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: Des promesses du contrôle des résultats aux risques psychosociaux

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PARTIE I : Des Risques Psychosociaux et du Contrôle dans les organisations

SECTION 2 : Des promesses du contrôle des résultats aux risques psychosociaux

Nous avons montré que le contrôle des résultats se présente comme un mode de contrôle efficace et efficient et qu’en ce sens il rejoint les valeurs prônées par la culture du résultat. Au cours de cette section, nous montrons qu’il est également porteur de trois autres promesses, par-delà l’efficience : une promesse de méritocratie (I.), d’autonomie (II.) et de justice (III.).

I. La promesse de méritocratie

En substituant aux pratiques gestionnaires reposant sur la domination, un contrôle où chaque individu est responsabilisé et récompensé pour ses performances, le contrôle des résultats promet un traitement méritocratique très motivant pour les salariés (1.). Cependant, la réduction de la performance à de simples indicateurs peut également entrainer des comportements dysfonctionnels et être source de tension (2.).

1. Etre récompensé pour sa performance : une promesse méritocratique motivante Contrôler les individus sur leurs résultats suppose de leur fixer des objectifs et de mesurer leur atteinte (Burlaud, 2000). Comme « ce qui est mesuré retient l’attention, en particulier si des récompenses sont attachées aux mesures » (Eccles, 1991, p. 131), pour inciter les individus à atteindre leurs objectifs, les organisations indexent leurs réalisations à un système de sanction/récompense : primes, bonus ou ascension professionnelle. Or, ces récompenses promises conditionnent la motivation des salariés.

La motivation est, selon la théorie de l’autodétermination (Deci & Ryan, 2012), un état évolutif, composé de forces internes et/ou externes à l’individu qui explique « le déclenchement, la direction, l’intensité et la persistance de son comportement » (Vallerand &

Thill, 1993, p.18). Ainsi, la motivation explique pourquoi le salarié agit (le déclenchement), vers quel type de tâche il s’engage (la direction), quels efforts il y investit (l’intensité) et le temps pendant lequel il poursuit ses efforts (la persistance). Il existe deux types de motivations qui influencent la manière dont les salariés perçoivent et s’engagent dans leur travail : la motivation extrinsèque et la motivation intrinsèque.

La motivation extrinsèque, aussi appelée motivation contrôlée, est une force externe à l’individu, qui le pousse à réaliser les tâches qu’on lui prescrit, non pas pour le plaisir de l’activité, mais pour obtenir des récompenses (Deci & Ryan, 2012). Plus les récompenses sont importantes, plus la motivation extrinsèque est élevée. Dans le cas du contrôle des résultats, les sanctions positives ou négatives représentent une motivation extrinsèque.

La motivation intrinsèque est une force interne à l’individu qui le pousse à réaliser une activité simplement pour la satisfaction qu’elle lui procure (Deci & Ryan, 1985). L’autonomie promise par le contrôle des résultats, où on ne contrôle que l’atteinte des objectifs et non pas les actions effectuées pour les atteindre (Langevin & Naro, 2003; Merchant & Van der Stede, 2007), est un facteur de motivation intrinsèque.

Par conséquent, le contrôle des résultats mobilise à la fois des facteurs de motivation extrinsèque (récompenses) et intrinsèque (autonomie). Or, une mobilisation maladroite des deux types de motivation peut produire un effet contraire à celui espéré. Des psychologues ont en effet montré que la motivation extrinsèque a tendance à éteindre la motivation intrinsèque (Nuttin, 1996; Vallerand & Brissonnette, 1992). L'orientation à la performance dans le but explicite d’atteinte de résultat peut être perçue par les salariés comme ce que Vallerand et Thill (1993) nomment une « limite contrôlante ». Or, ce type de limite compromet le sentiment d'autodétermination (Deci et al., 1981; Vallerand et al., 1986). Le salarié tend à percevoir son comportement comme causé par une injonction normative extérieure, ce qui a pour effet de diminuer sa motivation intrinsèque par rapport à l'activité. Si une motivation amoindrie rend les individus plus fortement sensibles à certains risques psychosociaux tels que le stress ou le burn-out (Gagné & Deci, 2005; Gillet et al., 2010), elle diminue également leur implication (Berland et De Rongé, 2013). Cette situation laisse alors entrevoir un lien entre la motivation et le sens au travail.

