La recherche a montré que les mss. de Copenhague, Londres, Tolède et le ms. Madrid
1376 descendaient d’un manuscrit de Soria, d’après le nom de l’un ses propriétaires, Jorge de
Beteta, caballero de Soria. Celui-ci avait offert plusieurs de ses manuscrits à Philippe II, dont
le codex Soriensis, en 1576
211. Les volumes sont alors entrés à la bibliothèque du monastère
royal de l’Escurial, où le codex fut détruit lors de l’incendie de l’établissement en 1671. Le
manuscrit était sans doute rédigé en écriture wisigothique. Il fut copié dans un monastère de la
Rioja ou qui était sous l’influence culturelle de ce territoire, à l’exemple des monastères
d’Albelda et de San Millán de La Cogola. Sa date de composition a été fixée entre la seconde
moitié du X
esiècle et la première moitié du XI
esiècle. À cette époque, deux versions de la
liste wisigothique circulaient donc dans cette région, puisque le ms. Madrid, BRAH, 78, qui
transmet également un catalogue de souverains, fut réalisé dans le royaume de Pampelune
vers l’an 1000.
Récemment, F. Bautista a proposé une restitution du contenu de ce manuscrit perdu, à
partir d’une lecture fine des apographes de l’époque moderne et de deux inventaires. L’un est
conservé à Palencia et dresse une liste de onze manuscrits ayant appartenu à J. de Beteta,
tandis que l’autre se trouve à Besançon et contient une description des volumes entreposés à
l’Escurial entre le 5 mai et le 2 juillet 1576
212. L’ordre des œuvres compilées dans le codex
Soriensis est le suivant : une généalogie biblique, la Chronique d’Alphonse III version ad
Sebastianum, les chroniques d’Eusèbe-Jérôme, de Prosper d’Aquitaine, de Victor de
Tunnuna, de Jean de Biclar, la Chronique de 741, un extrait des Etymologiae d’Isidore de
Séville (VIIII, 11), un texte sur l’histoire de la prise de Troie, une liste des rois et des
210
V
ILLANUEVA(Jaime), Viage literario a las iglesis de España, III, Madrid : en la imprenta real,
1804, p. 196-220, pour une description du manuscrit perdu de Segorbe, et p. 319-322 pour l’édition de
la liste. Également, B
AUTISTA(Francisco), « Juan Páez de Castro, Juan Bautista Pérez, Jerónimo
Zurita y dos misceláneas historiográficas de la España altomedieval », Scriptorium, LXX/1, 2016, p. 6
n. 10 ; C
ARDELLE DEH
ARTMANN(Carmen), Victoris Tunnunensis chronicon..., op. cit.,p. 23*-27*.
211
À propos de ce manuscrit perdu, voir M
OMMSEN(Theodor), M. G. H., Auct. Ant. XI, Chronica
minora saec. IV. V. VI. VII., II, Berlin : Apud Weidmann Villanueva, 1894, p. 165-166 ; D
ÍAZ YD
ÍAZ(Manuel C.), « La transmisión textual del Biclarense », Analecta sacra tarraconensia, 35, 1962, p.
66-68 ; C
ARDELLE DEH
ARTMANN(Carmen), Victoris Tunnunensis chronicon..., op. cit., p. 13*-14* et
p. 77*-93* ; B
AUTISTA(Francisco), « Juan Páez de Castro... », art. cit.,, p. 5-6 et p. 36-48.
212
empereurs romains depuis Octave jusqu’à Tibère III, un exemplaire du Liber historiae
Francorum, l’Historia Gothorum, Wandalorum, Sueborum d’Isidore de Séville, l’Historia
Wambae regis de Julien de Tolède, la liste des rois des Wisigoths, le De breuiario rerum
gestarum populi Romani de Festus, une œuvre intitulée Item Dometius Creticus de inudatione
Nile, l’Item ordo annorum mundi breuiter collectus a domno Iuliano Toletane sedis episcopi
et la Chronique d’Isidore de Séville. Le catalogue wisigothique appartenait à un recueil de
textes historiographiques, dont le noyau fut sans doute constitué avant le X
esiècle
213.
