB4/MgO2)x40 /Ta5
TAB. 4.1 – Liste des échantillons élaborés pour tester la continuité de la couche de CoFeB
(l’épaisseur des couches est indiquée en nanomètres).
Les résultats des mesures de magnétométrie SQUID sont présentés figure 4.8-a. Que l’on
étudie les monocouches ou les multicouches, les résultats sont similaires et les conclusions sont
identiques. Ici, nous ne présentons que les mesures sur les multicouches, car le rapport signal
sur bruit est meilleur.
La figure de gauche présente les résultats sur les multicouches avec 1 nm de CoFeB (des
mesures ont aussi été menées sur des échantillons de 1,5 nm de CoFeB ; leurs comportement
magnétique est identique à celui mesuré pour 1 nm). Les mesures en température ont été
réa-lisées d’abord en refroidissant l’échantillon à champ nul (ZFC, ou zero field cooling), puis en
appliquant un champ magnétique lors du refroidissement (FC, pourfield cooling).
L’aimantation FC des échantillons évolue aevc la température suivant une loi en1/T, signe
d’un comportement paramagnétique (loi de Curie). L’aimantation ZFC (notéeM
ZF C(T)) a un
comportement plus intéressant : dans un premier temps, elle augmente lorsque la
tempéra-ture augmente, jusqu’à atteindre un maximum pour T
max= 50 K. Au-delà de cette
tempéra-ture,M
ZF C(T)décroit en1/T. Ce comportement est la signature magnétique d’une assemblée
d’agrégats superparamagnétiques [103].
En effet, pour des particules magnétiques monodomaines (ce qui est raisonnable ici, du fait
de leur faible taille) et interagissant peu ou pas du tout, leur réponse à un champ magnétique
extérieur dépend de l’amplitude de l’énergie thermique par rapport à l’énergie d’anisotropie de
la particule. Du fait de l’anisotropie de la particule, l’aimantation ne peut prendre que deux
4.3. Jonctions tunnel magnétiques à anisotropies perpendiculaires au plan
FIG. 4.8 – Mesures d’aimantation, en fonction de la température, sur les multicouches
Co-FeB/MgO. A gauche, mesure du moment magnétique d’un échantillon avec 1 nm de CoFeB,
avec (FC) et sans (ZFC) champ magnétique appliqué lors du refroidissement. A droite, dérivée
d[M
ZF C(T)−M
F C(T)]/dT calculée à partir des données de la figure a.
états stables, antiparallèles et alignés selon l’axe de facile aimantation de la particule. Il y a une
certaine probabilité pour que, sous l’effet de l’excitation thermique, cette aimantation bascule
d’un état à l’autre. Le temps de relaxation correspondant, noté τ, est donné par l’expression
suivante, établie par Néel :
τ =τ
0exp
K.V
k
B.T
oùK est la constante effective d’anisotropie magnétique du matériau,V le volume de la
par-ticule, T la température, k
Bla constante de Boltzmann, et τ
0une constante qui vaut environ
10
−10secondes.
Le comportement magnétique de la particule varie donc selon la température. Si l’agitation
thermiquek
BT est très grande devant le termeKV, l’aimantation s’aligne rapidement avec le
champ appliqué. Au contraire, sik
BT est très petit devantKV, la barrière d’énergie
d’aniso-tropie fait que le système va approcher l’équilibre avec un temps de relaxationτ élevé. Si ce
dernier devient plus long que le temps pris pour mesurer l’aimantation, alors l’état d’équilibre
ne peut pas être observé, et les moments magnétiques apparaissent bloqués.
La température pour laquelle le temps de retournement est égal au temps de mesure (τ
m) est
nommé la température de blocage, que l’on noteT
B. On tire son expression de l’équation de
Néel :
T
B= K.V
k
Bln(
τmτ0