Le sens au travail est défini selon trois dimensions : les objectifs visés par l’activité, c'est-à-dire ses finalités extrinsèques ; les manières de faire l’activité, le sens produit par l’activité pour l’individu, soit sa finalité intrinsèque ; les sensations ressenties lors de la réalisation du travail (agréable, intéressant, fatiguant, etc.). Dès lors, selon Weber (1909), le sens constitue un élément symbolique du travail.

Le sens au travail, tout comme la motivation intrinsèque, est positivement lié à l’engagement organisationnel (Pécaud, 2014). La littérature met ainsi en évidence des liens entre la diminution du sens au travail et la baisse de l’engagement, de la motivation, de la performance et une hausse du turn-over (Morrison & Robinson, 2009). Des auteurs mettent également en avant cette problématique de sens pour expliquer pourquoi des fonctionnaires ne se reconnaissent plus dans la nouvelle exigence de performance du secteur public (Chandler et al., 2002; Del Rey, 2013). Clot (2010) abonde en ce sens en montrant que la distorsion entre la finalité extrinsèque et intrinsèque du sens au travail est source de risques psychosociaux.

Nous venons de voir qu’il donc existe un conflit, potentiellement source de RPS, entre les deux types de motivation, extrinsèque et intrinsèque, mobilisés par le contrôle des résultats. Nous montrons à présent que l’envie d’atteindre à tout prix les objectifs fixés peut également engendrer des comportements dysfonctionnels et de la tension (2.).

2. Vouloir atteindre ses objectifs à tout prix : comportements dysfonctionnels et tensions

Dans le prolongement des travaux de l’école des relations humaines, des théories de la motivation et des études sur le comportement des décideurs, une approche s’intéressant aux effets des outils de contrôle sur les comportements s’est développée.

Des auteurs ont ainsi détaillé l’influence du contrôle des résultats sur les comportements et les performances des salariés (Gervais, 2009; Naro, 1998) en identifiant certains comportements dysfonctionnels, c’est-à-dire nuisibles aux objectifs organisationnels (Argyris, 1952; Langevin

& Naro, 2003; Ridgway, 1956). Dans le cas du contrôle des résultats, ces comportements peuvent apparaître à cause de difficultés liées à la fixation des objectifs.

Les objectifs organisationnels sont souvent difficiles à définir ; ils sont parfois ambigus ou même confus (Rosanas & Velilla, 2005). Cette difficulté n’est pas récente et fut soulevée par l’instigateur de la direction par objectif lui-même.

« Management by Objectives works if you know the objectives, 90% of the time, you don’t.

It’s not the great cure for management ineficiency. » (Drucker, 1975).

Aligner la stratégie, les objectifs collectifs et individuels est alors une tâche ardue. La complexité de la performance organisationnelle rend difficile sa réduction à quelques indicateurs de pérennité, de compétitivité et de rentabilité, qui peuvent être contradictoires entre eux. Une définition trop réductrice de la performance peut avoir des conséquences négatives sur la performance globale d’une organisation (Shields et al., 2000) et donc sur sa pérennité.

L’utilisation systématique du contrôle des résultats et d’indicateurs financier peut, par exemple, conduire au court-termisme, et entrainer une réduction importante des investissements.

Au niveau individuel, ce mode de contrôle peut également être instrumentalisé (Etzioni, 1961).

Les individus peuvent modifier leurs comportements pour privilégier les actions produisant un effet positif sur leurs objectifs, et ce en dépit de la pérennité de l’organisation (Dearden, 1969;

Hayes & Abernathy, 1980; Merchant, 1990). L’organisation se trouve alors face à un problème de déplacement de buts (Merchant, 1982), c'est-à-dire une situation dans laquelle les individus sont exclusivement focalisés sur l’atteinte des objectifs évalués, au détriment de la performance

organisationnelle d’ensemble. A ce titre, le salarié peut louvoyer lors des négociations d’objectifs pour se constituer un « matelas » de confort, nommé slack (Van der Stede, 2000).

