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V. Discussion

1. Les proies sentinelles : un proxy du processus de prédation efficace ?

a. Protocoles alternatifs existant dans la bibliographie

Discuter de la pertinence et de l’efficacité de cette méthode est compliqué. En effet, il n’existe que peu d’études, utilisant la même méthode (on peut par exemple citer les travaux de Geiger en 2011). Des comparaisons sont donc difficiles avec le protocole mis en place dans cette étude.

Cette observation s’explique notamment par le fait que la plupart des autres études cherchent à quantifier une relation directe entre proie et prédation. L’observation directe sur le terrain, grâce à une caméra par exemple, permet de déterminer des comportements de prédation, mais pas de la quantifier (Hardwood and Obrycki 2005). L’utilisation de cages à exclusion dans les champs permet de sélectionner les proies et les prédateurs que l’on souhaite voir dans la cage, et de manipuler leurs densités respectives, afin de quantifier le comportement et l’écologie des prédateurs aphidiphages (Hardwood and Obrycki 2005). Une dernière méthode, l’analyse des intestins des prédateurs, permet de déterminer précisément leur régime alimentaire naturel, mais est source d’erreur au niveau de la quantification de leur action de prédation : il est en effet très compliqué de corréler le contenu des intestins avec le taux de prédation sur le terrain (Hardwood and Obrycki 2005).

Toutes ces méthodes, en ciblant a priori une espèce d’ennemi naturel ou un groupe d’espèces vis-à-vis d’un ravageur donné, délaissent de fait une partie de la biodiversité des ravageurs et ennemis naturels réellement présente dans le système, pouvant « passer à côté » d’espèces jouant un rôle important ou d’une action complémentaire de contrôle biologique. Ceci est évité par l’utilisation de cartes de prédation qui évalue le potentiel de prédation dans la parcelle, qui est la résultante de l’action globale de la guilde de prédateurs présents dans cette parcelle sans qu’ils ne soient explicitement identifiés.

b. Limites de l’utilisation des pucerons comme proies sentinelles

Le principal problème posé par ce protocole fut la qualité des proies utilisées. Le fait que les pucerons collés sur la carte sont morts peut baisser leur appétence pour les prédateurs. En effet, ces pucerons sont non mobiles, et donc moins repérables, et leur état de conservation peut devenir mauvais. Le temps choisi d’exposition court (24h) permet de limiter ce biais, sans pour autant l’éliminer totalement.

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Tableau 11 et 12 : Tableaux récapitulatifs des relations entre les variables paysagères (SDI, Prairies et Shannon) avec les variables carabes (abondance et Shannon). Les cases vertes indiquent les cas où il existe une relation, les cases en orange indiquent les tendances, et les cases en rouge indiquent quand il n’y a pas

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2. Variabilité du processus de prédation dans les parcelles et les

paysages

a. Corrélation inattendue entre les différentes composantes de

l’hétérogénéité

Seule l’hétérogénéité de composition a pu être prise en compte dans cette étude, étant donné que les deux composantes de l’hétérogénéité sont corrélées, et que nous n’avons pu obtenir les données 2014 de l’hétérogénéité de configuration. Cette corrélation devait pourtant être évitée par toute la démarche entreprise pour la sélection des paysages et des parcelles. Un élément peut être à l’origine de cette corrélation : le décalage entre les données de 2009 ayant permis une pré-sélection de 40 paysages et la réalité de l’hétérogénéité de ces paysages en 2014. Cela pose un problème d’interprétation : pouvons-nous affirmer qu’étant donné qu’il existe une corrélation entre les deux composantes de l’hétérogénéité, celles-ci auront un effet identique sur les variables descriptives de communautés et des processus de prédation ? En effet, le pourcentage de corrélation entre ces variables est élevé (64%), mais il existe toutefois une part de variabilité entre les deux (36%).

