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Propriétés de l’abdomen en tant qu’une surface interactive

5.8 Conclusion

6.2.4 Propriétés de l’abdomen en tant qu’une surface interactive

L’orientation de la surface conditionne l’interaction tactile. D’aprèsForlines et al. [2007], la forme du contact de la surface du doigt avec la surface inter- active diffère lorsque l’orientation de la surface est horizontale ou verticale et cette orientation influence la précision du touché. Le choix de l’orientation peut être aussi essentiel selon le type d’interaction envisagé. Par exemple, Pedersen et Hornbæk [2012] ont mis en évidence que le pointage du doigt est plus bref sur une surface horizontale, tandis que le glissement du doigt est plus rapide sur une surface verticale. De plus, la précision du geste de glissement dépend de la précision à laquelle un utilisateur est capable d’en

identifier visuellement la direction [Voelker et al.,2012].

L’orientation de la surface conditionne également la perception de l’orien- tation des utilisateurs lorsqu’ils interagissent avec. En particulier,Wobbrock et al.[2008] ont montré que, en interagissant sur la face arrière d’un appareil mobile tenu dans la main, les utilisateurs reproduisent des symboles alphabé- tiques de deux manières différentes. De plus, le choix de ces représentations est également influencé par la présence de retour visuel ou non. Ces résul- tats coïncident avec les travaux deParsons et Shimojo [1987] qui étudient la perception de l’orientation spatiale sur la surface du corps dans différentes positions. Les résultats identifient différentes représentations mentales pour la tête ou les mains. Cependant, les résultats ne précisent pas de référentiel pour l’abdomen qui ne semble pas être gouverné par une représentation men- tale spatiale particulière. De plus, ici, les expérimentations ont été réalisé en stimulant la peau avec un stylo en plastique par l’expérimentateur. Si les utili- sateurs étaient amenés à réaliser des gestes sur cette surface, les informations motrices et sensorielles des membres actifs pourraient également influence le choix d’une représentation spatiale.

Alors que l’orientation de la surface des membres est très variable, l’orien- tation de l’abdomen connaît peu d’états différents. En situation debout ou assise, il se présente comme une surface essentiellement verticale alors qu’en position couchée, il s’étend quasi-invariablement dans le plan horizontal. Il est intéressant de noter que dans la majorité des situations, les vecteurs nor- maux à la surface de l’abdomen pointent approximativement dans la direc- tion du regard. Cette propriété, sur laquelle nous reviendrons dans la partie expérimentale de ce travail, pourrait avoir une influence sur la représentation interne de l’orientation spatiale des utilisateurs lors de l’interaction sur cette surface.

La perception de l’orientation spatiale, relative à un ensemble d’axes fixés définissant un cadre de référence, doit être basée sur une représentation in- terne de la gravité, et elle doit dépendre du plan dans lequel l’orientation est définie et de la main utilisée pour collecter les informations perceptives [Gen- taz et al.,2008]. La plupart des travaux précédents impliquent des plans fron- taux et transverses situés à distance des participants. À notre connaissance aucune étude ne s’est intéressé au cas où les participants interagissent dans un plan frontal confondu avec la surface de leur propre corps. La perception de l’orientation spatiale dans cette configuration particulière reste inexplorée.

6.2.4.2 Surface non strictement planaire

Contrairement à de nombreuses surfaces interactives comme les tables in- teractives, les tablettes, les téléphones mobiles équipés d’écran tactile ou en- core les tableaux interactifs, l’espace abdominal n’est pas rigoureusement plat. De nombreux résultats montrent que l’interaction sur les surfaces courbes dif- fère de l’interaction sur les surfaces planes. Par exemple, l’inclinaison et le de- gré de courbure d’une surface interactive non plane influencent la précision du pointage avec le doigt et la performance dépend de la posture du doigt [Roudaut et al., 2011]. Dans une autre étude,Voelker et al. [2012] rapportent que les gestes de glissements sont moins performants lorsque qu’ils sont réa- lisés à proximité d’une surface courbe à cause d’un biais de perception lié à ce type de surface. Les performances et le comportement des utilisateurs diffèrent lors d’une interaction avec ce genre de surface. Les surfaces flexibles devenant en ce moment de plus en en plus accessibles et populaires, il semble important de comprendre plus en détail l’interaction sur surface courbe.

6.2.4.3 Surface élastique

Une propriété intéressante de la peau est son élasticité, spécialement mar- quée dans les zones corporelles où elle recouvre du tissu musculaire. En com- binaison avec celle des muscles, cette élasticité se traduit dans le fait que la surface est réversiblement déformable. En appliquant des pressions sur la peau, les utilisateurs ont la possibilité de créer des concavité locales qui pourraient être utilisées comme des puits physiques pour guider des micros- gestes tels que les MicroRolls [Roudaut et al., 2009]. Le degré de pression pourrait aussi être utilisé comme un sélecteur de mode permettant de créer des gestes sémantiques sur la peau déjà exploré dans le cadre de surfaces rigides [Ramos et Balakrishnan, 2007; Heo et Lee, 2012]. L’utilisation d’une surface active, comme la surface du bout du doigt ou de la paume de la main et d’une surface passive support du geste, comme la surface de l’abdomen, pourrait augmenter l’échelle des niveaux de pression discrétisables par les utilisateurs. Enfin, la rigidité de cette surface peut être variable par la contrac- tion des muscles. Il devrait être alors possible de profiter d’une surface à peu prés rigide [Sato et al.,2012b] et d’une surface à retour de force [Lopes et al., 2013].

