Cettedernière partie traitedu comportementd'un frontde ssure dans un pay-
Figure 1.14 Ligne élastique se propageant dans un désordre gélé représenté par
un ensemble de défaut xes qui accrochent la ligne.
3.3.1 Concepts d'invariance d'échelle
On considèrede manièregénérale uneinterface
h(x, t)
quisedéplaceàlavitesse moyennev
. Cetteinterface peut être un front de solidication,une paroi de Bloch, unelignede mouillage,unfrontd'imbibition.Prenonslecasquinousintéresse:uneligne sepropageant dans une interface. Supposons qu'à
t = 0
,la ligne est rectiligne etabordeunezonehétérogène.Acausedesdéfauts,lalignevasedéformeretaufuretà mesure de sa propagationl'amplitude des uctuationsvacroître. L'amplitude,
notée
w(t, L)
dépendaprioridutempsetd'unelongueurdecoupureàgrandeéchelle (taille du système, longueur capillaire,...) et est dénie comme l'écart quadratiquemoyen de
h
:w(t, L) =
q
<h(x, t)− h(t)2
>x
(1.62)Dansun certainnombre de situationsthéoriques ouexpérimentales [6], l'amplitude
des uctuations peut s'écrire commeune loi d'échelle dite de Family-Viscek [36] :
w(t, L) = Lζf
t
Lz
(1.63)avec
f (u) = 1
pouru
1
etf (u) = u
pouru
1
. La fonctionf
dénit deux régimes diérenciés par une échelle de tempst×
qui dépend comme d'une loi de puissance de L :t×
∼ Lz
(1.64)z
est appelél'exposantdynamique.Pour0 < t < t×
,w(t, L)
croitavect
commeune loide puissance avec un exposantβ = ζ/z
:w(t, L)∼ tβ
(1.65)
β
est appelé l'exposant de croissance. Pourt > t×
, les uctuations atteignent un régimede saturationwsat(L)
dont leniveau dépend commeune loide puissance L :w(t > t×, L) = wsat(L)∼ Lζ
(1.66)ζ
est appelél'exposantde rugosité.Lesfronts présentant laloid'échelle précédente sontdit auto-anes.La présence d'un désordre gelé est responsable d'une dynamique particulière à
faible vitesse [19,56,69,71]. En eet, supposons qu'une force extérieure
F
impose une certaine vitessemoyennev
de propagation.LorsqueF
s'approche d'unseuilFc
, la vitesse diminue très rapidementsuivant une loide puissance :v
∼ (F − Fc)θ
(1.67)θ
est appelé exposant de vitesse. LorsqueF < Fc
, la ligne, piégée par les défauts, s'immobilise.LorsqueF
≥ Fc
,lemouvementde laligne est intermittent: lemouve- ment d'ensemble est en moyenne très lent mais entrecoupé d'avancées très rapidesde certaines portions du front passant d'une conguration piégée à une autre. On
appelle ces avancées rapides des avalanches. Ce changement de comportement dy-
namiqueauvoisinagedu seuilest appelétransitionde dépiégeage.L'échellede taille
des avalanches
l
varie comme une puissance de l'écart au seuil et diverge lorsqueF = Fc
:ξ∼ (F − Fc)−ν
(1.68)ν
est l'exposant de correlation spatiale.ξ
marque la transitionentre deux régimes. Pourl < ξ
la dynamique de la ligne est cohérente : elle avance ou s'immobilise en bloc. Par contre, pourl > ξ
, le front est composé de zones actives et piégées incohérentes entre elles.3.3.2 Les diérents modèles de front de ssure
Lefrontde ssure,sepropageantdans ladirection
y
,est décritparune fonction univaluéeh(x, t)
. La dynamique, en régime amorti, peut alors être décrite par une équation de Langevin [6,51,65]:1
µ
∂h
∂t
=−G[h, x] + F + η(h, x)
(1.69)où
F
est la forcede dérive,η(h, x)
ledésordre gelé,µ
la mobilité.Lepremierterme de l'équation 1.69 correspond à l'énergie d'interaction élastique entre diérentesparties de la ligne. Lorsque l'interaction est à courte portée, comme dans les mo-
dèles de fronts de dislocation ou de parois de Bloch, le terme élastique peut être
développé en puissance de
h
etde ses dérivées. Les équationsd'Edwards-Wilkinson (EW) ou Kardar-Parisi-Zhang (KPZ) gelées en sont des exemples largement étu-diés [19,32,66,69,71,98,100]. Bouchaud et al. ont proposé une équation de type
KPZ en présence d'un bruit thermique pour modéliser la propagation rapide d'un
front [13]. Une équation de Langevin plus réaliste tenant compte des interactions
élastiques à longue portée peut être trouvée dans les travaux de Rice [42] et a été
étudiée etadaptée àd'autres géométries par lasuite [35,75,115,128].Lesméthodes
du groupede renormalisationfonctionnelleetdes approchesnumériquespermettent
de trouver la valeur des exposants critiques [23,35,75,115,118,126]. Les résultats
sontprésentésdansletableau1.3.Katzavetal.[67]ontétudiéleseetsnon-linéaires
de l'interaction élastique. Une façon d'aborder la propagation d'un front en milieu
Figure 1.15 Illustration du principe du Random Fuse Model. Le matériau, vu
de prol (schéma du haut) et vue de dessus (schéma du bas), est constitué de
deux plaques rigides reliées entre elles par un ensemble de ressorts. Le désordre
est introduit en aectant un seuil de rupture aléatoire à chaque ressort : plus le
ressort est épais plus il peut subir une déformationimportante avant rupture. Les
disques blancsreprésentent lesressortscassés. Lasurface fracturéeétant constituée
des ressorts cassés, onremarque qu'iln'existe pas de front de ssure bien déni.