Les objectifs négociés sont ainsi rendus faciles à atteindre pour le salarié, mais ne constituent pas une véritable performance pour l’organisation.

Le contrôle des résultats peut également engendrer des comportements opportunistes, comme la manipulation de chiffres, issus de la simple volonté d’atteindre à tout prix les objectifs fixés (Langevin & Naro, 2003). Ce phénomène se retrouve également au sein du secteur public où la pression à la performance est aujourd'hui controversée (Bejerot & Hasselbladh, 2013) car elle induit des comportements illogiques (Lapsley, 2009). Les fonctionnaires peuvent manipuler les chiffres pour obtenir, en apparence, des résultats conformes aux standards (Hood, 2007).

En plus d’être source de comportements dysfonctionnels et de mauvaises performances, le courant de recherches Reliance on Accounting Performance Measures (Abernethy &

Stoelwinder, 1991; Hartmann, 2000; Naro & Georgescu, 2012) a montré que mesurer la performance sur des critères comptables et financiers peut être source de tensions et de stress (Argyris, 1952; Shields et al., 2000). Les auteurs lient ce mode d’évaluation à l’apparition d’attitudes négatives (Etzioni, 1961) telles que l’hostilité à l’égard de la hiérarchie et des collègues (Hopwood, 1972). Afin de voir leur performance valorisée, les salariés peuvent même être tentés de faire supporter à leurs collègues les conséquences de leurs actions (Selznick, 1953).

La littérature en psychosociologie lie quant à elle l’augmentation des risques psychosociaux à cette manière d’évaluer les individus. Selon ces auteurs, l’augmentation de la pression, induite par l’intensification des procédures de comparaison, de contrôle et de surveillance (Gollac &

Volkoff, 1996a) individualisent le travail en alimentant l’isolement et la rivalité entre salariés (Dejours, 2003; Drago & Garvey, 1998).

« C’est une certaine culture du résultat qui est à l’origine des problèmes de travail aujourd’hui. » (Clot & Stimec, 2013)

La clinique du travail montre ainsi que les évaluations individualisées et quantitatives des performances, associées au management par objectifs, ont des effets délétères sur le rapport au travail, notamment en réduisant l’entraide entre salariés (Dejours & Gernet, 2009).

Selon l’enquête Methys/Ifop (2011)69, 89% des sondés voient l’évaluation de leur performance comme une source de stress. Ils regrettent également une évaluation trop quantitative au détriment du qualitatif. Plus de huit salariés sur dix pensent que l’évaluation est un moyen de contrôler l’action des salariés, et une source de tension entre manager et salarié. Enfin pour 74% d’entre eux, l’évaluation crée de la rivalité entre les salariés et pour 55% il s’agit d’une entrave à leur travail.

Ce contexte favorise donc l’apparition d’états de stress. La littérature insiste en effet sur le rôle du climat social (Cooper & Marshall, 1976; Karasek & Theorell, 1990), de la confiance interpersonnelle (Brownell & Hirst, 1986; Ross, 1994) dans la réduction du stress professionnel.

Pour certains, ce contexte social dégradé augmente également l’absentéisme et les suicides (Chabrak et al., 2011).

Conclusion I.

Nous avons montré que le contrôle des résultats est porteur d’une promesse de méritocratie source de motivation pour les individus. En récompensant l’atteinte des objectifs, il procure aux individus une motivation extrinsèque. En leur laissant un degré d’autonomie pour atteindre ces objectifs, ce mode de contrôle est également une source de motivation intrinsèque. Nous avons vu cependant qu’une mobilisation simultanée de ces deux types de motivations peut être problématique car la motivation extrinsèque a tendance à éteindre la motivation intrinsèque.

