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III. Le Merveilleux Noir : un genre propice à l’apprentissage

3. Proposition de séquence

3.1. Justification du choix de l’œuvre

Les contraintes matérielles et temporelles nous ont obligée à restreindre notre champ d’étude. Les objectifs que nous nous étions fixés en début de recherche, à savoir explorer les quatre œuvres du corpus pour étudier la figure de l’apprenti n’ont donc pas été atteints. Cependant, il nous a été offert de tester une séquence en littérature dans une classe

161 TAUVERON, Catherine, op.cit., p. 81.

de CM1, située en zone REP dans le bassin minier de Douai, sur la période 4, allant du 22 février au 1er avril (6 semaines). Opportunité que nous avons saisie.

Les modalités imposées par l’enseignante ont été les suivantes :

- possibilité offerte de choisir une des deux œuvres littéraires de notre corpus initial ; - proposer des extraits de l’œuvre en question et n’excédant pas 30 lignes ;

- concevoir 7 séances en tout, d’une durée de 45 minutes ;

- reprise possible des séances sur le plan pédagogique dans le cas où l’enseignante juge inadaptées certaines questions ou certaines modalités.

Bien que le texte intégral soit difficile (vocabulaire relativement pointu), non illustré (mais avec des cartes !), parsemé de longues descriptions, et qu’il s’agisse d’une traduction162 (version française de The Hobbit, traduit de l’anglais par Francis Ledoux), notre choix s’est porté sur Bilbo le Hobbit de John Ronald Reuel Tolkien. D’une part parce que c’est une figure maître du genre et qu’il a marqué l’histoire de la fantasy, d’autre part parce que l’enseignante avait déjà abordé en période 3 des extraits de l’oeuvre Harry

Potter.

Il existe de nombreux auteurs français, talentueux, représentatifs du genre fantasy mais nous trouvions intéressant de présenter aux élèves un auteur emblématique issu d’un pays par où tout a commencé. Nous assumons donc notre choix de n’avoir pas sélectionné un ouvrage issu du patrimoine et de la liste de référence pour le cycle 3 réactualisée par Eduscol en 2013 (L’auteur est présent avec l’œuvre Le fermier Gilles de Ham). Notons toutefois que cet ouvrage est actuellement sur la liste des recommandations pour les élèves de primaire de Grande-Bretagne. Outre la reconnaissance internationale des critiques littéraires on reconnaît donc un intérêt pédagogique à cette oeuvre163.

C’est aussi l’occasion pour les élèves d’aborder une culture qui n’est pas la leur, la culture anglo-saxonne étant par ailleurs étudiée sous un autre angle à travers

162 Cela pose évidemment le problème des choix de traduction. Mark Schwass, dans son analyse critique de la

version française de The Hobbit, explique que le traducteur doit toujours osciller entre une traduction fidèle au risque de distancier le lecteur et une adaptation qui faciliterait l’identification et l’adhésion. C’est dire l’importance pour le traducteur de re-contextualiser le récit, de l’inscrire à la fois dans une autre culture tout en préservant un peu l’originale. Un autre problème concerne l’oralité. Une fois traduites, les phrases ne « sonnent » plus de la même manière. Or les sonorités des mots, les rimes, le rythme et la complexité des phrases, en somme ce qui constitue la forme des phrases a autant d’importance que le fond. Les jeux de mots, chansons et énigmes qui parcourent The Hobbit en sont un bel exemple. Voir SCHWASS, Mark (2008). La

traduction de la littérature enfantine : analyse critique de la version française de The Hobbit de J.R.R. Tolkien, Mémoire de Licence, université de Genève.

163 En 1937, Bilbo le Hobbit est nommé pour la médaille Carnegie Medal in Literature, en 1938, le New York

Herald Tribune décerne à The Hobbit le prix du meilleur livre pour enfants de l’année, en 1999 il est reconnu

par le magazine Books for Keeps comme « le roman le plus important du XXe siècle » dans la catégorie older

l’enseignement des langues vivantes. Un pont peut-être établi (voir prolongement proposé en séance n° 5, voir annexe 1).

De notre point de vue, le récit est bien adapté aux jeunes élèves (Tolkien a d’abord destiné cet écrit à ses propres enfants avant que des adultes ne s’y intéressent) car empreint d’oralité comme dans les contes pour enfants. Le narrateur interpelle régulièrement le lecteur et le récit se fait sur le modèle d’un adulte qui raconte une histoire à des enfants : « Pour vraiment comprendre le Hobbit, il faut penser à Tolkien, ou à un autre adulte, assis sur une chaise près d’un feu en train de raconter l’histoire à des enfants assis par terre en demi-cercle face à lui »164

L’humour est également très présent et même s’il est connoté culturellement, comme lorsque Bilbo est comparé à de la gelée fondante (« tremblant comme une gelée fondante », B.L.H., p. 24) référence qui pourrait échapper au lecteur et le distancier, certaines paroles ou situations sont suffisamment universelles pour faire mouche auprès du lecteur (la chanson des nains à propos de leur supposée manière de faire la vaisselle et qui ridiculise Bilbo, B.L.H., p. 19 ; l’arrivée successive des nains chez Bilbo qui se sent alors dépassé, B.L.H., p. 13-17).

