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Un projet dangereu

Dans le document Finances publiques, sorties de crise... (Page 38-41)

5. Un nouveau cadre de politique économique en Europe ?

5.1. Un projet dangereu

Les instances européennes n’ont pas tiré les leçons de la crise financière. Au contraire, elles veulent utiliser la crise grecque pour faire oublier la crise financière et

l’année horrible (annus horribilis) où elles ont dû accepter de mettre le Pacte de stabilité sous le boisseau. Maintenant, elles veulent utiliser la menace des marchés financiers et des agences de notation pour imposer leurs obsessions de toujours : contrôler les politiques budgétaires, les soustraire à des gouvernements soumis à des votes démocratiques, obliger les pays à réduire leurs dépenses publiques et sociales.

Durant la crise, la Commission a soumis 24 des 27 pays de l’UE à la procédure des déficits excessifs. Certes, elle a appliqué les règles du PSC avec souplesse pour 2009 et 2010, mais la crise montre bien que ces règles sont inappropriées.

En novembre 2009, la Commission avait demandé aux pays ayant un déficit supérieur à 3 % du PIB de ramener ces déficits en dessous de ce seuil limite en 2012, 2013 ou 2014 selon des critères arbitraires. Les dates butoir sont relativement éloignées, mais il est irréaliste de fixer des contraintes à la politique budgétaire indépendamment de la situation économique. Est-il utile de polémiquer avec tel ou tel pays pour savoir si son déficit budgétaire repassera sous les 3 % du PIB en 2013 ou 2014, alors que l’évolution des déficits dépend surtout du dynamisme propre de la demande privée, que ni la Commission, ni les gouvernements ne maîtrisent ? On ne peut que s’inquiéter quand la Commission proclame que l’assainissement devra être mis en œuvre dès que la croissance sera supérieure à la croissance potentielle sachant que son estimation de celle-ci est de 1 % l’an. Peut-on faire l’impasse sur le taux de chômage de 10 % de la zone euro en 2010 ?

Le 12 mai 2010, la Commission avait publié une première communication intitulée : « Renforcer la coordination des politiques économiques ». Elle maintenait, contre l’évidence, que « les règles et les principes du PSC sont pertinents et valables » ; il faut seulement obliger les pays à les respecter.

Le 30 juin, la Commission a proposé d’introduire un premier « semestre européen », où les États membres présenteraient leurs politiques budgétaires, de court et de moyen terme, et leurs projets de réformes structurelles à la Commission et au Conseil européen, qui donneraient leur avis avant le vote des parlements nationaux au second semestre 3. Les parlements nationaux seront donc plus ou

moins contraints par les décisions prises au niveau européen. Certes, un tel processus pourrait être utile s’il s’agissait de définir une stratégie économique concertée, mais le risque de ce « semestre » est d’augmenter les pressions en faveur de politiques d'austérité budgétaire et de réformes libérales. On le voit aujourd’hui : la Commission a lancé des procédures de déficit excessif (PDE) contre la plupart des pays de la zone, mais ne demande pas aux pays qui ont des marges de manœuvre en matière de politique budgétaire ou salariale d’entreprendre des politiques expansionnistes pour compenser les efforts que font la Grèce, l’Irlande ou l’Espagne. Le 29 septembre, la Commission a présenté un ensemble de propositions visant à renforcer la gouvernance économique, qui en fait diminuerait l’autonomie

des États membres, les obligerait au strict respect de règles sans signification économique et nuirait à leur capacité à stabiliser leur économie :

– Les pays pourront être sanctionnés si les dépenses publiques augmentent plus vite que le taux de croissance prudent du PIB (sauf si ceci est compensé par des hausses de recettes ou si le pays est en excédent budgétaire). Cela interdirait les mesures de soutien par la hausse des dépenses publiques. Qui mesurera la croissance prudente ? Sera-t-elle de 1 % du PIB comme les dernières estimations de la Commission de la croissance potentielle ? En période dépressive, a-t-on vraiment besoin de prudence ? Que se passerait-il si, par prudence, les ménages renonçaient à consommer, les entreprises à investir ?