Nous avons ainsi souligné toute l’importance de la motivation et du sens au travail dans l’engagement organisationnel et l’apparition de risques psychosociaux. Nous avons par la suite montré que vouloir à tout prix atteindre les objectifs peut engendrer des comportements dysfonctionnels mais également être source de tension. La focalisation exclusive sur les critères d’évaluation peut pousser les individus à des comportements opportunistes, réduisant au global la performance de l’organisation. Des attitudes négatives peuvent également dégrader le climat social et engendrer des risques psychosociaux. Nous revenons à présent sur la promesse d’autonomie du contrôle des résultats (II.).

69Etude portant sur un échantillon représentatif de 1000 salariés français.

II. La promesse d’autonomie

En promettant aux salariés d’être responsables et autonomes, le contrôle des résultats se présente comme un mode de contrôle source d’épanouissement professionnel (1.). Néanmoins, autonomie et contrôle semblent difficilement coexister en pratique, ce qui peut donner lieu à l’apparition des risques psychosociaux (2.).

1. Une promesse d’autonomie épanouissante

L’autonomie, qui signifie étymologiquement « qui est régi par ses propres lois », se réfère aux notions d’indépendance et de pouvoir. L’autonomie est ce qui dépend de notre pouvoir, de notre capacité à juger, mais aussi de l’exercice du pouvoir des autres. Si l’autonomie est un besoin psychologique fondamental (Vézina, 2014), certains la définissent comme un acte d’affirmation de soi contre la contrainte organisationnelle (Piperini, 2014). Ce type de définition illustre l’opposition usuelle des notions d’autonomie et de contrôle au sein des sciences de gestion (Bourguignon, 2003).

Si ces deux notions apparaissent contradictoires, elles ne sont pas complètement incompatibles.

Leurs divergences doivent cependant faire l’objet d’un arbitrage. Ainsi, selon la théorie de la régulation, l’autonomie et le contrôle doivent être régulés conjointement grâce à un « ensemble de règles, acceptables pour les deux parties, combinant harmonieusement règles de contrôle et règles autonomes » (Reynaud & Reynaud, 1994). Cette régulation conjointe s’apparente à un

« idéal de management » (Reynaud, 2003a, p.113) où l’autonomie est davantage considérée comme les marges de manœuvre ou les degrés de liberté octroyés à l’individu que comme une réelle forme d’indépendance. On parle alors de latitude décisionnelle (Karasek, 1979), d’autonomie contrôlée ou organisée (Terssac, 2012) grâce à laquelle les salariés peuvent faire les choix optimaux pour réaliser leur travail (Empson & Langley, 2015). Cette immixtion du contrôle au cœur de la notion d’autonomie se décline alors dans de nombreux termes. La participation des salariés aux prises de décision est ainsi nommée autonomie politique, celle de contrôler l’objet de son évaluation, autonomie responsable (Piperini, 2014), ou celle de prendre des initiatives, autonomie cognitive (Bourguignon, 2003).

Selon cette logique, autonomie ne signifie pas indépendance, mais s’approche d’une

« obligation implicite », définie comme une pratique déviante mais attendue par l’encadrement, ne faisant pas l’objet d’une prescription formalisée (De Terssac, 1992). En ce sens, l’autonomie prend les traits d’un « contrat » matérialisant une responsabilisation accrue des salariés. Ce contrat s’incarne aujourd'hui dans les politiques managériales d’empowerment.

L’empowerment, ou habilitation structurelle, est un mode de délégation et de décentralisation de la prise de décisions des managers vers les niveaux subalternes (Dambrin, 2005; Maynard et al., 2012). Cette responsabilisation des subordonnés s’est accélérée grâce aux Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC)70 et aux Enterprise Ressource Planning (ERP)71 qui facilitent l’accès à l’information et permettent un partage du pouvoir entre les salariés (Greenan & Walkowiak, 2004). Ces politiques managériales promettent aux salariés d’être plus flexibles, de s’auto-diriger et d’avoir un plus grand pouvoir décisionnel (Dambrin, 2005; Laschinger et al., 2001). L’empowerment vise alors à reconnaitre le travail des salariés, à valoriser leur bien-être, tout en privilégiant la performance organisationnelle. Dès lors, selon ces discours émancipateurs, les objectifs atteints, sources de performance pour l’organisation, deviennent pour les salariés de véritables actes de réalisation personnelle (Boudrias & Chénard Poirier, 2014). C’est pourquoi ces politiques managériales s’insèrent plus généralement dans ce que la psychodynamique du travail nomme « le management de la reconnaissance » (Guéguen & Malochet, 2014).