6.2.4.4 Limitations de la surface

Si l’interaction sur l’abdomen semble présenter de nombreuses caractéris- tiques prometteuses, elle amène également certaines contraintes, qu’il convient

de comprendre pour s’en accommoder.

Du fait de la position de l’abdomen par rapport à la tête, vérifier visuel- lement un geste que l’on est en train d’effectuer sur cette partie du corps demande un effort spécial. Pour tirer le meilleur parti de cette contrainte, les techniques d’interaction sur cette partie du corps devraient tout simple- ment se passer du contrôle visuel en exploitant les retours proprioceptifs originaires, de l’effecteur actif d’une part et, d’autre part, de la surface abdo- minale stimulée par les contacts.

Certaines situations sont susceptibles de compromettre l’usage de l’abdo- men, notamment la grossesse et l’embonpoint. Il reste qu’une meilleure com- préhension du problème pourra éventuellement garantir la maîtrise des tech- niques d’interaction considérées quelle que soit la courbure de la surface ab- dominale.

L’interaction sur l’abdomen ouvre une voie de recherche encore peu explo- rée à ce jour. Dans la suite de ce chapitre, nous nous intéressons à la repré- sentation mentale de gestes effectués sur la surface de l’abdomen, en nous préoccupant de la probable incidence de cette représentation sur le choix et l’exécution des gestes.

6.2.5 Expérimentation : principe de l’expérience

Dans cette étude nous nous sommes demandés comment les utilisateurs se représentaient mentalement dans l’espace la surface de leur abdomen, sa- chant qu’ils devaient tracer des formes sur cette surface en continuant de regarder devant eux. Cette expérimentation s’inspire des travaux de [Parsons et Shimojo, 1987] et [Wobbrock et al., 2008]. Pour comprendre le problème, considérons la Figure6.5. On suppose qu’un participant reçoit, sur un écran placé devant lui, la consigne (délibérément peu précise) de tracer sur son ab- domen le chiffre 2. L’une des solutions possibles pour le participant est de produire sur son abdomen le tracé illustré dans la Figure6.5à l’identique. Ce tracé aurait alors la propriété d’être lisible pour un observateur situé derrière le participant et possédant le pouvoir de lire à travers le thorax du participant. Dans un tel cas, la correspondance entre le stimulus de l’écran et le tracé ab- dominal est directe.

Mais en réalité le participant dispose de quatre options, a priori toutes correctes, indiquées dans la Figure 6.6, et qui se distinguent par l’existence

Figure 6.5: Point de vue de la représentation de l’orientation spatiale

ou non d’une inversion en miroir d’une part verticalement et d’autre part horizontalement. Toute la question est de savoir comment le participant "re- garde" mentalement une surface de son corps qu’il perçoit uniquement grâce à la proprioception. Si, par exemple, il considère son ventre de haut en bas (en s’imaginant baisser simplement le regard), selon toute vraisemblance il dessinera son "2" avec une inversion par rapport à l’axe horizontal et sans in- version par rapport à l’axe vertical (Figure6.6- case sud-ouest), puisque c’est la seule option qui, depuis ce point de vue, conserve la lisibilité du chiffre.

Pour faciliter l’analyse de cette question, nous avons décidé de demander à nos participants de tracer non seulement des chiffres, qui requièrent un geste complexe d’écriture, mais aussi de simples directions linéaires identi- fiables par leur seule direction (haut, gauche, bas, etc.). Notons qu’avec ce type de gestes, on retrouve la logique des Marking Menus [Kurtenbach et Buxton, 1991]. La manière de tracer les dix chiffres et les huit directions est illustrée dans la Figure6.8.

Outre la nature, directionnelle ou numérale du matériel, nous avons mani- pulé dans l’expérience le mode de présentation du matériel (voir la Figure6.7). Le matériel, chiffre ou simple direction, pouvait être présenté soit sous forme graphique comme dans la Figure 6.8, auquel cas il s’agissait de recopier la forme, direction ou chiffre, affichée à l’écran, soit sous forme textuelle, au- quel cas le tracé devait être synthétisé ex nihilo par le participant.

Il est important de remarquer que dans cette étude nous ne nous intéres- sons pas à la qualité des tracés mais à la direction spontanée des tracés.

l l y g e s t u r e s : e x p l o r a t io n d e s g e s t e s s u r l a s u r f a c e d e l’ a b d o m e n 119

Haut

Haut

Droite

Droite

Bas

Droite

Bas

Bas

Gauche

Gauche

Haut

Gauche

Un

Deux Trois Quatre Cinq

Six

Sept Huit Neuf Zéro

G raphique G raphique Te xtuel Te xtuel Matériel Numéral

Figure 6.8: Stimuli utilisés pour l’expérimentation : dans la partie supérieure, les stimuli pour le matériel directionnel ; dans la partie inférieure, les stimuli pour le matériel numéral