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Les professionnels acteurs du circuit de protection

II. Fonctionner en dispositif

3) Professionnalisme et militantisme

Depuis la disparition de l’association Jeunes Errants présentée en deuxième partie, l’accompagnement éducatif des MIE est jugé incompatible avec une position militante vis-à-vis  des  institutions  politiques.  L’organisation  du  circuit  de  la  protection  de  l’enfance  incombe   aux conseils généraux depuis 2007, un an avant la  cessation  d’activité  de  Jeunes  Errants. À présent,   ce   sont   donc   des   opérateurs   liés   par   le   protocole   d’accord   qui   assument   les   différentes étapes de la prise en charge. Les deux associations signataires de ce protocole – la Sauvegarde13   et   l’ADDAP13   – sont financées par le Conseil Général des Bouches-du-Rhône. Dès lors, leur rôle est strictement encadré par les directives du département. Ce cadre d’intervention  est  très  critiqué  par  certains  acteurs  – que ce soient des professionnels inscrits dans la plateforme ou bien des associations non-signataires – car il laisse très peu de marge de  manœuvre  aux  acteurs  de  terrain.  Une  association  nous  explique  que  ce  partenariat  entre  le   Conseil   Général,   à   l’origine   du   financement,   et   les   structures   financées   est   nécessairement  

« Ce  qu’on  continue  à  dire  c’est  que  d’une  part,  ce  protocole  c’est  à  notre  avis,  c’est  pas   une bonne idée. La manière dont  ça…  ça  coince  un  peu  dans  un  cadre  hors  normes  droit   commun   les   mineurs   étrangers   isolés…   Et   on   est   pas   associés   ni   au   protocole,   ni   aux   différentes  réunions  et  je  pense  qu’on  a  plein  de  choses  à  dire  et  à  apporter donc ça on est pas content. On trouve que le SAAMENA parfois est tellement encombré que les délais pour   recueillir   les   récits   des   jeunes   et   donc   pour   transmettre   l’information   préoccupante   c’est   totalement   excessif (…)   les   avocats,   on oublie souvent de les convoquer aux audiences…   Le  jeune  lui-même  il  a  déjà  tellement   d’interlocuteurs  qu’il  oublie  aussi  de   prévenir  son  avocat  et  la  structure  d’accueil  est  pas  tout  le  temps  informée  qu’il  y  en  a  un.  

Ce qui est quand même dommage parce que nous pendant ce temps on a quand même un gros travail à faire : on reçoit le jeune, on saisit le jeune, on rédige une requête, etc., etc.

On est pas convoqué aux audiences et on est pas rémunéré pour ce travail-là. Il faut savoir que quand  on  s’investit  dans  le  champ du travail auprès des mineurs étrangers isolés  c’est pas  loin  d’être  du  bénévolat. »

caractérisé par des relations de subordination. Ainsi, les associations comme   l’ADDAP13   n’auraient  aucune  autonomie  dans  leur  pratique  et  seraient  réduites  à  l’état  « d’excroissances   du Conseil Général »,   selon   l’expression   utilisée   par   un   éducateur.  À ce sujet, un employé d’une structure proche du Conseil Général nous   explique   travailler   dans   l’intérêt   du   public   qu’il  protège  et  non  dans  l’intérêt  d’une  cause :

Cet  extrait  est  symptomatique  de  l’opposition  qui  a  pu  être  tracée  entre  militantisme  et   professionnalisme au cours des différents entretiens, les deux positions étant parfois présentée   comme   des   pôles   opposés   régissant   l’attitude   des   associations   et   des   institutions.  

