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Le projet de loi relatif à la garde à vue

Section 2 : Des garanties à apporter

B) Le projet de loi relatif à la garde à vue

Réagissant au coup d'accélérateur donné à la réforme, le Ministère de la Justice rédige rapidement un projet de loi « tendant à limiter et à encadrer les gardes à vue », qu'il transmet dès

276 Philippe LEGER, haut magistrat français, fut avocat général à la CJCE. Aussi appelé « Comité de réflexion sur la justice pénale »

277 Rapport accessible sur : http://www.justice.gouv.fr/art_pix/sg_rapport_leger2_20090901.pdf 278 Avant-projet du futur Code de procédure pénale, 1er mars 2010

279 Le rapport Léger refuse par exemple l'assistance de l'avocat aux interrogatoires

280 D'une durée de 6h. Devient l'« audition libre », d'une durée de 4h, dans l'avant-projet de réforme 281 LE BORGNE, Jean-Yves. Voir note 242. p. 119

le 7 septembre 2010 au Conseil d’État pour avis. Le projet de loi modifié « relatif à la garde à vue »282 est déposé le 13 octobre 2010 sur le bureau de l'Assemblée nationale. Il remanie très

sensiblement le visage de la garde à vue. Pour l’anecdote, c’est la première fois que l’Assemblée nationale est saisie d’un projet de loi faisant suite à une QPC.

Le projet de loi ne bouleverse pas l'économie générale de l'avant-projet (voir supra). Il en reprend les dispositions s'agissant de la consécration du principe de dignité de la personne gardée à vue, des personnes susceptibles de faire l'objet d'une garde à vue, des critères de placement, de la durée, des conditions de prolongation de la mesure et de ses modalités de contrôle.

Toutefois, il comporte des modifications substantielles, pour tenir compte des exigences posées par le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l'homme. Le Gouvernement a ainsi déposé plusieurs amendements le 9 décembre 2010.

Le projet gouvernemental introduit d'abord le régime d' « audition libre »283 de la personne

suspectée. Cette nouvelle mesure vise à réduire le nombre de gardes à vue, en permettant à une personne à l'encontre de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction, de demeurer libre lors de son audition par les enquêteurs. Ce statut, qui ne permet pas la présence d'un conseil, ne prévoit pas plus la notification du droit au silence. En contrepartie, il est prévu que l'intéressé puisse mettre fin à tout moment à l'interrogatoire, bien que cette faculté semble toute théorique. L'audition libre apparaît alors comme une garde à vue qui se dissimule et permet d'écarter les droits qu'imposent les hautes juridictions, nationales et internationales.

Un auteur284 remarque cependant que, de ce point de vue, l'actuel projet de loi valide l'existant.

L'examen des chiffres produits par le ministère de l'Intérieur285 révèle selon lui que la pratique de

l'audition libre existe d'ores et déjà dans les faits et qu'elle est même majoritaire286.

Est ensuite opéré un remaniement du droit à l'assistance d'un avocat, notamment lors des auditions.

Enfin, le projet de loi prévoit le rétablissement du droit au silence. Le Conseil constitutionnel, en en faisant une exigence à valeur constitutionnelle, avait imposé ce revirement législatif. Dès lors, le projet de loi rétablit naturellement ce droit, absent de l'avant-projet de réforme du Code de procédure pénale.

L'article 63-1 du CPP dispose alors : « La personne placée en garde à vue est informée dès le début de son audition qu'elle a le choix, après avoir décliné son identité, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ».

La CNCDH, dans son avis sur le projet de loi relatif à la garde à vue, adopté par l'Assemblée plénière du 6 janvier 2011287, souligne qu'il s'agit, « malgré une formulation inutilement complexe,

d’un retour à la situation créée par loi du 15 juin 2000 ». Cet énoncé rappelle plutôt la disposition résultant de la loi modificative du 4 mars 2002 (voir supra).

M. MERCIER, garde des Sceaux, a été entendu par la Commission des lois de l'Assemblée nationale le 9 décembre 2010 au sujet du projet de loi relatif à la garde à vue.

282 Projet de loi AN n° 2855, 13 oct. 2010

283 Le régime de l'audition libre découle directement de la « retenue judiciaire » précitée 284 VLAMYNCK, Hervé. Voir note 171

285 La criminalité et la délinquance constatées en France en 2009, La documentation française

286 Moins d'un mis en cause sur deux aurait été mis en garde à vue en France, en 2009. La pratique révèle qu'au nom du principe de liberté reconnu aux OPJ de (non-)placement en garde à vue, certains ordonnent une audition libre même en cas d'interpellation

Le Ministre affirme à cette occasion que la personne placée en garde à vue doit être informée de son droit à conserver le silence : « Cette exigence, rappelée par le Conseil constitutionnel en juillet dernier, est, dans la plupart des pays occidentaux, une norme, parfois même de niveau constitutionnel. Notre législation se devait de prévoir expressément cette disposition ».

Il reconnaît également que le Parlement se doit de prendre en compte la jurisprudence postérieure au projet de loi : « la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation, toujours en évolution, conforte l’ambition initiale du Gouvernement et nous pousse à aller plus loin ». Des parlementaires soulignent : « nous avons la chance d’aborder une matière clairement balisée ».

M. MERCIER tempère ainsi la position adoptée par Mme ALLIOT-MARIE, qui, par un communiqué de la Chancellerie en date du 19 octobre 2010, avait déclaré que les arrêts rendus par la Chambre criminelle le même jour « [confortaient] le nouveau dispositif de la garde à vue ». A l'inverse, un communiqué du Conseil national des Barreaux indiquait que le projet « adopté par le Conseil des ministres le 13 octobre [devait] être complètement revu ». L’ Ordre des avocats du Barreau de Paris a poursuivi son mouvement, en appelant notamment à une grève des audiences le 15 décembre 2010, estimant que « le projet de loi gouvernemental, rédigé à la hâte, suggère une réforme minimale de la garde à vue ».

Après avoir examiné le projet de loi relatif à la garde à vue sur la base du rapport du député GOSSELIN288, la Commission des lois de l'Assemblée nationale a adopté le projet le 15 décembre

2010 ajoutant, toutefois, d'importants amendements289 dont certains contre l'avis du

Gouvernement. Le texte devait ensuite être examiné par les députés en séance publique, à partir du 18 janvier 2011.

II – Une mise en place éclair

Alors que M. MERCIER affirmait son intention d'« éviter le recours à la procédure accélérée », la mise en place de la loi réformant la garde à vue sera bel et bien précipitée. Par l'adoption quasi-conforme du texte par le Sénat (A), puis le dernier rebondissement jurisprudentiel de la Cour de cassation (B).