– Les pays dont la dette dépasse 60 % du PIB pourront être soumis à une PDE si le ratio de dette n’a pas diminué d’au moins un vingtième par an de l’écart avec 60 % (ceci en moyenne dans les 3 dernières années). Mais il est pratiquement impossible d’éviter la croissance de ce ratio en période de ralentissement économique. Cette nouvelle règle renforce la contrainte sur le déficit en période de faible croissance. Pour un pays ayant une dette de 90 % du PIB et une inflation de 2 %, le déficit public ne devra pas dépasser 2 % du PIB si sa croissance est de 2 %, mais 1 % si sa croissance est de 1 %. Selon la Commission, la décision de sanction tiendra compte de l’évolution conjoncturelle, mais aussi des réformes des systèmes de retraite introduisant un pilier de retraite par capitalisation. Après la crise financière, l’Europe doit-elle continuer à promouvoir la capitalisation ?

– Les pays dont les dépenses publiques augmentent trop vite ou ceux soumis à une PDE devront faire un dépôt de 0,2 % du PIB, qui pourra être confisqué si les mesures requises ne sont pas mises en œuvre.

– Le projet maintient la limite de déficit budgétaire de 3 % du PIB, l’objectif d’équilibre à moyen terme et la contrainte pour les pays ayant un déficit structurel de réduire leur déficit structurel d’au moins 0,5 % par an, alors même que ces contraintes n’ont aucun fondement macroéconomique et ont été la source de tensions permanentes dans la zone. La Commission veut que les sanctions du non-respect de ces règles deviennent automatiques et plus lourdes. – La Commission veut imposer aux pays d’intégrer dans leurs cadres budgétaires les règles européennes (les limites de 3 et de 60 %, l’objectif d’équilibre à moyen terme) et de mettre en place un contrôle du respect de ces règles par une « institution budgétaire indépendante ».

– La Commission réclame qu’il faut désormais la majorité qualifiée au Conseil pour s’opposer aux mesures et aux sanctions qu’elle préconise, cela devant assurer l’automaticité des sanctions.

– La Commission se propose de surveiller les déséquilibres macroéconomiques excessifs en suivant un tableau de bord des variables pertinentes (compétitivité, déficit extérieur, dettes publiques et privées). Bien sûr, le taux de chômage n’y figure pas. Une procédure de déséquilibres excessifs sera mise en place. Des recommandations seront envoyées aux pays en situation de déséquilibre. Des

amendes pourront être décidées. Mais rien n’indique que la surveillance sera symétrique, que l’on sanctionnera les pays qui pèsent sur les autres par des politiques budgétaire et salariale trop restrictives. Rien n’indique que la Commission préconisera une stratégie coordonnée pour lutter contre les déséquilibres : compenser la politique restrictive de certains pays par des politiques expansionnistes dans d’autres, réduire les différentiels de compétitivité par des hausses de salaire dans les pays où la part des salaires dans la valeur ajoutée a diminué, lancer de grands emprunts européens pour aider les pays en difficulté et pour financer la reconversion verte de l’industrie.

Le projet de la Commission demande une révision du traité de Lisbonne ; il met gravement en cause l’autonomie des États membres ; c’est une nouvelle étape vers la dépolitisation des politiques budgétaires ; il augmentera encore les tensions entre la Commission et les États membres. Par ailleurs, ce projet est dangereuxau niveau économique : il imposerait à tous les pays de se lancer dans des politiques d’austérité qui freineraient la reprise pour atteindre un objectif, l’équilibre des finances publiques, qui peut être incompatible avec les nécessités de l’équilibre macroéconomique ; de soumettre leur politique à des comités d’experts alors que la crise a bien montré le besoin d’une action forte et résolue. La Commission reste dans sa vision technocratique : il lui faut contrôler des États membres gaspilleurs et indociles.

Fin octobre, le Conseil européen a accepté les fondements économiques de ce projet, en refusant toutefois l’augmentation des pouvoirs de la Commission : les sanctions devraient être automatiques, mais continueraient d’être décidées par le Conseil à la majorité qualifiée. C’est un compromis ambigu et lourd de futures tensions.

Dans le document Finances publiques, sorties de crise... (Page 38-41)

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