De par leur  lien  avec  le  Conseil  Général,  les  associations  signataires  du  protocole  s’opposent   et ont été opposées aux associations dites « militantes », ou « plus partiale » selon l’expression  employée  par  le  SPUE  qui  revient  sur  l’instauration  de  la  plateforme :

Ce clivage est source de beaucoup de tensions entre des structures dont les intérêts convergent. Par exemple, une  stagiaire  au  SAAMENA  nous  raconte  avoir  été  témoin  d’une   altercation verbale alors que des employés de la Cimade accompagnaient un jeune sur le service, pour un premier accueil. Ces derniers auraient reproché aux employés du SAAMENA de ne pas héberger le jeune immédiatement. Notre interlocutrice déplore que les relations  entre  les  deux  organisations  soient  si  négatives,  alors  qu’elles  pourraient  être  utiles   les unes aux autres :

« Y’a  une  chose  que  j’aimerais  préciser  c’est   qu’on  est  des  professionnels…voilà.  Alors   après  qu’à  titre  personnel  on  soit  plus  ou  moins  militants,  c’est  à  chacun  de  le  voir.  Mais   on est pas du tout dans une militance  euh…  ultra  comme  le  sont  certaines associations sur Marseille…   Et qui à mon humble   avis,   et   ça   c’est   très   personnel,  combattent plus une cause  que  n’aident  les  personnes  en  particulier.  Parce  que  nous  on  s’aperçoit  qu’en  fin  de   compte le combat de la cause  c’est  bien,  parce  qu’il  faut  faire  avancer  les  choses,  mais  ça   dessert parfois la singularité des situations. Ça on le vérifie et  j’ai  beaucoup  de  mal  avec   ça  (…) Toutes ces associations, toutes ces organisations ultra-militantes, qui font passer le militantisme avant le professionnalisme. On peut être professionnel et militant. Mais quand  on  est  subventionné,  ce  qu’on  nous  demande  c’est  quand  même  de  faire  passer  le   militantisme par la pratique professionnelle.  On   a  des  comptes  à  rendre  puisqu’on  a  des subventions. »

« Le   choix   qui   avait   été   fait   à   l’époque   c’était   vraiment   d’intégrer   les   partenaires   institutionnels donc uniquement la justice, la Préfecture, la police, donc nous le CG, l’ADDAP13,  mais qui est quand même une association exclusivement financée par le CG et qui assure une mission de service public exclusivement, et la Sauvegarde qui est financée   par   la   justice   dans   une   même   direction.   Donc   je   pense   que   c’était   le   choix   qui   avait  été  fait  à  l’époque  de  pas  intégrer  effectivement  des  avocats et des associations qui représentent une partie beaucoup plus partiale et qui sont pas institutionnalisées….   Peut   être que ça va évoluer dans le temps, ça  je  n’en  sais  rien… »

Ainsi, on peut voir que les associations militantes, même si elles ne sont pas reconnues comme  opérateurs  officiels,  jouent  un  rôle  primordial  dans  l’accompagnement  des  jeunes   et ce malgré des méthodes parfois jugées peu orthodoxes.  D’autres  associations  n’adoptent  pas   une posture offensive mais regrettent d’être  exclues  des  discussions.  Selon  l’une  d’entre  elle,   l’aspect   militant   n’occulte   pas   nécessairement le travail professionnel et les deux positions sont  conciliables  dans  l’intérêt  des  mineurs  concernés :

On peut également signaler la position similaire adoptée par le Barreau. « On est pas des militants »   explique   une   avocate,   ce   qui   n’empêche   pas   de   dénoncer   certains   aspects   du   dispositif.

Au-delà des hostilités presque structurelles entre les différentes organisations, la question du militantisme   est   également   très   présente   dans   les   rapports   entre   individus   d’une   même   équipe. Ainsi, un éducateur explique que sa « collègue est très militante » car, contrairement à  d’autres,  elle  tend  à  faire  primer  la  parole  du  jeune  sur  les  suspicions  formulées à son égard.

Il  faut  souligner  qu’à  titre  individuel,  les  professionnels  sont  souvent  pris  entre  les  injonctions   émanant de leur hiérarchie ou du contexte dans lequel ils travaillent et leurs convictions personnelles. Néanmoins, au niveau de la plateforme, le partenariat avec des associations dites « militantes » n’apparaît   pas   nécessairement contradictoire,   d’autant   plus   que   les   structures concernées en manifestent la volonté ; au contraire, la participation de certaines associations, non pas sur le terrain mais à titre consultatif dans le comité de pilotage, pourrait contribuer à améliorer le circuit et à le rendre plus transparent.