3.2. Justification de l’objet de l’étude et présentation de l’objectif de séquence

Nous avons connaissance que l’imaginaire du lecteur est davantage sollicité par le récit intégral (lecture in extenso) que par un récit découpé, mais les contraintes nous ont obligée à repenser l’approche de l’œuvre.

Nous aurions pu choisir de résumer les parties manquantes entre chaque extrait proposé (ce qui dès lors aurait constitué une lecture in extenso) mais nous avons préféré une étude essentiellement centrée sur le premier chapitre, celui qui fait naître au même titre que l’incipit165, un effet de désir chez le lecteur. Comme le précise Andréa Del Lungo, l’incipit est un « lieu stratégique et décisif visant à susciter en nous la jouissance de commencer,

164 KOCHER, Paul (1981). Les clés de l’œuvre de J. R. R. Tolkien, Éditions Retz, p. 34.

165 Selon le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, incipit vient du latin classique incipere

qui signifie « commencer », permalien : http://www.cnrtl.fr/etymologie/incipit. Ce terme désigne « les premiers mots d’un manuscrit, d’un texte », permalien : http://www.cnrtl.fr/definition/incipit.

Mais pour Andrea Del Lungo, il est parfois impossible de le délimiter, c’est pourquoi il préfère « [considérer]

une première unité du texte » : « En réalité, même sur ce point fondamental, la critique semble avoir quelques

incertitudes : certains (parmi lesquels Claude Duchet et Raymond Jean) adoptent le critère « sûr » de la première phrase (alors que, dans une bonne partie du roman contemporain, il est parfois impossible de la délimiter : que l’on pense à Beckett, Simon ou Solers) ; d’autres (par exemple Graham Falconer et Jacques Dubois) préfèrent parler d’ « entrée en matière », pour désigner une première unité du récit (de l’incipit à la fin de la première scène), sans pour autant proposer des critères de découpage […], dans DEL LUNGO, Andrea (2003). L’Incipit romanesque, Paris, Éditions du Seuil, coll. Poétiques, p. 51.

ainsi que le désir de poursuivre la lecture. Le but ultime du commencement ne peut en effet être que celui de capturer le lecteur, de le conduire par l’écriture dans un autre temps et dans un autre espace, tout en l’éloignant du monde réel »166.

Ainsi, nous poursuivons un des enjeux majeurs de la lecture scolaire (et extra-scolaire), celui de développer le goût de lire et le plaisir de lire (programmes, B.O. n°3 du 19 juin 2008).

Traiter la figure de l’apprenti (ou du héros sur le modèle de la quête initiatique) aurait nécessité d’aborder l’oeuvre dans son intégralité, car il faut du temps pour percevoir que ce roman montre aussi un apprentissage implicite : celui de la vie et du développement personnel. L’intérêt aurait été de voir mûrir Bilbo au fil du temps et de ses péripéties, qui sont autant d’épreuves rituelles, et de le voir devenir lui-même. A travers les extraits étudiés on peut toutefois percevoir une première évolution chez Bilbo et l’analyser. On peut aussi tenter d’aborder la dimension symbolique, non de l’œuvre mais de ce premier rite de passage.

Nous avons donc décidé de focaliser notre étude sur la figure de l’aventurier, qui recouvre en partie celle de l’apprenti. L’avantage est que la perception de cette figure peut-être relativement rapide et s’opérer dès les premières pages du récit. Notre volonté (surtout celle de l’auteur !) a été de montrer très tôt la dualité de Bilbo, ses deux côtés, l’un aventurier, l’autre tranquille. L’objectif général de la séquence (séquence visible en annexe 1), a été de faire évoluer les élèves sur leur perception et leur conception de l’aventurier tout autant que de susciter l’envie de connaître la suite du récit et de favoriser l’adhésion du lecteur.

3.3. Justification des extraits choisis

Le texte a été découpé de manière « stratégique », pour permettre de retracer les grandes étapes de l’évolution de Bilbo : comprendre que Bilbo n’a pas l’intention, au départ, de participer à quelconque aventure, qu’il ne ressemble en rien à un aventurier (sauf à lire entre les lignes), mais qu’il va finir par en devenir un, et pas seulement malgré lui. La morale de l’histoire, si l’on veut qu’il y en ait une, c’est de se convaincre qu’en chacun de nous sommeille un aventurier et que tout le monde peut trouver la force de se surpasser. La récompense : confiance en soi, estime de soi, prise de conscience de son identité. Le but est

166

aussi de montrer qu’un aventurier n’est pas quelqu’un qui n’a jamais peur de rien, au contraire. Simplement, il « fait avec », il affronte la peur et ses peurs.

Le découpage suit la chronologie du récit.

Nous avons également pensé que travailler ce début d’histoire sans révéler l’objet de la quête ni la raison pour laquelle Bilbo avait été engagé, n’avait aucun sens. Contextualiser l’aventure et l’aventurier nous a semblé primordial : partir d’accord, mais pour quoi faire et dans quel but ?

C’est pourquoi nous avons proposé aux élèves de lire à la maison des extraits du récit permettant de répondre à ces questions. Prendre sur le temps de classe aurait encore réduit le nombre de séances consacrées à montrer l’évolution de Bilbo.

Ces textes donnés de manière facultative ont permis entre autre, de mesurer l’adhésion des lecteurs. Pour les élèves non intéressés, l’enseignante aura dès la séance suivante, brièvement répondu à ces interrogations.