Le management de la reconnaissance implique de rendre responsables et autonomes les individus, afin qu’ils intériorisent la réalisation de leurs objectifs comme des succès personnels.

L’atteinte des objectifs dépassent la simple norme comportementale pour devenir pour les salariés une réelle aspiration personnelle. La réalisation du travail s’extirpe donc des seules prérogatives économiques et sociales pour toucher la psyché des salariés. En promettant aux salariés de voir leurs efforts et réalisations reconnus et appréciés, ce type de management sollicite alors le besoin humain fondamental de reconnaissance (Vézina, 2014).

La reconnaissance professionnelle est un moyen de s’accomplir (Dejours & Molinier, 1994), fortement désiré par les salariés et qui constitue, en ce sens, un facteur essentiel de préservation de leur santé mentale. Ce phénomène est particulièrement fort pour les actifs français, très attachés et investis dans leur travail72 (Méda & Davoine, 2008). La psychodynamique du travail a montré l’importance de la reconnaissance pour le bon déroulement du travail des salariés, mais également pour leur équilibre psychologique et leur estime personnelle (Brun & Dugas, 2005; Dejours & Gernet, 2009; Molinier, 2010). C’est pourquoi, pour certains, les organisations

70Les NTIC sont des solutions matérielles, des logiciels permettant d’organiser les processus de circulation et le traitement de l’information dans l’entreprise (ERP, CRM, intranet, RFID…).

71Traduction de progiciel de gestion intégrée.

72Ce constat fut affirmé dans de nombreuses études statistiques (Ifop, TNS Sofres, ISSP). Selon le sondage Ifop de septembre 2006, « Les français et le travail », 51% des français estiment que le travail est un moyen de s’épanouir dans la vie. Selon l’étude TNS Sofres « Les français et le gout du travail », janvier 2011, 34% des français voient dans le travail un moyen de s’épanouir personnellement et de trouver sa place dans la société.

Enquêtes sociologiques internationales de l’International Social Survey Programme de 1995 à 2005 portants sur le travail.

utilisent le besoin de reconnaissance des individus, afin de travestir une demande normative en émancipatrice, et par conséquent légitimer et masquer des dispositifs de contrôle n’ayant comme seul objectif réel d’augmenter la rentabilité et la productivité des salariés (Honneth, 2006; Kocyba, 2007; Molinier, 2010).

Si un besoin de reconnaissance satisfait agit positivement sur l’engagement organisationnel des salariés (Hall, 2008), a contrario, un individu dont le travail n’est pas reconnu risque de devenir vulnérable (Butler, 2011; Honneth, 2006). La théorie de la reconnaissance montre qu’une reconnaissance niée ou refusée détériore la confiance, le respect ou l’estime que l’individu peut avoir de lui-même, soit une dimension essentielle à sa vie psychique (Renault, 2004). Un besoin de reconnaissance insatisfait peut ainsi devenir pathologique et prendre les traits d’une recherche infinie de l’estime de l’autre. C’est pourquoi, le manque de reconnaissance est une des principales sources de souffrance au travail (Guéguen & Malochet, 2014).

Nous revenons à présent sur les politiques d’empowerment et leurs possibles conséquences psychosociales en pratique (2.).