« La Cimade connaît très bien les prérogatives a priori du SAAMENA elle sait très bien que   c’est   pas   des   militants,   et   qu’ils   font   un   travail   au   maximum.   Ce   qui   est   dommage   c’est  qu’en  fait  ça  pourrait  être  génial  d’avoir  un  partenariat  avec  eux  parce  que  la  Cimade   c’est  super  efficace,  ça  fait  peur  en  CG,  donc  du  coup  à  chaque  fois et notamment le jeune en  question  il  a  été  placé  le  lendemain.  Donc  ça  marche  super  bien  d’avoir  la  Cimade  qui   est  présente  sur  l’IP,  qui  est  nommée,  etc. »

« Je  pense  qu’aussi  c’est  dans  l’intérêt  des  enfants.  Effectivement  on  peut  instrumentaliser   l’enfant  pour  faire  valoir  sa  propre  cause,  c’est  évident.  Après  je  pense  que  ça  peut  se  faire sans être complètement droit-de-l’hommiste  allumé,  vindicatif.  Je  pense  qu’il  peut  y  avoir   des temps de réflexion ensemble. On est actif et on est opérationnel sur cette question.

(…)  Après  on  touche  à  des  questions  tellement  sensibles  qu’évidemment  on  est  militants ! Mais on est pas militants pour aller mettre en échec ce qui se fait en face…  C’est  pas  notre   marque de fabrique. Nous on est des professionnels avant tout qui avons des compétences et qui accompagnons des personnes en situations difficiles. »

Conclusion de la troisième partie

Après avoir défini le profil des MIE à Marseille et décrit le circuit de protection qui leur est proposé par les textes et par   le   protocole   d’accord   en   vigueur   dans   le   départements, nous avons porté notre attention sur les professionnels amenés à travailler en lien avec ce public. Loin de proposer une analyse exhaustive de l’articulation   entre les différents acteurs et de leur positions et pratiques respectives, nous avons tenté de présenter des pistes de réflexion sur les thèmes évoqués en entretiens. Par ailleurs, ces entretiens ayant été conduits à un moment précis – pendant le mois de mai 2013, période qui était particulièrement éprouvante pour beaucoup des interrogés – ces déclarations ne reflètent que des impressions contingentes et non des positions figées. Nous avons vu à travers les différents points de cette partie que les pratiques   à   l’égard   des   MIE   se   retrouvaient   souvent   coincées   entre   deux   logiques : d’une  part,  inscrire  ces  enfants  dans  le  droit  commun  et  donc  tenter  de  leur appliquer des conceptions générales sur la protection   de   l’enfance   en   France ; de   l’autre, les reconnaître en tant que mineurs étrangers et prendre en compte cette particularité en leur proposant un dispositif spécialement construit pour eux. Ces intuitions contradictoires  sont  en  lutte  constante  à  tous  les  niveaux  d’analyse,  que  ce  soit  dans  les   réflexions personnelles   des   différents   acteurs   ou   dans   la   définition   d’un   cadre   d’intervention   global. Le   choix   d’un   circuit   d’accueil   dérogatoire   a   été   fait   dans   de   nombreux départements, dont les Bouches-du-Rhône. L’instauration  de  partenariats  et   la tentative de coordonner   les   interventions   au   sein   d’une   plateforme   est   en   soi   nécessaire  afin  de  s’assurer  que  ces  mineurs  accèdent  au  droit.  Néanmoins, lorsque la plateforme en question n’est   pas   adaptée   au   nombre   d’arrivées   ou   si   les   différentes   organisations signataires peinent à articuler leurs interventions, ce dispositif dérogatoire s’avère   préjudiciable   pour   les   enfants   concernés.   Tout   au   long   de   ce   rapport, nous avons vu que la frontière était mince entre aménagements nécessaires et inégalités de traitement. Le risque   est   de   voir   s’installer un système à deux vitesses, compliquant  l’accès  à  la  protection  pour  les MIE, dans le but de limiter les sollicitations futures. Tout l’enjeu de   la   coordination   et   de   l’entente   entre   les   différents   acteurs   est   alors de trouver un juste milieu pour accueillir dignement les jeunes qui se présentent.