linéarisée peut se ramener à une équation de Langevin dont les paramètres sont
la constante
A(T )
etm
(voir eq.1.52) qui ont l'avantage de pouvoir être détermi- nés expérimentalement. Les modèles continus n'épuisent pas toutes les situationsexpérimentales. Ils ne sont pas capables de prendre en compte des situations plus
complexes commel'endommagement en avant de la ssure ou encore la brillation
dans les matériaux mous. Schmittbuhl et al. ont proposé un modèle où le front
de ssure progresse par coalescence de micro-ssures [126]. L'étude de modèles sur
réseau1.15 est une alternativepour étudier ces régimes de rupture [3,53,102].
3.3.3 Résultats expérimentaux
Un moyen indirectd'étudier expérimentalementlesfrontsde ssure est d'analy-
ser la topographie des surfaces fracturées, elles sont en eet la trace laissée par la
ssureaprèssonpassage. Lesanalysesd'ungrandnombrede surfacesfracturéesont
montréquelesuctuationsdehauteursontinvariantesd'échelles[9,12,27,28,82,86]:
pour un déplacement
∆r
dans leplan de la surface, lesuctuations de hauteur ont variécomme∆r
ζ
où
ζ
est appelél'exposantderugosité 2.L'originedel'auto-anité
des surfaces est toujours une question ouverte [10,11,30,79,121]. Pour tenter d'y
répondre, Schmittbuhl et al. ont monté une expérience permettant d'étudier di-
2. Bienquenotédelamêmefaçon,cetexposantnedoitpasêtreconfonduavecceluiintroduit auparagrapheprécédent.Lepremiercaractériselesuctuationsdufrontdansleplandelassure alorsquelesecondcaractériselesuctuations horsduplan.
ζ
β
zν
GRF 1b [35] 0.33 0.78 0.78 1.33 GRF 2b [23] 0.47 0.59 0.66 1.58 Numérique [118] 0.39 0.63 0.77 1.63 Numérique [126] 0.60±
0.05 1.5±
0.1 Front de mouillage[94] 0.52 Front de ssure [120] 0.4-0.6 1.2±
0.1Table 1.3 Exposant critique auseuil de dépiégeage d'une ligne élastique se pro-
pageant dans un substrat désordonné. L'élasticité est non-locale. GRF désigne les
méthodes du groupede renormalisationfonctionnelà1boucle(1b) etdeux boucles
(2b). Front de mouillagedésigne les expériences réalisées par Moulinet et al. alors
que Frontde ssure correspond à l'expériencede Schmittbuhl et al.
rectement la morphologie et la dynamique du front de ssure [127]. En analysant
précisemment les données, il apparaîtune longueur caractéristique liéeau désordre
et séparant deux régimes de rugosité. A grande échelle, la rugosité vaut
∼ 0.4
et pourrait s'expliquer par un modèle de ligne uctuante. A plus petite échelle, unerugositéde
ζ
∼ 0.6
est mesurée.Unmodèledecoalescencede microssuresen avant du frontrend comptede cette valeur.Parcontre lavaleur de l'exposantdynamiquez = 1.5
n'apas reçud'explication. Concernantlemouillage,Moulinetet al.ontétu- dié la propagation d'un front de liquide visqueux (eau et glycérol) sur un substrathétérogène. Une analyse précise des uctuations du front a conduit à une rugosité
de
ζ = 0.51
qui se trouveêtre en désaccord avec les prédictions théoriques.Malgré les nombreuses études portant sur la propagation d'une ligne élastique
dans un milieu désordonné, il n'y a toujours pas d'accord en les prédictions théo-
riques et les résultats expérimentaux. Voir la référence [8] pour une revue récente
sur le sujet. Pour tenter de clarier la situation, nous avons mis au point un dis-
positif expérimental avec lequel nous avons un très boncontrôle des échelles mises
en jeu : de la taille de la zone de dissipation à la taille du système mais, surtout,
nous avons une maîtrise de la forme, de la répartition spatiale et de l'intensité des
hétérogénéités introduites dans l'interface. Nous espérons ainsi avoir la possibilité
Techniques expérimentales
La propagationd'un fronten milieu hétérogèneest étudiéeà partir d'une expé-
rience modèle oùun échantillon, une lame de verre au contact d'un élastomère, est
soumisàuntestde pelage.Lechoixdesmatériauxainsiquelemodede préparation
des échantillons ont été optimisés pour obtenir à la fois une bonne visualisationde
la ligne et un bon contrôle des propriétés d'adhésion (Parties 1 et 2). La stratégie
adoptée pour moduler spatialement la ténacité de l'interface grâce aux techniques
delithographieoptiqueest détailléedanslaPartie3.Ledispositifde pelageseraen-
suitedécriten détail ainsiquelesystème d'acquisitiond'imagesassurantlesuivide
laligneavecletemps(Partie4).Ennnousprésenteronslesméthodesdetraitement
d'imageset de détection de fronts(Partie 5).
1 Présentation des matériaux
Nous allons présenter les propriétés physico-chimiques des matériaux utilisés
pour réaliser leséchantillons àsavoir un substrat en verre ou en quartz et un élas-
tomèrede silicone,le PDMS. L'accent sera missur les propriétés de surface.