2. Du manque d’autonomie à l’autonomy paradox

Dès la fin des années 1970, l’empowerment a fait l’objet de critiques visant à pointer du doigt le manque d’autonomie réelle des salariés (Block, 1987; Burke, 1986). Dès cette époque, la littérature montre que les salariés peuvent faire face à une situation paradoxale : un fonctionnement organisationnel hautement normalisé et l’injonction d’être libres, responsables, et autonomes (Jackson & Carter, 1998; Kanter, 1979, 1983). Dans ce contexte, exiger des salariés qu’ils satisfassent simultanément les injonctions de conformité et d’autonomie constitue une injonction paradoxale (Watzlawick et al., 1972). Or, ce type d’injonction paradoxale semble actuellement se renforcer.

Depuis plusieurs années, au sein des organisations, la recherche d’optimisation des performances entraine des politiques de réduction du personnel et des restructurations continues (Froud et al., 2000; Thompson, 2003). Cette diminution des effectifs, couplée aux politiques d’empowerment, intensifient le travail (Gollac, 2005), notamment en augmentant les heures travaillées (Crompton & Lyonette, 2011; Ladva & Andrew, 2014; Lupu, 2012). Les salariés se retrouvent seuls pour faire face à une charge de travail de plus en plus importante. Sous cette illusion d’autonomie se cache alors une intensification physique du travail, dont la littérature a pointé les aspects délétères : stress professionnel (Lallement et al., 2011), accidents de travail

(Askenazy & Caroli, 2006), voire décès suites à des surcharges de travail (Gallagher, 2013). Le Tableau 8 illustre ces liens causaux.

Tableau 8: Liens entre intensification du travail et risques psychosociaux (Audétat &

Voirol, 1998)

Cette intensification physique du travail rend les salariés plus sensibles à l’intensification du contrôle (Perilleux, 2001) issue des contraintes de rentabilité financière court-termistes (Lefebvre & Poirot, 2011). Les NTIC participent à cette intensification en multipliant les prescriptions exigeantes : demandes de précisions et d’informations accrues, multitâches, réponses en temps réel (Davezies, 2008; Gomez & Chevallet, 2011). Ces contrôles multipliés ajoutent alors à l’intensification physique du travail, une intensification cognitive.

L’intensification cognitive est un « coût de l’excellence » qui résulte de la mobilisation de toute l’énergie physique, affective et psychique de l’individu dans le but de réaliser ses objectifs (Aubert et al., 1991). Clot (2005) montre ainsi que la nécessité d’être polyvalents, de maîtriser des connaissances multiples engendre ce type de phénomène. L’intensification cognitive est très néfaste pour la santé psychologique des salariés car elle épuise (Gollac, 2005) et va à l’encontre du besoin de distanciation nécessaire pour se dégager des injonctions paradoxales (Gaulejac, 2005).

Par conséquent, il apparait que les manifestations de souffrance (anxiété, tension psychologique, stress, peur de l’échec…) intrinsèquement liées aux injonctions paradoxales se renforcent (Detchessahar, 2011; Gaulejac, 2011; Wood et al., 2012). Ces injonctions paradoxales, dont il devient plus difficile de se défaire, démontrent que l’autonomie réelle des salariés est bien inférieure à celle prônée par les organisations (Davezies, 2012). Des auteurs dépassent alors la notion d’autonomie contrôlée, pour parler d’autonomie bridée (Appay, 2005), voire d’activité empêchée (Roux, 2014) désignant le paradoxe organisationnel actuel poussant les salariés à être autonomes et libres, tout en renforçant simultanément les dispositifs de contrôle, les mettant dans les conditions d’impossibilité de choix. Cette apparente fin du contrôle semble donc être, au contraire, le déni collectif d’un contrôle qui se renforce depuis plusieurs années (Bourguignon, 2003).

« On célèbre le « mariage de l’obéissance et de la liberté » et, pour ce faire, on motive, mobilise, forme les salariés, on met en place un système sophistiqué d’évaluation et de contrôle. […] On n’a jamais autant parlé d’autonomie et de transparence, alors que l’évaluation des performances des

« On célèbre le « mariage de l’obéissance et de la liberté » et, pour ce faire, on motive, mobilise, forme les salariés, on met en place un système sophistiqué d’évaluation et de contrôle. […] On n’a jamais autant parlé d’autonomie et de transparence, alors que l’évaluation des performances des

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