Le Madrid 1346 (désormais O) a été réalisé à la demande d’Ambrosio de Morales en
1572. Des annotations et des descriptions de manuscrits médiévaux, consignées dans ce
volume, indiquent les provenances de certaines pièces, dont celle de la liste des rois. Les
descriptions des manuscrits médiévaux rapportent que O fut constitué à partir de quatre
codices. Le contenu du premier, alors conservé à la bibliothèque cathédrale d’Oviedo, est
décrit au fol. IIIr. Le septième item, intitulé Vulsae chronicon. 18, fait référence au catalogue
des souverains, effectivement situé au fol. 18r. Il suit la Chronique d’Alphonse III version ad
Sebastianum. Une seconde description du Liber uetustissimus Ouetensis ecclesiae, selon le
titre fixé, a été inscrite sur les fol. 116r-v. Elle corrobore et précise la première. Le texte
s’ouvre par ces mots : « La primera cosa que tiene son estas palabras : Pelagius de Obeto
indignus episcopus propria manu scripsit ». Ils signalent que ce vieux manuscrit d’Oviedo a
été composé par Pélage, évêque d’Oviedo (1098/1101-1130). La liste est citée après une
version de l’Histoire des Goths se terminant avec Wamba : « Iterum incipit chronica regum
Vulsae Gotorum y es una recapitulación de años, meses y dias que reynarons todos los reyes
Godos. » Elle est suivie de l’Histoire du roi Wamba de Julien de Tolède. L’ordre des pièces
de O ne respecte donc pas celui du manuscrit original d’Oviedo, en raison des intérêts
d’Ambrosio de Morales
214. Ce codex Ouetensis contenait également une liste d’empereurs
romains jusqu’à Tibère III, la Chronique d’Alphonse III ad Sebastianum, la Vita Desiderii du
roi Sisebut ainsi que des lettres et des formulae wisigothiques ou bien encore des chartes de
privilèges accordés par Alphonse III à l’Église de Compostelle. Ces documents, assemblés au
XII
esiècle par l’évêque d’Oviedo, étaient destinés à son activité de faussaire
215.
213
Ibid., p. 42.
214
C
ATALÁN(Diego), « Desenredando la maraña textual pelagiana », Revista de filoloxía asturiana,
3-4, 2003-2003-4, p. 80-81.
215
Sur l’activité de faussaire de Pélage d’Oviedo, bien connue depuis les travaux d’Enrique Flórez, et
le manuscrit O, voir en dernier lieu C
OLLINS(Roger), « Ambrosio de Morales, Bishop Pelayo of
b. Le ms. de Copenhague, apographe le plus proche du texte médiéval
Les leçons des copies des manuscrits de Soria et d’Oviedo diffèrent légèrement. Outre
la mauvaise lecture du titre dans O, qui est devenu Vulsae Gothorum pour wisegotorum, la
datation de l’onction de Wittiza s’écarte d’une année entre les deux témoins. Si les
apographes de Soria la fixent en 738 de l’ère hispanique, O propose la date de 739. Un I aurait
pu être ajouté par mégarde dans ce dernier. Les mentions alibi ne se trouvent que dans
l’apographe du codex Ouetensis, excepté au c. 9. Leur absence dans S indique qu’ils ont dû
être effacés. Ces quelques retouches n’empêchent toutefois pas de deviner que les codices
Soriensis et Ouetensis remontent à un modèle commun δ.
Le codex Soriensis présentait vraisemblablement la leçon la plus proche de
l’archétype. Il est plausible que Pélage d’Oviedo ait prélevé une liste de rois d’une collection
apparentée à celle du manuscrit de Soria. Le recueil de l’évêque, compilé au XII
esiècle,
regroupe en effet des textes transmis par cette compilation, élaborée au moins au X
esiècle. Il
reste maintenant à déterminer quel apographe du manuscrit de Soria se rapproche de
l’original. C. Cardelle de Hartmann a montré comment les mss. de Madrid et de Tolède,
exécutés à la demande de Juan Bautista Pérez (1537-1597), dérivaient du volume disparu à
Segorbe
216. De ce manuscrit, proviennent également les textes copiés dans le ms. de Londres,
à la demande de Juan de Mariana (1536-1634)
217. La liste des rois y est en effet identique à
celles de Madrid et de Tolède. Ces trois copies du catalogue wisigothique sont donc toutes des
transcriptions, parfois corrigées, du manuscrit perdu de Segorbe, qui était donc le seul à être
une reproduction directe du texte médiéval. Dès lors, le manuscrit de Copenhague (désormais
S) doit être utilisé. Il s’agit d’une copie effectuée à partir du codex Soriensis, par Jerónimo
Zurita, entre 1576 et 1578
218. Le texte semble ne pas avoir été corrigé, ce que tendent à
prouver les erreurs de grammaire et de graphies qui y sont présentes. La leçon de S est la plus
proche de la liste rédigée vers l’an 700.
Oviedo and the lost Manuscripts of Visigothic Spain », dans C. Codoñer Merino, P. F. Alberto (dir.),
Wisigothica. After M. C. Díaz y Díaz, Florence : Sismel edizioni del Galluzzo, 2014, p. 609-632.
216
C
ARDELLE DEH
ARTMANN(Carmen), Victoris Tunnunensis chronicon..., op. cit.,p. 64*.
217
B
AUTISTA(Francisco), « Juan Páez de Castro... », art. cit., p. 17 n. 40.
218
Ibid., p. 7-8 et p. 36 et suiv. Je tiens à remercier F. Bautista de m’avoir communiqué des prises de
vues de ce manuscrit.
δ
ψ σ
O S Segorbe
Dans le document
Les listes de rois du haut Moyen Âge occidental. : Origines, diffusions, usages (Ve-ca. XIe s.)
(Page 104-107)