Nous ne pouvons donc pas nous permettre d’affirmer que, si une variable descriptive, telles que la diversité des carabes, est reliée à l’hétérogénéité de composition, elle l’est également avec l’hétérogénéité de configuration. Pour cette dernière, seules les futures analyses complémentaires de ce travail permettront de le dire.

b. Variabilité du processus de prédation entre le sol et au sein de la canopée

Le taux de prédation des pucerons au sol est en moyenne plus élevé que le taux de prédation des pucerons au niveau foliaire (autour de 0.8 au niveau du sol, contre 0.2 au niveau foliaire). Cela indique que les prédateurs qui ont agi au niveau du sol sont plus efficaces que les prédateurs qui ont agi au niveau foliaire. Les prédateurs les plus actifs dans cette étude semblent donc être des prédateurs cloisonnés au niveau du sol, par rapport aux prédateurs grimpeurs ou volants.

Il existe une corrélation forte entre les taux de prédation des œufs de lépidoptères et des pucerons du niveau foliaire. Ainsi, on peut supposer que les processus de prédation de ces deux proies au niveau foliaire sont (i) effectués par des espèces communes et (ii) l’œuvre d’espèces prédatrices distinctes mais influencées par les mêmes facteurs. Les chrysopes ou les punaises des genres Anthocoris et Orius par exemple, peuvent consommer ces deux types de proies et se déplacent au niveau des feuilles. Les syrphes tels E. balteatus consomment uniquement des pucerons.

Il n’existe pas de relation entre la prédation au niveau foliaire et au niveau de sol, ce qui suggère que les cortèges de prédateurs sont différents. Cela n’est pas étonnant, les prédateurs au sol, comme les carabes ou les staphylins, grimpent rarement sur les feuilles, tandis que les insectes volants n’exploitent pas le sol pour leur recherche alimentaire, même s’ils peuvent pour certaines espèces y passer l’hiver aux stades pré-imaginaux (Raymond et al. 2014).

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c. Variabilité du processus de prédation en fonction de l’hétérogénéité du

paysage

La diversité des cultures au sein d’un paysage agricole, la proportion de forêts et de prairies permanentes, n’ont pas d’influence dans cette étude sur le contrôle biologique des pucerons et des œufs de lépidoptères. L’action des prédateurs à l’origine de ce contrôle biologique n’est donc pas influencée par ces composantes paysagères.

Plusieurs hypothèses peuvent être mises en avant. Tout d’abord, au niveau du sol, la présence avérée sur les cartes d’invertébrés nécrophages, comme les limaces, peut indiquer que le processus de prédation n’a pas pour origine uniquement des prédateurs généralistes. Or, les limaces sont des organismes très sensibles aux conditions climatiques (température, humidité), qui conditionnent leur activité (Dainton 1954), de façon beaucoup plus importante que l’hétérogénéité du paysage.

L’absence d’influence de l’hétérogénéité du paysage sur le processus de prédation des pucerons au niveau foliaire sur l’ensemble de la saison peut se comprendre par la mise en évidence scientifique de plus en plus forte d’une spécialisation écologique du réseau trophique pucerons-ennemis naturels au milieu cultivé, le rendant relativement indépendant des éléments semi-naturels environnant. C’est ce qui a été démontré pour les pucerons des céréales (Vialatte et al. 2006, 2007), pour leurs prédateurs syrphes (Raymond et al. 2014) et leurs hyménoptères parasitoïdes (Derocles et al. 2014).

Un processus de prédation efficace dès le début du printemps est une condition primordiale d’un service de régulation efficace. Améliorer par certains outils de management du paysage le processus de prédation dès le début du printemps, et donc avant l’implantation des ravageurs, permet d’empêcher leur colonisation ou de limiter leur développement (Symondson et al. 2002). Cependant, notre étude montre que l’hétérogénéité de composition, la proportion de forêts et de prairies permanentes ne sont pas des facteurs sur lesquels il est possible de jouer pour améliorer le contrôle biologique au sein d’un paysage agricole. Il est donc important de pouvoir, dans le futur, observer si l’hétérogénéité de configuration peut avoir un impact sur ce contrôle biologique de conservation. Par ailleurs, pour la guilde des prédateurs volants des pucerons, probablement spécialisés au milieu cultivé, les pratiques agronomiques à la parcelle peuvent être un levier important du contrôle biologique.